Nouveau blocage grave

Chronique de José Fontaine

Ce lundi 4 juillet, après sept semaines de travail, le président du PS wallon, chargé par le roi d'une mission d'information, publiait une note de travail en vue de préparer la formation d'un gouvernement.
Accord de 7 partis, rejet du plus important parti flamand
Elle a été acceptée par 4 partis wallons et francophones (socialistes, libéraux, verts et démocrates-chrétiens), et 3 partis flamands (socialistes, libéraux et verts), mais rejetée, ce jeudi 7 juillet, par le plus important parti flamand la nationaliste NVA de Bart De Wever, le deuxième en importance, les démocrates-chrétiens du CD&V, fort divisés, n'osant répondre ni oui ni non et craignant les conséquences électorales d'une rupture d'avec la NVA, les élections communales ayant lieu l'an prochain. Bart De Wever fut d'abord tenté de dire oui tellement le président du PS avait multiplié les concessions, y compris sur le plan social (en vue de l'assainissement budgétaire), au point de se voir vomi par les syndicats. Et aussi sur le plan communautaire. Mais Elio Di Rupo proposait également des mesures fiscales (toujours en vue de l'assainissement budgétaire), frappant les hauts et moyens revenus, notamment sur les placements en actions, ce qui atteignait la clientèle électorale de la NVA, parti très à droite sur le plan économique et social.

Il faut dire d'ailleurs que les libéraux flamands ont cependant considéré la note comme une bonne base de travail en vue de la formation d'un gouvernement belge qu'il semble impossible de former depuis les élections de juin 2010. Ou même depuis plus longtemps encore, la période entre les élections de 2007 et les élections anticipées de 2010 ayant vu aussi de très longues négociations infructueuses et la chute de plusieurs gouvernements en un peu plus de 24 mois. Bien que la situation de la Belgique soit infiniment plus saine que celle de la Grèce, de l'Espagne, de l'Irlande ou du Portugal, on craint cependant que les agences de notation ne finissent par dégrader la dette publique belge et n'affolent les marchés ce qui aurait pour conséquence d'augmenter catastrophiquement le taux auquel la Belgique devrait emprunter. Cela aurait des conséquences sur la Belgique, mais également sur l'ensemble de l'Europe (quand on voit que la seule Grèce, pesant pourtant bien moins que la Belgique, menace tout le système européen).
Faire un gouvernement sans la NVA?
Certains partis flamands suggèrent cette fois de faire un gouvernement sans la NVA. Ce gouvernement qui, pour sortir de la crise actuelle qui est tout autant économique que communautaire, doit nécessairement prendre des mesures d'assainissement budgétaire, mais aussi réformer l'Etat belge ce que réclament tous les partis flamands depuis 1999. Politiquement et juridiquement, pour atteindre cet objectif, il faut réunir les deux-tiers des sièges au Parlement et la majorité dans le groupe linguistique wallon et francophone de même que dans le groupe linguistique flamand. C'est possible sans la NVA (quoique cela donnerait à celle-ci l'avantage d'une opposition risquant d'être populaire), mais pas sans le CD&V.
Il ne faut pas oublier non plus que les dispositions constitutionnelles belges assurent la continuité de l'Etat ou des Etats belges via les gouvernements régionaux, parfaitement souverains, et qui détiennent déjà la moitié des compétences étatiques. Et via le gouvernement démissionnaire d'avant les élections de juin 2010 qui assure la gestion des affaires courantes et au-delà avec l'approbation du Parlement fédéral élu en juin 2010 (il s'est même engagé dans des opérations militaires en Libye!).
Le coupable est-il Bart De Wever?
Bart De Wever estime qu'il a eu raison de dire non, car les négociations qui se seraient entamées sur la base du texte de Di Rupo auraient pu difficilement aboutir (des notes un peu plus proches du point de vue flamand, comme celle du socialiste flamand Johan Vande Lanotte, ont d'ailleurs été rejetées début janvier). Mais le fait est que le blocage politique fédéral belge ne peut pas durer éternellement et qu'aller à des élections fédérales sans qu'un gouvernement ait pu être formé à la suite des élections de juin 2010 (il y a 13 mois!), serait sans précédent dans l'histoire de Belgique. Elles risqueraient d'amener à des situations encore plus conflictuelles, car la difficulté centrale de la politique belge ne tient pas qu'à la question nationale.

