Caroline Montpetit - Gueulard impénitent, militant obstiné pour l'indépendance du Québec, cinéaste et écrivain sensible, Pierre Falardeau faisait encore couler beaucoup d'encre hier, 36 heures après avoir rendu l'âme, vaincu par un cancer du poumon, à 62 ans, au Centre hospitalier de l'Université de Montréal.
Ceux qui ont connu l'homme privé insistaient beaucoup pour parler de sa gentillesse méconnue, de son écoute, voire de sa timidité. D'autres soulignaient les excès de l'homme public, qui comparait l'action politique des Québécois à la lutte sportive. Il avait par exemple conclu un texte en écrivant «Salut pourriture!» à la mort de Claude Ryan, et il avait voulu réserver un avion portant une bannière où était inscrit «Mange de la marde», lors de la mort de Pierre Elliott Trudeau, faisant référence à des propos que le premier ministre canadien avait tenus plus tôt à des grévistes. Les militants pour l'indépendance du Québec mesuraient encore l'étendue de la perte pour leurs troupes. Plusieurs de ses adversaires politiques déploraient le départ de l'artiste. Tous saluaient l'indispensable liberté de cet homme érudit plein de paradoxes, aimant Bach, Nietzsche et Goya.
Liberté, valeur par-dessus tout chérie par cet homme qui avait signé les livres La liberté n'est pas une marque de yogourt, Québec libre et, plus récemment encore, Rien n'est plus précieux que la liberté et l'indépendance.
Dans une lettre qu'il avait écrite à son fils Jérémie, au moment du référendum de 1995, et qui a été lue par le comédien Luc Picard, à l'occasion du Moulin à paroles, le 11 septembre dernier sur les plaines d'Abraham, Pierre Falardeau écrivait:
«Dans quinze ou vingt ans, tu liras peut-être cette lettre. À ce moment-là, ton père sera devenu un vieil homme. Vainqueur ou vaincu, peu importe. Au moins, tu sauras qu'il n'aura pas reculé, qu'il n'a pas courbé la tête, qu'il ne s'est pas écrasé bêtement par paresse ou par lâcheté. Tu sauras qu'il s'est battu pour la cause de la liberté comme tu devras te battre à ton tour. C'est la loi des hommes, c'est la loi de la vie.»
Sur plusieurs photos, il apparaît encore souriant, la cigarette aux lèvres. Pourtant, il avait bel et bien mis fin à son habitude de fumer des Lucky Strike au cours des derniers mois, pour mieux combattre la maladie qui le rongeait depuis deux ans.
«Je l'ai bien connu, dit le cinéaste Bernard Émond, qui a notamment étudié l'anthropologie avec Pierre Falardeau à l'Université de Montréal il y a quarante ans. Je ne vais pas parler de la personne publique [...] je veux juste rappeler l'homme privé, d'une grande gentillesse. Peu de gens savent à quel point il pouvait être gentil et à l'écoute des gens, délicat, timide, allant malgré tout vers les autres. On connaît le personnage public avec ses coups de gueule, mais il était aussi très curieux, questionnait beaucoup, à l'aise dans tous les milieux. Il n'était pas rare de le voir s'arrêter pour discuter avec n'importe qui.»
Pour Luc Picard, qui a joué dans deux films importants de Falardeau, Octobre et 15 février 1839, portant respectivement sur la Crise d'octobre et sur la rébellion des Patriotes, Pierre Falardeau était un bon vivant, drôle, candide, humain. «Il disait: "moi je me donne le droit de me tromper". Il avait le courage de ses opinions et de ses émotions. Alors, d'accord, pas d'accord, cela sonnait vrai», dit-il. Falardeau se voyait d'abord et avant tout comme un militant, et a toujours établi un parallèle entre combat sportif et combat politique. «Il disait: "je donne des tapes sur la gueule, fait que j'en reçois"», se souvient Picard. L'homme était d'ailleurs fasciné par la boxe, au point de lui consacrer un film, Le Steak.
