Opération sauvetage

Géopolitique — Proche-Orient


ÉDITORIAL - L'évacuation des Canadiens qui désirent fuir le Liban s'avère difficile, beaucoup plus difficile que prévu. Par la force des choses, il s'agit d'une opération improvisée soumise aux aléas du conflit entre Israël et le Hezbollah. Plusieurs jours seront nécessaires avant qu'elle ne soit complétée, un retard qui nourrira la critique envers le gouvernement Harper.
Ce n'est pas la première fois que la réaction du gouvernement pour venir en aide à des citoyens canadiens se trouvant en danger à l'étranger tarde à venir. Les touristes canadiens victimes du tsunami qui frappa les côtes de la Thaïlande en décembre 2004 ont gardé un souvenir amer des difficultés qu'ils ont eues alors à obtenir le soutien qu'ils souhaitaient de l'ambassade canadienne. Des critiques furent aussi entendues lorsque l'évacuation de la centaine de Canadiens victimes de l'ouragan Katrina en Louisiane et au Mississippi prit du retard. Y firent écho à l'époque les partis politiques d'opposition, et au premier chef le porte-parole conservateur pour les affaires étrangères, Stockwell Day, dont le parti au pouvoir aujourd'hui se voit servir la même médecine.
Dans la situation actuelle, il faut faire la part des choses dans tout ce qui est dit et écrit. Certes, il faut comprendre l'émotion ressentie par ces personnes qui attendent un bateau pour les éloigner de Beyrouth. Pour elles, ce n'est rien d'autre que l'enfer, comme on peut l'imaginer facilement. Ces gens vivent une angoisse profonde causée par une attente qui se prolonge et un état de guerre qui est tout sauf une vue de l'esprit. En revanche, une opération de l'envergure de celle qui est nécessaire pour évacuer des milliers de personnes comporte un niveau de difficultés très élevé. Présentement, les autorités canadiennes font tous les efforts qu'ils peuvent dans les circonstances. Le premier ministre Harper a raison de signaler qu'il s'agit de la plus vaste évacuation à laquelle le Canada ait jamais été confronté.
Bien réel aura été toutefois l'état d'impréparation du gouvernement canadien à cette crise, comme l'ont illustré les portes closes de l'ambassade canadienne à Beyrouth, et l'incapacité du ministère des Affaires étrangères à garder trace des appels logés par les Canadiens depuis le Liban, à qui on apprenait que leurs noms n'étaient pas sur la liste de ceux qui demandaient d'être rapatriés. Ici, l'argument du «qui aurait pu prévoir» ne tient pas. Il est de la responsabilité des gouvernements de prévoir l'imprévisible. Toutes les grandes entreprises ont ce qu'on appelle des plans de contingence pour parer aux situations qui pourraient interrompre leurs activités. Prévoir le pire est ce qu'on attend d'organisations comme la Protection civile. Elles ne peuvent pas toujours prévoir quand le pire arrivera, mais lorsqu'il est là, elles savent comment réagir, ce qui n'a pas été le cas du ministère des Affaires étrangères, qui devra refaire ses devoirs.
Peut-on excuser cette inconscience? - car il s'agit bien d'inconscience. Une excuse facile serait de l'attribuer au sentiment pacifiste qui anime une forte majorité de Canadiens et leur fait croire que leur pays est à l'abri de toutes ces crises qui secouent le monde. Une confortable bulle, quoi! Qui se soucie vraiment des crises qui secouent régulièrement le Moyen-Orient, si ce n'est pour se plaindre de leur impact sur le prix de l'essence? Le Canada n'est pas la France ou l'Angleterre, pays qui doivent régulièrement rapatrier leurs citoyens lors de crises affectant des pays qui furent autrefois leurs colonies. Cet état d'esprit ne peut qu'influer sur la machine gouvernementale qui, dans le cas présent, aura - inconsciemment - sous-évalué l'ampleur de la crise qu'annonçait ce nouvel affrontement entre Israël et le Hezbollah.
L'insensibilité manifestée par Stephen Harper aux premiers appels à l'aide de Canadiens victimes des bombardements peut s'expliquer ainsi. Préoccupé par les grands enjeux stratégiques qui le poussent à appuyer Israël, il ne pouvait - et ne voulait - voir la tragédie que nos correspondants décrivent si bien dans la page Idées aujourd'hui. Le détour qu'il a décidé d'effectuer par Chypre pour prendre à bord de son avion un groupe de 120 rapatriés pour les amener au Canada montre qu'il a compris son erreur. Ce geste du premier ministre ne vise pas qu'à manifester l'empathie à laquelle auraient dû avoir droit dès le départ ses concitoyens victimes d'un conflit qui les dépasse. Cette opération de sauvetage vise aussi à rétablir son image.


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