Peuple wallon et Europe néolibérale

Chronique de José Fontaine

Il est important dans ces chroniques que je m'en réfère parfois à une Belgique prise comme un tout. Alors que, pourtant, un examen attentif de l'évolution des 27 pays de l'Union européenne montre bien que seule la Belgique est menacée de disparition, vu la croissance des compétences transférées en son sein de l'Etat fédéral aux entités fédérées. Ces entités fédérées qui fonctionnent sur le modèle de la doctrine Gérin-Lajoie, à savoir que l'exercice de leurs compétences se prolongent sur la scène internationale et notamment au sein du Conseil des ministres européens. On parle bien de l'Ecosse, de la Catalogne, du Pays Basque, mais la Wallonie et la Flandre sont bien les deux quasi-nations les plus susceptibles de s'émanciper de la tutelle de leur propre pays la Belgique. Cette émancipation est d'ailleurs déjà en partie réalisée, ces deux entités ayant vu leurs compétences passer de 0 à 51% des anciennes compétences étatiques (si l'on regarde la répartition des ressources publiques entre entités), ce chiffre devant passer à une proportion que je situe entre 60 et 70 % avec la sixième réforme de l'Etat en cours.

C'est donc dans l'horizon de cette disparition de la Belgique qu'il m'arrive encore de parler de la Belgique. Comme je vais le faire ici. Mais ce que j'ai à coeur, c'est de parler de la Wallonie, vieux pays de langue française depuis des siècles. Liée à Bruxelles, une des grandes villes de langue française qui est devenue française et grande grâce à elle. Même si les Bruxellois se refusent à se considérer comme des Wallons. Parler de la Belgique est encore nécessaire, mais c'est pour parler de la Wallonie dont le destin, je l'espère (et ne suis pas le seul), sera celui du Québec.
Le néolibéralisme (1)
Quoiqu'il en soit de ces perspectives de disparition de la Belgique, la Wallonie n'a pas comme le Québec un siècle et demi d'autonomie derrière elle, mais au contraire presque deux siècles (186 ans), d'unitarisme belge absolu. Certes combattus depuis un siècle par le mouvement flamand et le mouvement wallon qui ont pu d'ailleurs, paradoxalement, s'allier contre l'Etat unitaire, c'est un des aspects curieux de la question nationale belge.
Il faut donc parfois encore raisonner en termes belges, étant donné ce lourd passé qui fait oublier, en France notamment (et peut-être d'abord, les rapports entre nous et la France étant complexes), que la Wallonie est d'ores et déjà un pays au même titre que, par exemple, le Québec.
Je lis donc à propos du néolibéralisme ces lignes d'Olivier Bonfond, économiste au CEPAG (Centre d'éducation populaire André Genot de la FGTB wallonne : André Genot fut le successeur d'André Renard, le père de la Wallonie autonome) : «Contrairement à une idée largement répandue, il est totalement faux de dire que les Belges vivent depuis des décennies au-dessus de leurs moyens et que la dette provient d'un excès de dépenses publiques. Pour le prouver, il suffit de montrer la façon dont les dépenses publiques belges ont évolué par rapport au PIB. Il apparaît en réalité que ces dépenses publiques sont restées stables sur la période 1980-2010, se situant autour de 43%.»[[Olivier Bonfond, Et si on arrêtait de payer, CEPAG-Aden-CADTM, 2012, Namur-Liège, Bruxelles, 2012.]]
