Le dévoilement, par le Conseil de la souveraineté le 29 mars dernier, d'un document pédagogique adressé aux enseignants du milieu scolaire québécois, ne fut pas la trouvaille du siècle. Il était évident que le lancement de l'ouvrage intitulé « Parlons de souveraineté à l'école » serait immédiatement crucifié sur la place publique par les fédéralistes.
Jean Charest ne pouvait espérer plus belle occasion pour détourner momentanément l'attention des gens de la déroute qu'il vit, lui et son gouvernement. Incarnant le rôle de la vierge offensée qui lui sied si bien, le député libéral de Sherbrooke y est allé de sa plus belle prestation théâtrale à l'Assemblée nationale pour dénoncer l'initiative des souverainistes tout en sommant André Boisclair de la condamner. Mario Dumont en a remis en affirmant que l'ignoble stratégie du Conseil de la souveraineté était pire que le scandale des commandites. Le p'tit gars de Rivière-du-Loup a toujours affectionné les comparaisons extrémistes : c'est le seul moyen qu'il lui reste pour attirer l'attention des médias et ainsi garder son groupuscule en vie...
Gérald Larose, président du Conseil de la souveraineté, n'a pourtant pas tort d'affirmer que le milieu scolaire que vise sa publication est intoxiqué par la propagande fédéraliste. Celle-ci, insidieuse, est omniprésente! Quel élève n'a pas dans son sac un « cahier Canada? » N'y a-t-il pas la « médaille du Gouverneur » remise à un étudiant méritant du secondaire à la fin de chaque mois de juin? Une multitude de dépliants du fédéral émanant du ministère du Patrimoine aboutissent annuellement dans les écoles du Québec. Il y a sans l'ombre d'un doute une situation de « deux poids deux mesures » dans le domaine de l'éducation au Québec que l'organisme souverainiste a maladroitement tenté de contrecarrer.
Dans ma tendre enfance, alors que je faisais mes premiers pas à l'école élémentaire, j'étais tenu, à chaque début de journée, d'entonner « l'Ô Canada » en classe. Debout, bien droit près de mon pupitre, on m'imposait de chanter cet hymne sans rigoler. Malheur à moi si l'idée d'ajouter la célèbre strophe « crotte de bœufs » devait traverser mon esprit : je recevais alors un bon coup de règle sur les mains! Cet endoctrinement digne de la « Chine communiste », comme le dit si bien le chef de l'ADQ lorsqu'il dénonce le guide pédagogique souverainiste, a bel et bien existé au Québec à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix, alors que culminait la montée de l'idée indépendantiste avec la Crise d'octobre, Crise où furent emprisonnés près de 500 Québécois sans mandat par l'armée de Trudeau. Ces « événements anodins » sont évidemment moins graves que ce qui aurait pu survenir aux enfants du milieu scolaire québécois... Bravo Mario! Que ferait-on sans toi...
Curieux que les députés fédéralistes de l'Assemblée nationale, soucieux de voir les classes des écoles exemptes de tous endoctrinements politiques, n'aient pas dénoncé les enseignants qui ont parlé de « nos athlètes canadiens », durant les Jeux olympiques. N'y a-t-il pas eu à cette occasion de la grossière propagande effectuée par certains d'entre eux? Bien sûr que non. Seuls les enseignants qui ont osé souligner les performances des athlètes québécois sont à blâmer pour leur nationalisme étroit. Cette tare fasciste qui affublerait tous les Québécois est héréditaire, selon le député fédéral indépendant André Arthur, bon ami de Mario Dumont. Voilà le genre d'absurdité que veulent corriger Gérald Larose et ses collègues du Conseil de la souveraineté.
Le guide pédagogique souverainiste ne fait pas partie de la liste de matériel didactique imposé par le ministère de l'Éducation pour atteindre les objectifs d'apprentissage. La publication est donc en vente libre : aucun enseignant n'est tenu de se la procurer. Ceux qui le font sont invités par les auteurs à faire preuve de discernement afin d'éviter de transformer leur acte pédagogique en séance d'endoctrinement. Malgré ces avertissements qui prouvent la bonne foi des gens du Conseil de la souveraineté, les adversaires fédéralistes ont quand même mené la charge que nous connaissons. Avouons que les pages du document qui suggèrent des activités nationalistes aux petits enfants de la maternelle leur ont procuré l'occasion de s'indigner. Était-il nécessaire en effet de prévoir des « exercices » pour les tout petits? Ne fallait-il pas justement faire confiance aux pédagogues qui oeuvrent auprès de cette jeunesse pour expliquer le sens à donner à la Fête nationale?
