Pris en otage dans le débat sur l'identité

Le français — la dynamique du déclin


Au Québec comme en France, le mois de novembre a vu repartir les débats sur l'identité nationale. En France, c'est le ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale qui les a lancés et organisés dans toutes les régions. Au Québec, c'est le Parti québécois qui a remis l'identité québécoise au centre de ses préoccupations.
Dans les deux cas, la question de l'identité nationale est toujours associée aux immigrants comme étant ceux qui, soit la menacent, soit devraient mieux la partager. Effectivement parler d'identité, c'est à la fois parler de soi et de l'autre, l'étranger.

En France, un sondage paru dans le quotidien La Croix indique que seulement 38 % des Français revendiquent spontanément leur identité nationale, alors que 45 % évoquent avant tout une appartenance locale, comme la ville, le quartier ou la région, et que 17 % se disent citoyens du monde ou Européens. Et il s'agit-là de l'ensemble des Français et pas seulement des immigrants!
La séparation entre Français et immigrants n'apparaît pas dans ces réponses. Plusieurs personnalités s'opposent d'ailleurs au débat, disant qu'il est dirigé par des préjugés et des stéréotypes xénophobes. Qu'en est-il au Québec où on favorise l'immigration pour faire face aux enjeux de développement économique et de vieillissement de la population?
Comme en 2007, lors de la crise des accommodements raisonnables, on veut défendre l'identité québécoise sous deux angles, celui de la langue française, qu'on craint toujours menacée, et celui des valeurs comme l'égalité hommes-femmes. Au Québec, minorité francophone en Amérique du Nord, nul ne peut contester l'importance de défendre le français. Par contre il reste essentiel de se poser les bonnes questions: est-ce que ce sont les immigrants qui menacent l'identité québécoise? Est-ce qu'on leur donne une chance d'y participer?
Pas d'emploi au Québec
On affirme souvent que le principal problème des immigrants pour l'emploi, c'est la langue. Cependant les immigrants arrivés dans les dernières années au Québec sont le plus souvent francophones comme les Maghrébins ou encore en apprentissage accéléré de la langue comme les Brésiliens ou les Argentins. À leur arrivée, le fait d'inscrire leurs enfants dans des écoles francophones est une évidence. Par contre dans les mois et les années qui suivent leur arrivée, ils se trouvent confrontés au problème majeur de l'emploi: le taux de chômage est inquiétant chez nos immigrants francophones, près de 20 % en 2008 pour les ressortissants d'Afrique du Nord, Marocains, Algériens et Tunisiens.
Pour les autres communautés en francisation, le taux est plus bas mais tout de même beaucoup plus élevé que dans la population née au Québec. Et une des explications surprenantes est que ces immigrants ne maîtrisent pas l'anglais, deuxième langue officielle du Canada, souvent demandée ou même exigée pour de nombreux emplois au Québec. Sélectionnés parce qu'ils sont francophones, ces immigrants se trouvent exclus du marché de l'emploi aussi parce qu'ils le sont.
Alors comment réfléchissent ces familles? Plusieurs d'entre elles vont tenter toutes les stratégies pour vivre en français au Québec: aller s'installer en région s'il y a des emplois, accepter la déqualification professionnelle et prendre des petits boulots précaires et sans avenir, tenter de monter un commerce ou un restaurant, et même apprendre l'anglais en payant souvent fort cher pour cela!
Mais quand l'emploi n'est toujours pas au rendez-vous, même après un retour aux études, même après un déménagement, même en enlevant de son CV les diplômes qui vous surqualifient, alors on pense à l'avenir de ses enfants et on se demande comment leur éviter ce qui atteint les parents de plein fouet.
Plusieurs acceptent d'être une génération sacrifiée, déqualifiée et peu reconnue à la condition que leurs enfants aient la chance de participer pleinement à cette société qui est aussi la leur. Alors on pense que s'ils ont la chance de maîtriser l'anglais en plus du français, c'est une chance de plus de réussir. Peut on reprocher à ces parents de vouloir le mieux pour leurs enfants tout comme les parents québécois?
Vers les communautés francophones du ROC
Alors ces débats sur l'identité québécoise en pointant l'immigrant comme le responsable de sa désagrégation, ont aussi un effet pervers. Ces immigrants, après avoir tout fait pour trouver leur place dans ce Québec francophone, s'ils n'y arrivent pas, vont aller tenter leur chance ailleurs au Canada et certains, même s'ils avaient volontairement fait le choix du Québec, vont partir vers les provinces anglophones où les emplois leur seraient plus ouverts.
C'est vrai à Montréal mais c'est vrai aussi dans nos régions que les immigrants apprécient pour leur qualité de vie et dont ils resteront souvent nostalgiques. De nombreuses familles, immigrantes francophones, sélectionnées pour participer à la vie québécoise, vont quitter leur province d'arrivée et aller s'installer en Alberta ou au Manitoba.
Certes l'emploi est leur principale motivation et ils vont souvent suivre leurs réseaux immigrants pour choisir leur nouvelle destination. Mais il est paradoxal de voir que plusieurs d'entre eux vont aller y grossir la communauté francophone minoritaire. Ils ne partent pas pour parler anglais, ils partent pour travailler et avoir un espoir de promotion. Et ils vont le faire en français au Canada anglais! Notons de plus que ces communautés francophones hors-Québec ont elles aussi une stratégie d'attraction des immigrants pour subsister, faire vivre leurs écoles, leurs services et leurs commerces.
Alors, est-ce que ce sont les immigrants qui menacent l'identité québécoise?
***
Michèle Vatz-Laaroussi
est spécialiste de l'immigration en région
et chercheuse membre de
l'Observatoire de l'immigration
dans les zones à faible densité d'immigrants.

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Spécialiste de l'immigration en région
et chercheuse membre de
l'Observatoire de l'immigration
dans les zones à faible densité d'immigrants.





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