La démonstration est imparable. Elle a été faite à plusieurs reprises pour la France par exemple. L'endettement des Etats européens tient surtout à la volonté des banques de trouver des clients solvables aux moments de ralentissements de la conjoncture comme cela s'est produit déjà en 1944 et 1974. A ces Etats on prête à des taux qui rappellent parfois ceux des usuriers médiévaux. [[Olivier Bonfond, Et si on arrêtait de payer, pages 18 et 27.]] Quitte d'ailleurs à crier au secours! à l'Etat quand cela ne va plus pour reprendre ensuite le même manège.
La politique néolibérale en Union européenne (UE), c'est l'Angleterre qui en a été le principal moteur depuis son entrée dans la CEE (Communauté économique européenne) en 1975 (qui deviendra l'UE), qui pousse à la diminution de l'Etat, ce «qui a comme conséquence logique que tout soit fait pour favoriser les investisseurs privés» et qui implique aussi qu'il faille en finir avec l'Etat-providence «c'est-à-dire un Etat qui garantit et assure une série de besoins sociaux collectifs» [[Olivier Bonfond, Et si on arrêtait de payer, page 33.]]
Etrangement, l'anglais devient peu à peu la plus importante langue parlée dans les instances européennes alors que (sauf la petite Irlande), le seul pays dont c'est la langue maternelle déteste l'Europe et veut, semble-t-il, la quitter. Avant l'entrée de l'Angleterre, c'était le français qui était la langue principale. Après son éventuelle sortie, ce sera toujours l'anglais. La CIA a financé la propagande en faveur de l'adhésion de l'Angleterre à l'Europe via Paul-Henri Spaak [[Voir dans cet article de Wikipédia, le paragraphe Controverse]], l'homme politique socialiste bruxellois le plus détesté des socialistes wallons les plus à gauche.
Le néolibéralisme (2)
Olivier Bonfond ajoute que le néolibéralisme s'impose aussi à la faveur d'une intense propagande médiatique. Dans la plupart de nos médias en Wallonie, nous entendons dire comme s'il s'agissait d'une évidence, qu'il faut absolument retarder le plus possible le départ des travailleurs à la retraite. On sait que le premier Etat social, l'Allemagne l'avait fixée à 60-65 ans, intéressant calcul puisque c'était aussi à ce moment de la vie que l'on mourait alors. Aujourd'hui que l'espérance de vie augmente, il faut que l'on maintienne le plus longtemps possible les personnes au travail, étant donné que le rapport actifs-non actifs se déséquilibre au détriment de ces derniers?
C'est un raisonnement très étonnant! parce que l'on sait que les personnes libérées de leur travail rendent en réalité d'immenses services à la collectivité. Le Monde a calculé un jour qu'il existait 10 millions de bénévoles en France, soit l'équivalent d'un million d'emplois à temps plein, emplois s'exerçant dans les associations sociales, culturelles, religieuses, sportives, ce qui est d'un apport considérable en termes de richesses matérielles et sociales. Un économiste, dont je n'aurais pas dû oublier le nom, a voulu prendre en compte et tenter de calculer ce qui, même dans nos économies de 2013, relève de l'économie du don (ce qui inclut les bénévoles de ci-dessus, mais aussi les échanges innombrables de savoirs, de savoirs-faire, de productions dans l'ensemble de la vie sociale, dans les familles, mais aussi entre voisins, le travail de rédaction considérable dans le domaine des sciences humaines via les journaux, les revues spécialisées, Wikipédia, travail qui le plus souvent n'est pas rémunéré etc., etc.). Il en est arrivé à conclure que la richesse calculable de cette façon égalait le PIB.

