Politique et homosexualité

PQ - leadership en jeu - la tourmente



"Le Québec n'est pas prêt pour un premier ministre homosexuel", lançait l'autre jour Rachel Gagnon, candidate péquiste défaite dans Groulx. D'autres candidats lui ont fait écho. L'homosexualité du chef péquiste aurait-elle été un facteur, parmi beaucoup d'autres, dans la défaite du 26 mars?
Il s'agit évidemment d'une question en porte-à-faux, car mille facteurs entrent en jeu dans un vote. En outre, il est impossible d'isoler une caractéristique en particulier dans la personnalité d'un leader.
La question se pose quand même, car l'affaire n'est pas banale: combien de politiciens ouvertement gais ont-ils brigué une fonction de première importance, où que ce soit au monde?
Plusieurs députés ouvertement homosexuels ont été élus au Québec, à commencer par Claude Charron en 1970. Agnès Maltais a été réélue facilement dans Taschereau; le nouveau député péquiste de Saguenay, Sylvain Gaudreault, a fait mentir l'animateur de radio qui avait prédit que les ouvriers ne voteraient jamais pour une "tapette". Sur la scène fédérale, on pense à Scott Brison, élu dans un comté rural de la Nouvelle-Écosse.
À ce niveau-là, donc, pas trop de problème Mais quand il s'agit d'un candidat à la fonction de chef de gouvernement, les vieux préjugés remontent à la surface.
Ainsi, Mme Gagnon rapporte le propos d'électeurs qui doutaient qu'un gai puisse s'intéresser aux familles C'est aberrant, autant que de dire qu'un politicien bien portant ne peut s'intéresser aux malades, ou qu'un politicien qui n'a jamais connu le chômage ne peut avoir de conscience sociale.
Le politologue Christian Dufour estime, quant à lui, que le problème de Boisclair, c'est d'avoir trop forcé la note et "donné l'impression d'être d'abord homosexuel", en participant au sketch de Brokeback Mountain (sketch dont le punch était un clin d'oeil à sa propre homosexualité), et en flirtant avec Dany Turcotte, lors de sa première apparition à Tout le monde en parle.
Comme ces deux incidents se sont produits à la télévision à des heures de grande écoute, sans doute ont-ils accentué ce qui, dans la personnalité de M. Boisclair, n'est qu'un trait secondaire. Ce dernier s'est comporté, durant la campagne, avec une remarquable sobriété, mais probablement trop tard pour changer la perception populaire.
On peut aussi se demander comment le chef péquiste aurait été perçu s'il n'avait pas traîné derrière lui ses histoires de cocaïne, ou s'il avait vécu en couple, projetant de ce fait une image de stabilité et de sérieux plutôt que celle d'un "gars de party". La consommation de cocaïne alors qu'il était ministre, conjuguée à sa participation au sketch de Brokeback Mountain, ont en tout cas mené nombre de gens qui ne sont pas homophobes à douter de son jugement. C'est l'image globale qui était négative.
Plus généralement, force est de constater que le "plafond de verre", pour les gais, est encore bien plus opaque que pour les femmes. Il y a maintenant partout des femmes à la tête de gouvernements, de l'Allemagne au Liberia en passant par le Chili. Mais sauf erreur, il n'y a pas, où que ce soit, un chef de gouvernement qui soit ouvertement gai. (Le gouverneur du New Jersey a dû démissionner quand son homosexualité a été révélée au grand jour.)
Il est significatif qu'aucun des candidats aux élections présidentielles de France ou des États-Unis ne soit gai, alors qu'il y a des femmes parmi les "gros" candidats (Mmes Royal et Clinton, auxquelles s'ajouterait Condoleezza Rice si elle se présentait).
Il faut commencer quelque part. Le premier tremplin vers le pouvoir, pour les gais, est de toute évidence la ville. Parce que les villes sont par définition des lieux pluralistes, ouverts aux minorités. Ainsi, Bertrand Delanoë, qui n'a jamais caché son homosexualité, a facilement remporté la mairie de Paris. Après avoir brillamment fait ses preuves dans la capitale, il pourrait maintenant viser plus haut.
Tout cela est injuste? Bien sûr. Mais la partie n'a jamais été facile pour les minorités, quelles qu'elles soient. Les femmes le savent, de qui l'on a toujours exigé davantage de qualifications que pour les hommes. Les gais font face à un défi beaucoup plus dur parce que les préjugés à leur endroit sont plus pernicieux et plus violents.
André Boisclair a visé la mauvaise cible. S'il avait convoité la mairie de Montréal, qui dit qu'il n'aurait pas été élu haut la main?


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé