Nous, les lamantins du Québec...

Eh bien, que je lui ai dit, pour tout lamantin qui se lamente, il y a cent Québécois qui se meurent de mort lente.

Chronique de Jean-Pierre Durand


L’autre jour, devant l’entrée du pavillon Hubert-Aquin de l’UQAM, comme par exprès, un jeune homme muni d’une planchette m’aborde en anglais pour me demander de signer une pétition. Interloqué par le fait qu’il s’adresse à moi dans la langue du Pascale Picard Band, sans que j’aie eu besoin au préalable de « press nine », je lui demande tout bonnement s’il parle notre langue indigène. Il répond « Une petite peu », ce qui est à peu de choses près l’équivalent du « J’me débrouille » chez le francophone à qui l’on demande s’il parle anglais. Sauf que dans ce cas-ci, le « petite peu » était, ma foi, si petite qu’il aurait mieux valu le remplacer par « pas une saprée miette ! ».
Comme j’étais somme toute curieux de savoir de quelle pétition il en retournait, je décidai de remiser ma propre langue dans le placard et de faire usage, une fois n’est pas coutume, de la voix de mon maître. Tout ce qui suit est donc une traduction libre de l’anglais… et, à vingt cennes le mot, vous verrez qu’on ne compte pas les tours.
Sa pétition portait sur la protection des animaux en voie d’extinction. À l’en croire, une partie du cheptel à poils et à plumes de l’arche de Noé courait à sa perte. L’oncle Pierre en moi était d’accord pour signer, bien sûr, sauf que, minute papillon ! le texte de la pétition qu’il me présentait n’était rédigé qu’en anglais. Ça regardait mal. Le jeune homme crut bon de se justifier en expliquant qu’il étudiait à McGill et que, de toute façon, il venait de la Floride, comme si cela lui donnait un privilège aussi assurément qu’un coup de soleil sur le coco. Je lui appris ce que toute personne normalement constituée devrait connaître, avant même de franchir le tourniquet de l’aéroport P.E.T. (ou F.A.R.T. Airport), à savoir qu’au Québec c’est en français que cela se passe, que ça passe ou que ça casse. Capice ? comme on dit à la Tratoria di Mikes. Vous concéderez avec moi que, à moins d’être éditorialiste à La Presse, pas besoin de s’appeler Mario Beaulieu pour comprendre cela.
Loin de le décontenancer, mon commentaire tomba à plat et, blindé de son ignorance crasse, il crâna que l’important était de défendre les bêtes et blablabla, pas de se chamailler pour des peccadilles, re-blablabla. Pour tout vous dire, j’avoue que là, il venait me chercher… et il allait me trouver ! Avec un regard méchant comme une teigne, je lui dis qu’il n’était pas question que j’appose ma signature à ce document tant qu’il ne me serait pas présenté en français. Bref, je persiste et je… ne signe pas. N’importe qui d’autre aurait passé son chemin, mais notre homme avait son petit laïus tout arrangé d’avance pour me faire péter les plombs. Dites-le donc que vous vous en foutez comme de l’an quarante des animaux en voie d’extinction, me répondit-il avec son petit air digne des « grosses maudites anglaises de chez Eaton », dont parlait l’ancien ministre libéral Pierre MacDonald, il y a une couple d’années.
Plutôt que de fulminer, je pris une grande respiration et vidai mon publi-sac. Sache, mcgillois de mes deux, que les Québécois sont une espèce rare aussi menacée que le suceur cuivré, la baleine à bosse, le panda géant et le poulet frit du Kentucky (je n’étais pas à court d’arguments, mais mon bestiaire était par contre plutôt limité). Que les Québécois pourraient disparaître aussi vite que le dodo de l’île Maurice, le bison et sa bisoune, le tigre de Tasmanie ou les langoustines du Buffet Chan de Repentigny. Bref, que ça allait mal à shoppe. Yankee Doodle resta de marbre, inatteignable comme le trou du centre dans un tournoi de poches babette. Mais vous n’êtes pas quand même pas des animaux, cessez ce cirque, ânonna-t-il comme le mauvais acteur qu’il était.
Comme ça, nous ne sommes pas des animaux ? Pourtant, Mordecai Richler a déjà dit que les Canadiennes françaises donnaient bas comme des truies. On nous a aussi souvent traités de « frogs », comparés à des moutons et fait travailler pour des pinottes. John A. Macdonald, qui, en passant, était le cousin de la fesse gauche de Ronald, a déjà déclaré que quand bien même tous les chiens du Québec aboieraient, Louis Riel serait pendu… Et dans cette entreprise de dupes appelée la Confédération, les nôtres n’ont-ils pas été plus souvent qu’à leur tour les dindons de la farce ? Alors, pour la protection des animaux, tu feras comme les Chinois et tu repasseras.
J’étais parti pour aller en prolongation. Peux-tu comprendre, à tout le moins te faire à l’idée, que notre peuple en est arrivé dans ses derniers retranchements ? Que le français, que l’on entendait naguère partout dans les bayous, dans les plaines de l’Ouest, dans les petits Canada de la Nouvelle-Angleterre et jusque dans la cour de Wilfred Le Bouthillier, eh bien, cette histoire de français commence à avoir de la barbe. Et bientôt, si on n’y prend garde, c’est tout le Québec qui sera de l’histoire ancienne. Montréal, ta langue fout le camp ! Et peux-tu me dire qui, à part Jean Coutu, parle encore la langue des Lakotas, depuis que Floyd Crow Westerman a cassé son calumet ? Et toi, descendant des massacreurs de Sitting Bull et des amis de Gabriel Dumont, t’es planté là avec ta pétition en anglais et tu voudrais que je la signe ? Pantoute ! Débarrasse le plancher, tu me fais de l’ombre !
Je sentais qu’il était remué, car son air fendant laissait maintenant place à un regard de grand dadais complaisant. Il ne fallait surtout pas que je lâche la patate si près du but. Je me suis rappelé d’un voyage en Floride alors qu’une campagne « Save the manatee » battait son plein. Le lamantin (« manatee » en angliche) est un gros mammifère aquatique, une espèce menacée, pour qui tous les Floridiens – que le grand cric me croque si je mens – craquent comme autant de Solange Chaput-Roland devant les Rocheuses. Eh bien, que je lui ai dit, pour tout lamantin qui se lamente, il y a cent Québécois qui se meurent de mort lente. Sans m’en rendre compte, la fibre floridienne en lui avait été excitée, les aboiteaux de son indifférence avaient cédé, je voyais déjà perler dans son visage les fameuses larmes de crocodile des Everglades. Sans un mot, il me serra la pince et plia bagage. Je partis de mon côté, avec la satisfaction du devoir accompli. Dans Montréal qui s’anglicise, il me restait encore des milliers de bêtes Anglos à désenvoûter… mais, batèche, il est déjà minuit moins quart.
Jean-Pierre Durand


