Les Régions belges sont souveraines

Chronique de José Fontaine


D'une manière qui n'a (à mon sens), rien d'étonnant, la semaine passée, le Ministre-Président flamand Kris Peeters a annoncé qu'il désirait que le protocole change en Belgique et qu'il puisse recevoir les Premiers ministres étrangers sans passer par le fédéral quand il s'agit de matières dans lesquelles la Flandre est compétente. La RTBF, notamment, a commenté cette exigence en disant que vu la crise politique belge actuelle, cette déclaration n'était pas opportune.
Est-il inopportun de se conformer à la Constitution?
Pourtant depuis 1994 - 1994! soit 17 ans! - la Constitution belge est claire à cet égard, claire pour les juristes au moins et les spécialistes (mais pas toujours pour les citoyens, j'y reviendrai) : l'exercice des compétences diverses (et de plus en plus nombreuses), par les entités fédérées se prolonge totalement sur la scène internationale. Une situation que C.E. Lagasse considère comme unique pour ce qui est des Etats fédéraux dans le monde, même lorsque ceux-ci ont réellement des relations extérieures (1). En disant cela, je pense au Québec dont le Premier ministre a été reçu récemment en Belgique avec une immense photo en p. 2 de La Libre Belgique, exactement (sinon protocolairement), comme s'il s'agissait du Premier ministre à part entière d'un Etat étranger.
Vincent de Coorebyter, directeur du CRISP (Centre de recherches et d'informations sociopolitiques), le politologue le plus écouté en Wallonie et à Bruxelles a pu écrire en 2008, dans La Revue Nouvelle, p. 42: «Dans l'exercice de leurs compétences, les Communautés et les Régions sont souveraines. Exactement comme un Etat est tout à fait indépendant dans sa sphère de souveraineté, même s'il est par ailleurs membre d'une confédération. C'est le cas depuis 1994...».
Comment, dès lors peut-on juger à la RTBF par exemple que la déclaration de Kris Peeters ne serait pas opportune, étant donné la crise belge actuelle? Puisqu'elle est en exacte adéquation avec la Constitution belge? J'ai été un certain temps mal vu dans l'une des écoles où j'enseigne parce que je présentais les Institutions belges dans le droit fil de l'interprétation qu'en a donné Vincent de Coorebyter en 2008. Le tort, peut-être, c'est le fait que j'aie commencé à le faire longtemps avant lui (et son tort est de ne l'avoir pas dit plus vite...). La présentation du Portail de la Wallonie sur Wikipédia allait aussi dans le même sens et a été complètement modifiée par un contributeur de bonne foi qui estimait que la présentation qui était faite de la Wallonie, donnant le sentiment que la Wallonie est un Etat souverain, était malhonnête. Pourtant cette présentation (que l'on peut retrouver dans l'historique du Portail), disait simplement ce que Kris Peeters dit ou Vincent de Coorebyter.
Ce qui frappe aussi, c'est que l'on pourrait montrer qu'un Jean-Maurice Dehousse, le premier Ministre-Président d'un gouvernement wallon parfaitement autonome, s'est battu pour que la Constitution belge maintienne cet aspect de confédération qu'elle a incontestablement. Son père ayant été lui-même, l'auteur d'un projet fédéraliste de la même orientation confédéral(ist)e en 1947. Ce projet proposé au parlement belge, mais ne fut même pas pris en considération, les Flamands et une majorité des Bruxellois francophones en rejetant le principe face à une majorité de députés wallons.
Exemples de lois qu'on hésite à rendre publiques
J'ai le vague souvenir qu'il avait été question, lors de la libéralisation de la contraception en France dans les années 60, que cette loi ne pourrait pas faire l'objet de "publicité". Ou - il y a au moins analogie ici - à partir d'une certaine époque, les exécutions capitales en France ne pouvaient plus être publiques. Mais quand un Etat est gêné de faire savoir quelles sont ses lois et quelles en sont les conséquences, c'est qu'il n'est pas très cohérent. Ou qu'une évolution est en cours. Pour la peine de mort en France, nombre de ses adversaires ont fait valoir que la non-publicité donnée aux exécutions capitales manifestait bien qu'il existait un courant républicain profond en faveur de la disparition de cette peine abjecte (dont la théâtralisation est d'ailleurs un lynchage, de fait). Pour ce qui est du réel statut de la Wallonie, je continue à penser qu'il existe chez ses responsables un malaise réel à exercer les responsabilités qui sont les leurs en pleine lumière. On peut bien penser que leur gêne peut venir de réticences profondes dans une part de l'opinion publique qui n'est pas majoritaire, semble-t-il, selon un sondage vraiment clair de L'Avenir, mais qui est une forte minorité face à une autre minorité parfois presque aussi forte. On pourrait faire valoir aussi que le rapport de force avec la Flandre est, sur le plan économique et financier, pour le moment défavorable à la Wallonie, une Wallonie indépendante étant difficilement envisageable selon certains (ce que contestent d'autres analyses de moindre notoriété). Mais de toute façon, dans l'Union européenne telle qu'elle est, la Flandre est bien incapable (voyez les ennuis que peut provoquer la Grèce pour l'ensemble d'un Continent qui est la première puissance économique mondiale), de laisser tomber la Wallonie et de prendre son indépendance sans courir des risques énormes. Et pas seulement la perspective de "perdre" Bruxelles par le fait même (la population bruxelloise quasi entièrement francophone ne voulant absolument pas faire partie de la Flandre, ni d'une Flandre autonome, ni d'une Flandre indépendante, ni d'ailleurs de la Wallonie).
La capacité "catholique" de refuser les évolutions
On pourrait donc avancer l'idée que les dirigeants wallons ne prennent pas leurs responsabilités. D'autant plus que les grandes forces sociales organisées en Wallonie, ont mis au point avec le pouvoir politique un plan ambitieux de relance de l'économie à long terme, plan de relance qui, dit-on, supposerait la mobilisation de la population wallonne toute entière. Mais ces dirigeants s'illusionnent s'ils croient pouvoir en bénéficier alors que cette population croit toujours que le seul pouvoir politique réel en Belgique est le pouvoir national belge, le roi etc. Même des fonctionnaires wallons de haut niveau continuent à raisonner comme cela, alors que leur tâche consiste à faire fonctionner non pas la Belgique, mais la Wallonie. Cette réticence à accepter le caractère confédéral de la Belgique et, par conséquent, le statut d'Etat quasi indépendant de la Wallonie n'arrange pas non plus l'accord à obtenir pour la formation d'un gouvernement fédéral belge. Je suis persuadé que certains politiques wallons espèrent encore que la Wallonie ne deviendra pas plus libre et indépendante qu'elle ne l'est. Et leur attitude néfaste pour la Wallonie est également une attitude néfaste pour l'entente entre Belges. Depuis le Concile Vatican II, on sait comment une minorité puissante (dans le cas du Concile, les évêques conservateurs) peut saboter le travail d'une majorité (dans le cas du Concile, les évêques progressistes). Il suffit de parvenir à des textes si alambiqués qu'ils n'indiquent pas clairement la direction à prendre, à un tel point qu'ils peuvent même être utilisés en vue de contredire l'esprit dans lequel la majorité les avait votés. Et il suffit (si l'on peut dire), de se croire inspirés directement par "Dieu". Catholique moi-même, j'ai rencontré, souvent, soit directement, soit à travers les médias, ces catholiques conservateurs. Parmi lesquelles les Français sont peut-être les pires. Notamment parce que, chez eux, leur conservatisme religieux (qui ne l'est pas toujours: l'exemple de Maurras, catholique sans foi est assez extraordinaire), s'allie à un rejet profond de la Révolution française, de la République, de la la laïcité, du Concile Vatican II etc. Et aussi, ce qui est sans doute plus important que tout, tout en étant très étonnant, des deux versets du Magnificat: ceux où la Vierge se réjouit de l'abaissement des puissants et du renvoi des riches. Mais la Vierge était-elle inspirée par Dieu si elle exprimait de tels propos?
D'un point de vue, plus pratique, le travail déjà ancien du linguiste internationalement connu (et notamment au Québec), Jean-Marie Klinkenberg demeure - malheureusement! - d'actualité. Car il indique comment concrètement peut parfois s'opérer la résistance au changement à travers des textes, pourtant profanes (la Constitution belge ignore à, juste titre le mot Dieu, alors qu'elle fut votée - en 1830 ! - dans un pays à 99% catholique) rendus quasi sacrés.
(1) Charles-Etienne Lagasse, Les nouvelles institutions de la Belgique et de l'Europe, Erasme, Namur, 2003.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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2 commentaires