D'innombrables études sont réalisées depuis une décennie pour montrer que le raisonnement qui voudrait qu'il faut diminuer la charge pour l'Etat des retraites, des diverses allocations sociales ne tient - tout à fait absurdement - pas compte du fait que ce coût a tendance à diminuer vu les énormes gains de productivité réalisés grâce aux progrès techniques qui permettent que la richesse globale des sociétés développées double environ tous les 40 ans. Cela a été un jour bien résumé par Le Monde Diplomatique de février 2010, dans un raisonnement simple : «En 1960, nous dit-on, il y avait 4 actifs pour 1 retraité ; en 2000, 2 actifs et en 2020, 1,5. C’est vrai. Mais d’ores et déjà, les deux actifs produisent une fois et demi plus que les quatre d’il y a soixante ans (en raison de la productivité du travail). A l’horizon 2020, un actif produira plus que les deux d’aujourd’hui. Donc il y aura autant de richesses disponibles pour les retraités
Marc Sinnaeve, qui se décrit comme un socialiste non membre du PS a résumé l'an passé les arguments que l'on peut utiliser contre les mesures que prend le gouvernement belge sous la direction d'Elio Di Rupo. Certes, ce qu'il dit ne décrit pas dans le détail les mesures prises par le gouvernement actuel, mais il s'attaque aux raisonnements qui sont à la base de ces mesures. En Wallonie, j'entends à la radio que 35.000 personnes le 1er janvier 2015, surtout les jeunes précarisés et des travailleurs âgés seront privés de toute allocation de chômage. Ils devront dès lors s'adresser pour seulement survivre aux CPAS (Centres publics d'aide sociale), ruinant ainsi les communes. C'est à cette catastrophe que veut s'opposer de toutes ses forces outre les syndicats, un mouvement comme le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, dirigé par Christine Mahy [ Interview dans la revue [TOUDI du 15 mai 2012 ]].
Le Mal est dans l'Union européenne
Il me semble que l'on ne peut plus dissocier l'actuelle construction européenne de la volonté néolibérale de destruction du plus possible d'Etat et surtout d'Etat social. Les partisans de l'Europe unie, arguant de la faiblesse de l'Europe (du point de vue de sa masse critique si l'on veut), mais surtout de ses divisions rapportaient sans cesse le mot de Valéry selon lequel l'Europe finirait par être dirigée par une Commission du Sénat américain.

Elle l'est par la Commission dite «européenne» et c'est peut-être pire encore! Mais il faut rappeler que cette Commission est l'agent le plus actif de l'expansion du néolibéralisme en Europe, néolibéralisme qui selon Jacques Généreux, sait qu'il se heurte de plus en plus aux résistances de plus en plus grandes des peuples européens.
Il écrit et c'est une belle conclusion pour cette chronique : « Dans les vieux pays industriels qui ont initié la mondialisation néolibérale, l'essentiel de la production dépend toujours du marché intérieur ; la plupart des firmes conservent un intérêt premier pour leur activité sur le territoire national. Mais surtout : les systèmes économiques et sociaux restent sensiblement différents d'un pays à l'autre. La fiscalité, la protection sociale, les inégalités salariales, tous ces traits distinctifs d'un modèle de société sont encore très variés, et de très nombreuses études comparatives indiquent que ce sont encore des rapports de force locaux et des cultures locales qui déterminent ces traits. L'Etat-providence hérité du New Deal américain, du programme du Conseil national de la Résistance, du rapport Beveridge au Royaume-Uni, etc., cet Etat social dénigré et attaqué par les néolibéraux, n'a pas été abattu en trente ans de prétendue mondialisation du capitalisme. Certes, il est rogné, comprimé et l'on sait qu'il suffit de réduire un peu la dépense sociale pour aggraver dramatiquement la situation des plus démunis. Mais les structures de l'édifice sont toujours en place, et, aux Etats-Unis, elles viennent même d'être renforcées par une extension de la sécurité sociale publique. C'est précisément parce que les néolibéraux ont en réalité bien du mal à accomplir leur projet face à des électeurs attachés aux biens publics et à la protection sociale, qu'ils ont dû sans relâche mobiliser des forces contraires aux aspirations populaires : la pression de la concurrence mondiale, les exigences des gestionnaires de capitaux, les injonctions de la Commission européenne et du FMI ou encore, dernièrement, le spectre d'une nation en faillite. Et c'est encore parce que, en dépit de ces multiples pressions, leur projet n'a pas suffisamment progressé que, depuis quelques années, assumant le risque de perdre les élections, les néolibéraux tentent le passage en force, bravant l'impopularité, du moment qu'ils peuvent arracher, ici un pan supplémentaire du bien commun, là un bout de nos retraites, du moment qu'ils parviennent à livrer aux marchands un peu plus de nos écoles, de nos hôpitaux et de nos transports collectifs. »
La Wallonie et l'Europe des peuples n'abdiquent pas.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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