Pertinent, le Bloc ?

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Derrière la haine du Bloc se cache le rejet de la souveraineté par les fédéralistes

Une crise de grande envergure secoue le Bloc québécois. Les détracteurs du parti savourent l’instant en concluant qu’il « est mort ». Pas de place au doute. Le nombre de résurrections, en politique, est pourtant être assez important et devrait suffire à faire taire tous les diagnostics trop hâtifs de mort prochaine. Il demeure que s’il n’est pas mort, le Bloc n’est pas fort, et les prochaines semaines seront déterminantes. Je ne veux pas, ici, pointer quiconque comme « coupable » des présents déboires du parti. Trop de commentateurs ont conclu d’emblée que tout le blâme devait revenir à sa cheffe, Martine Ouellet. Or, dans ce type de crise, il est rare qu’un seul côté soit responsable et que l’autre soit blanc comme neige. Je ne crois pas non plus en une opposition artificielle entre « défense des intérêts du Québec » et « promotion de l’indépendance ».


D’aucuns en profitent pour remettre en question la pertinence du Bloc, et même sa légitimité. Cependant, les arguments avancés tiennent difficilement la route.


Ils sont nombreux à rappeler que le fondateur du Bloc, Lucien Bouchard, disait de son bébé qu’on mesurerait son succès à la brièveté de son existence. C’était vrai à l’époque, et ce l’est toujours : un parti siégeant à Ottawa et étant favorable à l’indépendance du Québec milite nécessairement, ultimement, pour sa disparition. Ce qui devait se régler, dans l’esprit de M. Bouchard, en 1995, n’est finalement toujours pas réglé. Il va donc de soi que, pour un indépendantiste, le Bloc est toujours pertinent tant que la souveraineté n’est pas faite.


Pour un partisan du Canada, le Bloc ne devrait pas plus être considéré comme illégitime. La vocation à l’opposition perpétuelle du Bloc comme explication de l’impertinence de la formation politique ne repose pas sur des bases solides.


En démocratie, la représentation d’un maximum d’options est toujours souhaitable. Il y a actuellement quatre partis d’opposition (pas tous reconnus) à la Chambre des communes, et plusieurs députés indépendants. Le NPD, le Parti conservateur et le Parti vert devraient-ils se saborder ? Non, il va sans dire. De 2006 à 2011, il était particulièrement amusant d’entendre André Arthur rejeter le Bloc, sous prétexte qu’il ne prendrait jamais le pouvoir, depuis son bureau de... député indépendant.


Les fédéralistes devraient être un peu plus cohérents : le système politique qu’ils défendent tant est un calque de celui du Royaume-Uni, où le Parlement est tout. On ne devrait donc pas avoir à travailler très fort pour les convaincre que le régime parlementaire qu’ils chérissent accorde une place prépondérante aux... parlementaires. Les députés déposent des motions, travaillent sur des projets de loi, votent en chambre, posent des questions, etc. Certains partis peuvent très bien être voués à une mission particulière pour influencer le jeu, et, en régime parlementaire, ils peuvent très bien parvenir à le faire. C’est d’autant plus vrai en contexte de gouvernement minoritaire. Or, depuis 2004, trois des cinq élections fédérales se sont soldées par des gouvernements minoritaires. En 2008, le Bloc est presque parvenu à imposer son programme politique à la coalition PLC-NPD qu’il soutenait.


Le Bloc a-t-il bien fait son travail ? Pourrait-il faire mieux ? Son programme et ses promesses sont-ils les bons ? Nous n’avons même pas à  nous prononcer sur ces questions ici, car ce n’est pas le cœur du sujet. Comme tous les partis, le Bloc peut et doit être soumis à des critiques, comme on critique les libéraux, les conservateurs et les néo-démocrates, sans toutefois dire qu'ils n'ont pas lieu d'exister. Mais la nature de son action et de ses idées n’a rien à voir avec sa légitimité et sa pertinence. En réalité, ceux qui estiment que le Bloc n’a pas sa place sont simplement allergiques à son message. Ils ont le droit, mais qu’ils le disent honnêtement.


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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).