  • José Fontaine Répondre

    4 juillet 2011

    Ce n'est pas impossible parfois que cet immobilisme soit celui d'une glace qui fond lentement. J'ai vu Paul Furlan dans le métro de Paris aller voir la publicité touristique faite pour la Wallonie (qui intéresse peu les Français comme destination touristique pour le moment et je le comprends, cela fait partie du problème politique wallon). J'ai vu aussi le concepteur de la campagne indiquant comment il avait cherché à donner une identité à la Wallonie. Mais ce qui est rageant, c'est qu'il faut souvent recourir à ces démarches fort commerciales pour convaincre que le fait d'exister a des conséquences concrètes comme si le point de vue moral et politique était, lui, insuffisant pour convaincre. Etrange...

  • Archives de Vigile Répondre

    2 juillet 2011

    La négation d'une situation de fait ainsi que le refus d'écouter une vox populi de plus en plus précise, ne saurait mener qu'à un accroissement des partis extrêmes, de droite surtout.
    Voyez pour cela entre autres la Flandre, l'Italie, l'ex-Yougoslavie, le Royaume Uni, la France....
    Ces refus-là sont donc de la responsabilité écrasante de ce qu'il faut aujourd’hui bien appeler un classe politique inchangé et difficilement variable en notre région (les Wallons sont le plus ‘fidèle’ électorat de l’OCDE).
    Aussi longtemps que cette classe politique refuse d’aller de l’avant, continu de nier les besoins de leur région, aussi longtemps l’immobilisme ‘belge’ continuera à étrangler notre région.
    JD