Le parti dominant en Flandre est tout aussi opposé au PS wallon sur le plan économique que sur la manière de réformer l'Etat belge. Dans un contexte plus dramatique que celui d'aujourd'hui, l'activation actuelle de tout ce qui divisent les Belges entre eux (facteurs économiques, ethniques, politiques, autrefois religieux), fait penser à la question royale de 1950 dont la solution avait été trouvée à la veille d'une insurrection de la Wallonie (et non pas vraiment d'une guerre civile comme on le dit souvent). Il est presque certain qu'aujourd'hui, Bart De Wever soit ressenti en Wallonie comme le responsable des difficultés présentes, tandis que, semble-t-il, il garde la confiance d'une majorité de Flamands. Mais on peut se demander si d'autres responsabilités ne sont pas à chercher.
La responsabilité des partisans de l'unité belge
Depuis que la Belgique existe, politiquement, idéologiquement, économiquement, des énergies folles ont été déployées par les tenants de l'unité belge pour nier la dualité belge qui oppose manifestement deux sociétés très différentes, la Flandre et la Wallonie, à peu près sur tous les plans et depuis même avant la création du pays. La politique unitariste n'a pas été sans faire d'énormes dégâts. En Flandre par le mépris instauré sur la langue de ce peuple (que les quatre premiers rois des Belges ne parlaient même pas vraiment). En Wallonie, par la mise en minorité de ce peuple, travaillé par les mouvements socialistes et ouvriers et leurs expressions politiques auxquels on préférait le lourd et conservateur catholicisme flamand, d'ailleurs fortement majoritaire en Flandre et disposant de l'alliance d'un parti frère en Wallonie (pas toujours conscient du rôle antiwallon qu'il jouait de fait, et pas toujours conscient de la bombe à retardement pour l'unité belge que cela constituait). Quand cette tension profonde, fondamentale en Belgique a finalement dépassé les limites du supportable, les partisans de l'unité belge ont accepté avec les plus grandes réticences la mise en place d'un fédéralisme (avec des traits de confédéralisme), dont ils ont sans cesse tenté de ralentir la réalisation progressive. C'est certainement vrai des présidents de partis wallons et francophones depuis 1999 (dernière grande réforme de l'Etat belge), toujours en place aujourd'hui (ou avec des successeurs qui leur ressemblent), mais cette politique a peu à peu mené à exaspérer considérablement la Flandre désireuse de poursuivre le chantier fédéraliste et confédéraliste. Exaspéré aussi une forte minorité wallonne désireuse d'autonomie, minorité moins forte que la minorité wallonne nostalgique de l'unité belge qui est celle qui détermine à coup sûr la politique belgicaine menée côté wallon et dont les derniers événements démontrent la faillite totale. L'analyse que je fais, qu'exprime l'hypothèse de ces deux minorités wallonnes, se fonde sur l'examen de diverses forces politiques, syndicales, intellectuelles en Wallonie que reflète un sondage extrêmement fouillé et soigné du plus important journal wallon L'Avenir qu'il a eu le mérite de produire au début de cette année.
Des dirigeants wallons à la remorque des nostalgies belgicaines
Il ne faut pas oublier que deux fortes personnalités wallonnes, Laurette Onkelinx et Joëlle Milquet ont été vues, chantant à tue-tête l'hymne national belge - la Brabançonne dont presque personne ne connaît les paroles - sur la Place des Martyrs (où sont enterrées les victimes de la Révolution de 1830), en septembre 2007, avec un comparse libéral.
Pour moi, ces nationalistes belges, ces nostalgiques d'une Belgique unie qui ne l'a jamais été que superficiellement ou faussement, sont au moins autant responsables que Bart De Wever des blocages actuels qui risquent de créer bien des difficultés alors que les profondes réformes déjà accomplies dans l'Etat belge permettent, sur bien des plans, à une Confédération d'Etats indépendants de fonctionner à l'interne, mais jouit également de dispositions ingénieuses sur le plan juridique, politique, économique (déjà d'ailleurs éprouvées), pour s'insérer dans le contexte international européen et mondial sans graves secousses. Et de toute façon, aujourd'hui, on sait qu'il n'y a pas d'autre avenir possible pour la Belgique que sa division en une confédération d'Etats indépendants et coopérants. On dirait que certains ne veulent pas le voir, ce que révèle la question souvent posée de l'éclatement - ou pas - de la Belgique. Cette question n'a pas de sens. La Belgique ne va pas exploser, mais devenir lentement une coquille vide. Autant y préparer les Wallons et tous les autres. Ce serait plus sage. Qu'on en finisse bon Dieu! avec cette Brabançonne inchantable, exaltant l' «invincible unité» de la Belgique!

