Profits contre démocratie

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Les municipalités s'imposent contre les volontés des grandes entreprises

La minière Canada Carbon poursuit la municipalité de Grenville-sur-la-Rouge pour 96 millions de dollars en « dommages ». Il faut préciser que le budget annuel de la petite ville (2 800 habitants) des Laurentides n’atteint pas les 5 millions de dollars. Advenant une défaite, il faudrait donc que la municipalité verse, pendant 20 ansla totalité de son budget à l’entreprise.


Quel crime odieux a bien pu commettre la fautive ? Bloquer un projet de mine graphite et de marbre à ciel ouvert.


Le permis d’exploration sur 100 km2 a d’abord été accordé à la compagnie, car l’ancien conseil municipal y était favorable en dépit de l’opposition de nombreux citoyens. Lors des élections municipales du 5 novembre 2017, les candidats qui étaient contre le projet ont été élus avec une forte majorité. La nouvelle équipe n’a perdu de temps, et a modifié en décembre le règlement de zonage, en plus d’adopter une résolution stipulant que les ressources en eau potable, le tourisme et l’agriculture étaient menacés par le projet de mine. Pour Canada Carebon, la politique de la petite ville est « abusive, illégale et a été adoptée de mauvaise foi, malicieusement et dans la seule intention de nuire et de bloquer son projet de mine et carrière ». Cry me a river...


Le 28 février dernier, se terminait (pour le moment du moins) une saga aux accents similaires. La Pétrolìere Gastem poursuivait Ristigouche-Sud-Est, qui compte 165 habitants et a un budget annuel de 275 000 dollars. Le conflit puise sa source dans un règlement municipal sur la protection de l’eau potable, stipulant qu’il doive y avoir au moins 2 km de distance entre celle-ci et un forage pétrolier. En 2014, la petite ville a demandé, sans succès, au tribunal d’invalider l’action en justice de Gastem. Quelques mois plus tard, le nouveau gouvernement libéral fixait la distance légale entre eau potable et forage pétrolier à 500 mètres, quatre fois moins que le règlement municipal. Tout semblait jouer contre Ristigouche, jusqu’à la semaine dernière, où la Cour supérieure a finalement (et heureusement) donné raison à David contre Goliath. Le maire de Ristigouche-Sud-Est, François Boulay, a bien raison d’y voir une reconnaissance du droit de protéger l’eau potable.


Les citoyens commencent à constater les dangers des recettes économiques promues depuis les années 1990, où tout doit être donné aux investisseurs privés, lesquels sont les seuls à même de prendre les bonnes décisions liées au développement économique. Les pouvoirs publics n’ont qu’à s’en tenir à agir à l’intérieur de limites de plus en plus étroites.  Que les règlements adoptés à Grenville ou à Ristigouche soient bons ou non est, au final, assez secondaire. Le problème fondamental, c'est la légitimité des pouvoirs publics d'agir. L’équilibre entre le politique et l’économique est brisé, et doit impérativement être rétabli.


Il peut y avoir, au sein des autorités politiques, de la corruption, des mauvaises décisions, et de l’incompétence. Elles sont des démocraties très imparfaites, qui seraient assurément à améliorer, mais leur fonctionnement est infiniment plus démocratique que des organisations qui n’ont pour seul but que le profit.


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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).