Médias

La convergence pèse lourd sur les épaules des journalistes du Québec

Congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ)


La convergence des médias d'information pèse lourd sur les épaules des journalistes du Québec, qui n'ont pas toujours l'autonomie qu'il faut pour résister aux commandes de leurs supérieurs, et cela est encore plus vrai pour les journalistes de Quebecor.
Selon notre recherche réalisée l'année dernière, et dont l'analyse finale vient d'être publiée, la grande majorité des journalistes syndiqués du Québec travaillent pour des conglomérats dont le respect pour la mission démocratique et la liberté inhérentes au journalisme varie grandement. La recherche a été menée auprès de 385 journalistes travaillant principalement pour Radio-Canada, Gesca et Quebecor. Il s'agit de la plus vaste enquête du genre réalisée au Québec.
Au sein de chaque conglomérat médiatique, on trouve des individus dont les aspirations professionnelles sont en porte-à-faux avec les priorités de leur organisation de travail. Mais ce désalignement est plus prononcé chez les journalistes de Quebecor que pour ceux de Gesca et de Radio-Canada.
Les journalistes des trois conglomérats partagent les mêmes valeurs professionnelles, mais ils sont aux prises avec des modèles de gestion et des modes de propriété qui les limitent plus ou moins quand vient le temps de produire une information qu'ils souhaitent pertinente socialement.
Le mode de propriété, les attentes des actionnaires, la concurrence excessive, le mélange des genres journalistiques que sont l'information et l'opinion et, surtout, la présence du sensationnalisme et de l'information-spectacle sont des facteurs que les journalistes critiquent sévèrement. Par ailleurs, la grande majorité des journalistes, tous conglomérats confondus, sont d'avis que la concentration et la convergence des médias nuisent à la qualité, à la diversité et, surtout, à l'intégrité de l'information, qui serait détournée du service public afin de satisfaire des intérêts particuliers.
Dans les grands conglomérats médiatiques du Québec, les journalistes témoignent de leur incapacité de critiquer leur propre média, même lorsque celui-ci a manqué de rigueur dans son traitement de l'information. Ils affirment en majorité ne pouvoir diffuser des informations qui nuisent aux intérêts de leur employeur. Non seulement y a-t-il autocensure, mais ils sont très nombreux à penser qu'elle favorise la promotion des journalistes au sein de leur média.
Intervention
Notons que, pour un grand nombre de répondants, il ne fait pas de doute que la concentration et la convergence des médias menacent la liberté des journalistes, bien davantage que les tribunaux. Il ne faut donc pas s'étonner que la grande majorité des journalistes demandent une intervention gouvernementale pour limiter la concentration de la propriété de la presse, qui est au coeur du phénomène de la convergence.
Notre enquête révèle que la situation est plus critique pour les journalistes de Quebecor, contraints par un corset organisationnel qui les empêche souvent de se livrer au journalisme de qualité qu'ils souhaitent pourtant faire. En cela, il est injuste de toujours critiquer ces journalistes pour le type d'information qu'ils diffusent, alors que les vrais responsables seraient souvent ceux qui décident quel événement (ou non-événement) sera couvert, et de quelle façon.
Les résultats de notre recherche invitent à une meilleure compréhension des conditions difficiles dans lesquelles ces journalistes doivent exercer leur métier, voire à une réelle empathie à leur endroit, au lieu du mépris que leur réservent certaines élites.
Demi-professionnels
Les journalistes voudraient être des professionnels, mais ils ont un statut d'employé qui les prive en bonne partie de l'autonomie dont ils auraient besoin pour servir avant tout l'intérêt public. Leur loyauté première doit souvent aller à leur employeur plutôt qu'au droit du public à une information de qualité.
Chaque conglomérat veut en quelque sorte embrigader ses journalistes pour en faire de fidèles employés, au détriment de leur liberté d'expression. Cet embrigadement se manifeste notamment par la promotion des produits, des filiales ou des collègues du groupe médiatique pour lequel on travaille, mais aussi par la critique, partisane dirait-on, des médias concurrents. Cela n'est pas sans poser de véritables problèmes éthiques qui minent la crédibilité des journalistes et des entreprises de presse.
Les journalistes vivent mal la tension inhérente au double statut de professionnel et de salarié. Ils voudraient avoir plus de liberté et produire une information plus pertinente socialement, mais ils savent que leur salaire et leurs conditions de travail reposent sur des impératifs économiques qui s'opposent souvent à ces nobles aspirations. C'est en cela que les journalistes sont, en réalité, des demi-professionnels, ceci étant dit en tout respect.
De plus, ils ont perdu le monopole de l'information puisque, avec Internet, tout citoyen qui le désire peut se prétendre journaliste. Dans certains cas, ces journalistes amateurs diffusent des informations pertinentes avec la même compétence que les journalistes dits professionnels. Cela, ajouté à leur statut d'employé, affecte doublement leur identité professionnelle, qui en sort quelque peu meurtrie.
Les journalistes à l'emploi des médias traditionnels peuvent chercher à se distinguer en adhérant formellement à des principes éthiques et à des règles déontologiques, mais leur capacité réelle de respecter ces normes est limitée par les désirs des employeurs qui ont, actuellement, des motivations économiques, sinon politiques, beaucoup plus déterminantes.
Du reste, si les journalistes sont en mesure de se donner des règles déontologiques fort pertinentes, ils sont impuissants à les faire respecter, contrairement aux vrais professions. Devant les enjeux de la convergence, le vrai défi professionnel est peut-être là, au-delà du volontarisme et des sanctions morales qui ne portent pas à conséquence. Pour l'instant, ils ont implicitement délégué leur système de discipline aux tribunaux civils.
Notre enquête révèle que les journalistes syndiqués du Québec sont très critiques face aux effets négatifs de la concentration et la convergence des médias sur la qualité, la diversité et l'intégrité de l'information. Chez les journalistes de Quebecor, on peut même parler de détresse tellement ils jugent leur situation déplorable sur le plan professionnel.
Notre analyse incite à croire que les journalistes, individuellement ou collectivement, ne peuvent améliorer la situation s'ils ne sont pas appuyés par des mesures législatives qui limiteraient ces effets néfastes. Mais, surtout, les journalistes ne peuvent rien si le public n'exige pas le respect de son droit à une information de qualité, à la fois libre et responsable.
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Marc-François Bernier, Chaire de recherche en éthique du journalisme (CREJ) de l'Université d'Ottawa et auteur de Journalistes, au pays de la convergence: sérénité, malaise et détresse dans la profession (Presses de l'Université Laval)

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Marc-François Bernier5 articles

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Professeur agrégé, Coordonnateur du programme de journalisme, Université d’Ottawa

Chaire de recherche en éthique du journalisme (CREJ) de l'Université d'Ottawa et auteur de {Journalistes, au pays de la convergence: sérénité, malaise et détresse dans la profession} (Presses de l'Université Laval)





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