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4 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    26 mai 2008

    Monsieur Durand,
    Vous savez où j'habite. Des imbéciles comme celui que vous avez mis à sa place,
    ici on appelle ça des "éco-nazis"!! Néologisme à insérer dans le français québécois!
    En tant que membre d'une "race en péril", je me donne le droit de passer une partie de mon temps à "expliquer le Québec" aux États-Uniens que je connais.
    "... Mille fois sur le métier, remettez votre ouvrage ... " En conséquence , vous savez, pour moi, les vaches aquatiques, ça n'occupe pas beaucoup de place
    dans mon espace cérébral. D'ailleurs, on en voit beaucoup ici, je vous le dit pour
    en avoir observer: ces animaux ont d'une stupidité qui dépasse l'entendement!
    Mon chien de race Akita, par contre ... Politiquement, incorrectement, je reste,
    Claude Jodoin Ing.

  • Archives de Vigile Répondre

    25 mai 2008

    M. Durand,
    Ce qui achève de tuer l’espoir en moi, c’est que cette anglicisation et cette perte d’identité se font avec notre consentement. Que vous ayez demandé une pétition rédigée en français à cet étudiant de McGill au pavillon Hubert-Aquin de l’UQÀM et qu’il s’en soit trouvé surpris, me fait croire qu’aucune des autres personnes qu’il avait sollicitées ne lui en avait fait la remarque.
    Comme disait ce jeune membre du Liberal Party of Qwebec aux chauds applaudissements de la salle lors du dernier congrès à Laval : « L’avenir du Québec avant celui de la langue française ». M. Durand, pensez-vous un seul instant que si les Québécois avaient passionnément refusé cette disparition on en serait rendu là ?
    Guy Le Sieur
    Vive la République de l’Amérique française

  • Gaston Boivin Répondre

    25 mai 2008

    Super bien! Belle ironie! J'ai particulièrement apprécié ce qui m'apparaît être vos deux principaux arguments, véritables coups de massue: -"..pour tout lamantin qui se lamente, il y a cent Québécois qui se meurent de mort lente..." - "À part Jean Coutu, qui parle encore la langue des Lakotas?"

  • Jean Lapointe Répondre

    25 mai 2008

    Ça fait des mois qu'on m'invite à signer cette pétition à la station de Métro Sherbrooke, à la station de Métro McGill et à la station de Métro Bonaventure. Est-ce qu'il y en a ailleurs? Je ne le sais pas.
    Je ne l'ai évidemment pas signé cette pétition étant donné qu'elle n'est qu'en anglais. J'ai dit à quelques uns d'entre eux quelques fois qu'ils devraient au moins mettre du français dans leurs affiches. Ils se sont contentés de me regarder avec un profond dédain.
    Ces jeunes se comportent comme les représentants des témoins de Jéhova qui m'offrent régulièrement aussi des exemplaires de AWAKE. J'ai pas vérifié s'ils avaient des exemplaires en français mais, si c'est le cas, ils semblent bien les cacher.
    Mais dans quel monde ces gens-là vivent-ils? Comment se fait-il qu'ils ne semblent pas se rendre compte que la grande majorité des gens qui passent devant eux sont de langue française? Qu'est-ce qui peut bien les motiver à agir de la sorte?
    Font-ils cela de leur propre initiative? Sont-ils au contraire aux ordres de quelqu'un d'autre?
    Et cette pétition en faveur de la protection des animaux à qui est-elle destinée? Est-elle seulement remise à quelqu'un ?
    Vous avez des réponses à tout cela? J'aimerais bien les connaître.