Les « accommodements raisonnables »

Plaidoyer pour une commission d'enquête

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor


Le débat actuel sur les « accommodements raisonnables » n’est pas nouveau. On pourrait même le faire remonter jusqu’au début du XIXe siècle alors que le député juif de Trois-Rivières, Ézéchiel Hart, était empêché de siéger à l’Assemblée législative parce qu’il voulait prêter serment sur l’Ancien plutôt que le Nouveau Testament. Mais ce débat a pris récemment une ampleur nouvelle en raison de la présence de plus en plus marquée chez nous de groupes de citoyens québécois ayant des coutumes et des pratiques, notamment en matière de religion, qui sont différentes de celles de la majorité.
Cette situation n’est pas près de disparaître. Au contraire, elle ne pourra que s’amplifier au cours des prochaines années, étant donné qu’il est dans l’intérêt du Québec d’accueillir un nombre encore plus grand d’immigrants afin de contrer le faible taux de natalité et le vieillissement de sa population. Il devient donc urgent d’éviter, d’abord, que ce débat ne dérape et, ensuite, de faire en sorte qu’il aboutisse à des arrangements satisfaisants pour tous les intéressés.
Deux choses frappent dans l’analyse de ce débat. La première est celle du « cas par cas ». Les divers accommodements dont est saisie l’opinion publique résultent d’une multitude d’arrangements épars, pris sans référence les uns aux autres, par des gens confrontés à des situations particulières qu’ils tentent de résoudre au meilleur de leurs connaissances, ou par des jugements de cour dans quelques litiges singuliers qui ont été portés à leur arbitrage. Il en résulte toute une série d’accommodements disparates couvrant plusieurs secteurs différents, et entre lesquels il est difficile d’établir un lien rationnel.
Et c’est la deuxième chose qui frappe dans ce débat : l’absence de principes directeurs pouvant servir de balises dans la définition des accommodements qui sont souhaitables et de ceux qui ne le sont pas. Il y a, c’est vrai, les Chartes des droits et libertés, mais elles ont leurs limites : leurs énoncés sont très généraux et mettent l’accent sur les droits individuels plutôt que sur les exigences de la cohésion sociale.
Nous avons besoin de principes directeurs qui, tout en étant conformes aux Chartes, soient plus près des cas concrets et fassent plus explicitement le lien entre les droits individuels et les règles du comportement social à l’école, au travail et dans les autres lieux publics. Car c’est sur de tels principes directeurs qu’une société doit rechercher un large consensus de toutes ses parties constituantes. Une fois ces principes directeurs définis et acceptés, il devient beaucoup plus facile de traiter des cas particuliers.
Bien sûr, de tels principes directeurs ne sont pas faciles à définir. Il s’agit d’une question complexe où les avis sont souvent divergents. Raison de plus pour prendre les moyens requis pour y arriver. À cet égard, je suggère qu’un de ces moyens serait de confier à une commission d’enquête la tâche de les établir et d’en recommander l’adoption.
Il y a plusieurs sortes de commissions d’enquête. Celle que je préconise serait de la nature de la Commission Parent sur l’éducation ou de la Commission Coulombe sur la forêt : une commission d’étude et de recherche, capable de faire l’analyse de la question, d’entendre l’opinion des citoyens et des groupes intéressés, de commanditer les recherches nécessaires sur ce qui se fait ailleurs et d’en arriver, après un processus de réflexion, à des propositions susceptibles d’emporter l’adhésion générale.
La composition d’une telle commission serait cruciale pour le succès de son entreprise. À mon sens, le nombre de commissaires devrait être assez élevé pour être représentatif de tous les intéressés : on peut penser à sept ou, peut-être même, neuf commissaires. Le président, dont la crédibilité personnelle sera garante de celle de la commission, devrait être choisi avec l’accord des partis politiques représentés à l’Assemblée nationale. Le mandat de la commission devrait être d’au moins deux ans, afin de lui permettre de bien faire son travail.
Je sais que la mise sur pied d’une commission d’enquête nécessite de nombreux efforts, qu’elle occasionne des délais et qu’elle coûte de l’argent. Et j’ai, dans ma carrière, toujours été plutôt réticent à cette façon de procéder pour régler les problèmes publics. Mais il me semble que les modalités de notre « vivre ensemble » au Québec sont d’une telle importance et d’une telle complexité qu’un effort maximum de réflexion collective s’impose et que la meilleure façon de guider cette réflexion serait de mettre sur pied une commission d’enquête chargée de nous en proposer les grandes avenues.
Enfin, j’insiste pour souligner que la création d’une commission d’enquête ne devrait pas servir de prétexte pour ne rien faire entre-temps et risquer ainsi que la situation ne dégénère. Au contraire, les pouvoirs publics, les organisations, les médias et les citoyens doivent continuer à assumer normalement leurs responsabilités pour faire en sorte que le Québec demeure la terre d’accueil qu’il a toujours été et qu’il doit demeurer.
Texte publié dans La Presse du 6 février 2007.

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