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    11 juillet 2011

    Quand je parle de confédéralisme belge, je n'émets pas un voeu ni ne propose un projet, je constate simplement ce que la plupart des spécialistes ont déjà dit: Voir http://www.vigile.net/Les-Regions-belges-sont
    Il faut ajouter à cela que ce mélange de fédéralisme et de confédéralisme est unique au monde, ce qui explique sans doute que l'on n'ait as de mot précis et répandu pour le définir. Il en va d'ailleurs de même de l'Europe. L'Europe n'est pas un Etat fédéral, on pourrait se dire que c'est une confédération mais en Europe, jusqu'à un certain point le droit communautaire prime sur le droit national. Ce qui amène d'ailleurs certains militants européens à prouver (par l'exemple belge où une telle primauté n'existe pas), que l'Europe serait une fédération (la citation ad hoc est dans l'article de Wikipédia sur le fédéralisme belge).
    Le ''Mouvement du Manifeste wallon'' (qui réunit régulièrement des cadres de la FGTB wallonne et de la CSC, d'anciens Présidents wallons et des intellectuels), est vivement opposé à l'idée d'une Fédération Wallonie-Bruxelles à quoi s'opposent aussi les Bruxellois régionalistes.
    Le fait que la Belgique ait de telles structures fait comprendre que l'éclatement brusque de la Belgique est peu probable puisque les dispositions constitutionnelles actuelles permettent de faire de cet Etat une coquille vide qui restera certes théoriquement alors un Etat unique, mais pas dans les faits.

  • Archives de Vigile Répondre

    10 juillet 2011

    << Et de toute façon, aujourd’hui, on sait qu’il n’y a pas d’autre avenir possible pour la Belgique que sa division en une confédération d’Etats indépendants et coopérants. >>
    Le confédéralisme ne peut pas fonctionner non plus, il n'y a d'ailleurs pas d'exemple de Confédération d'Etat qui a fonctionné, même pas la Suisse. La seule solution pour les nationalistes flamands est la scission de la Belgique. Il ne faut pas non plus dire les nationalistes belges pour Onckelinckx et Milquet, c'est faux et exagéré, les partis francophones sont pour une Belgique fédérale, unie. C'est leur droit. Je trouve qu'on galvaude beaucoup trop le mot nationaliste. Ce qui amène à vouloir dire que les partis francophones sont nationalistes comme le Vlaams Belang et la NVA !!! C'est tout aussi faux et insultant pour nos partis démocratiques. La NVA est devenue nationaliste par l'adhésion de militants du VB, du VVB, du TAK, du VMO, etc ... Nous l'entendrons certainement dans les discours de ce 11 juillet fête nationale flamande.
    Comme dit Jean Quatremer de Libération au sujet de ces partis flamands : “Autant de crises qui ont un point commun : le refus de la solidarité entre riches et pauvres, la certitude que seuls on s’en sort mieux, le rejet de l’autre. On sait où cela a mené l’Europe dans le passé”. Mais, ne peut-on dire la même chose des indépendantistes wallons? Si la Flandre prend son indépendance, c'est une belle occasion de créer une nouvelle Belgique fédérale à 3 : la Wallonie, Bruxelles et la communauté germanophone. Voilà ce que nous pensons, socialistes wallons régionalistes, la solidarité entre les 3 régions citées.

  • Archives de Vigile Répondre

    9 juillet 2011

    Et pendant ce temps-là, le peuple islandais, après avoir fait un pied-de-nez aux banques et institutions financières privées en refusant d'absorber leurs dettes, sont en train de montrer aux autres peuples de la planète le chemin de la vraie liberté en rédigeant une e-constitution sur Internet.
    On est loin de la royauté belge et du panier de crabes des partis politiques belges.
    Quand au peuple québécois, quand on le compare au peuple islandais, j'en ai honte. Plus colonisés que cela, tu meurs.
    Pierre Cloutier ll.m
    avocat à la retraite