J'enseigne à des finissants d'une école secondaire depuis un certain temps. Aucun d'entre eux ne se doute que je travaille à accélérer la marche du Québec vers sa liberté. En classe, je me contente de présenter les faits que l'actualité politique m'amène. Habituellement, cela suffit pour épouser l'objectif souverainiste... Dernièrement, plusieurs de mes étudiants ont découvert sur internet que j'écrivais un peu partout. Ils m'ont dit avoir déniché mes activités politiques dans le cadre de leurs cours de journalisme, lors de recherches informatiques au sujet de l'indépendance du Québec. J'ai alors répondu que cela appartenait à mon « autre vie. » Que mon souci de professionnalisme me commandait de ne pas en souffler mot en classe afin de ne pas être accusé de partisanerie indépendantiste auprès de jeunes qui n'ont pas tous assez de « maturité politique » pour entendre mon discours. Mes collègues de travail qui sont souverainistes agissent exactement comme moi. Voilà ce à quoi Gérald Larose fait référence lorsqu'il affirme croire au gros bon sens des intervenants en milieu scolaire. S'il pense ainsi, était-il obligatoire, encore une fois, que les activités du guide pédagogique s'adressent minutieusement à l'ensemble de la clientèle estudiantine du réseau scolaire québécois?
Le président du Conseil de la souveraineté voulait lancer un pavé dans la mare avec la parution du document « Parlons de souveraineté à l'école. » L'homme n'a pas menti puisqu'il n'a aucunement hésité à rencontrer les médias qui ont voulu débattre avec lui de l'ouvrage souverainiste. Gérald Larose ne s'est pas défilé devant toutes les tribunes qui lui ont été offertes pour défendre le point de vue de l'organisme indépendantiste qu'il dirige. Il faut saluer son courage car peu d'appui lui est parvenu depuis la mise en marché du document pédagogique : même André Boisclair, chef du Parti québécois, l'a laissé tomber. Le dirigeant du PQ aurait tout de même pu nuancer quelque peu son commentaire en avouant qu'il y a bel et bien dans les écoles un grossier déséquilibre au chapitre de la visibilité des camps politiques qui s'opposent, au profit des fédéralistes. Ce que le sénateur libéral Jean-Claude Rivest n'a pas hésité de souligner lundi dernier...
L'empoisonnement idéologique canadien y est bien réel. Tellement réel que Statistique Canada avoue, dans sa dernière étude, que trois enfants d'immigrants sur quatre au Québec préfèrent utiliser l'anglais à la maison comme langue d'usage. C'est donc dire que 56% de leurs parents nés à l'étranger qui ont plutôt adopté la langue française, n'ont d'autres choix que de communiquer avec leur progéniture dans la langue de Shakespeare. Il est certain que ce pourcentage va s'éroder rapidement. Tant et aussi longtemps que le peuple québécois conservera son statut de minorité, il ne parviendra pas à imposer sa culture, ni dans les écoles. La loi 101, dorénavant en lambeaux, ne peut plus corriger cette réalité.
Si Gérald Larose désire que l'on discute de souveraineté dans les écoles et partout au Québec, il doit plutôt faire pression sur le Parti québécois pour qu'il cesse d'occulter ce projet derrière un référendum dont personne ne veut. Le président du Conseil de la souveraineté a plutôt intérêt à convaincre les députés souverainistes de donner la liberté aux Québécois de trancher sur leur avenir politique par voie élective, dès le prochain scrutin. Chasser donc « le spectre de la dernière chance » qui colle dorénavant à l'exercice référendaire, expliquant le peu d'enthousiasme que manifestent les Québécois à l'idée d'en risquer un troisième sans lendemain. Remettre entre leurs mains la possibilité de briser l'état de mendicité dans lequel ils se trouvent face à Ottawa suscitera des échanges souverainistes partout au Québec. Des dialogues concrets puisque la perspective de changement sera réelle, à nos portes : il n'en tiendra qu'aux Québécois d'y souscrire. Voilà ce à quoi les membres du Conseil de la souveraineté doivent s'affairer, s'ils veulent entendre parler de souveraineté.
Patrice Boileau
Carignan, le 2 avril 2006
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