Victor-Lévy Beaulieu, qui a mené le combat de l'indépendance du Québec durant les mêmes années que Falardeau, se souvient de l'époque où le documentaire Le Temps des bouffons, de Falardeau, filmé lors d'une soirée de la haute gomme fédéraliste au Beaver Club, circulait sous le manteau, parce qu'aucun média électronique n'avait accepté de le diffuser. Parallèlement, la série des Elvis Gratton a permis à Falardeau d'atteindre le grand public. «On est peu nombreux, depuis 25 ans, à avoir tenu une ligne de conduite et à être restés logiques avec cette ligne de conduite, dit-il. Je pense que cela a donné des résultats, notamment auprès des immigrants. J'écoutais hier soir Jean Pascal, immigrant de première génération, champion de boxe [...] qui parlait de Falardeau comme d'un complice.» La verdeur de langage de Falardeau était d'ailleurs nécessaire au mouvement indépendantiste, et ses talents de polémiste le hissent dans l'histoire du Québec auprès des Louis Fréchette et Arthur Buies, Michel Chartrand, selon Victor-Lévy Beaulieu. De Falardeau, il souligne encore la joie communicative, qui a formé de nouveaux militants parmi les jeunes, dont Patrick Bourgeois, de l'organisation Québécois, qui remerciait d'ailleurs hier Pierre Falardeau pour sa générosité «envers l'ensemble du mouvement indépendantiste».
Tout sauf convenu
Le cinéaste était tout sauf convenu, bien sûr. Et l'auteur François Avard vantait lui aussi hier, dans une lettre aux médias, la vitalité de Falardeau dans la torpeur et la complaisance médiatique générales. «Dans le paysage médiatique, un Falardeau debout parmi la bouillabaisse télévisuelle et la crétinerie de matante imprimée, c'était un vaccin. Falardeau immunisait, énergisait, et rassurait. Virtuose de la langue, sa plume et sa gueule étaient son arme, la débilité ambiante sa victime», écrit-il.
«On vit à une époque où on manque un peu d'imprudence, commente encore Luc Picard. Ce n'est de la faute de personne et c'est de la faute de tout le monde. Tout le monde fait attention. Mais si tu ne te donnes pas le droit de te tromper, tu ne fais rien.»
Durant le week-end, diverses personnalités politiques et quelques têtes couronnées ont souligné l'apport de Pierre Falardeau à la vie culturelle et politique québécoise. Samedi, l'ancien premier ministre et chef du Parti québécois Bernard Landry a dit regretter la perte «d'un grand cinéaste, un auteur, une plume agile et alerte, et puis des interventions nombreuses et de toutes les manières dans le combat fondamental de l'indépendance nationale».
Pauline Marois, chef du Parti québécois, a dit avoir «toujours été impressionnée par sa générosité, par son talent, et par son engagement à l'égard du Québec. Il n'avait pas peur des mots. C'était un homme libre». Gilles Duceppe, chef du Bloc québécois a convenu «ne pas avoir partagé toutes les opinions de Pierre Falardeau», mais a loué sa grande conviction et son oeuvre. Amir Khadir, député et co-chef de Québec solidaire, a apprécié que Pierre Falardeau ait «été là pour le Québec, mais pas seulement pour le Québec. Il était aussi là pour les peuples de la Palestine, de l'Irak, du Chili, a-t-il dit [...], notre peuple a bien besoin des Falardeau».
Jusqu'au premier ministre du Québec, Jean Charest, qui y est allé d'une reconnaissance prudente de la production artistique de Falardeau. «M. Falardeau, on le sait, c'est un pamphlétaire, a-t-il dit. C'est un homme qui avait le goût de la polémique, qui avait des opinions très fortes, et qui, souvent, trouvait une formule-choc pour les exprimer. Par contre, son oeuvre artistique était substantielle.»
Pierre Falardeau détestait les honneurs, semble-t-il. Une soirée organisée par le Mouvement souverainiste du Québec lui rendra pourtant hommage, le 11 octobre prochain. Les funérailles de Pierre Falardeau seront publiques, et le public pourra aussi témoigner de son affection lors d'une cérémonie organisée dans un espace public quelques jours auparavant. Les dates et les lieux seront connus sous peu. Pierre Falardeau écrivait un jour que l'on a toute la mort pour dormir. Ce sera pour lui une dernière occasion de secouer les vivants.
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Avec la collaboration de Jean-François Nadeau
Le Devoir
et La Presse canadienne
Pierre Falardeau (1946-2009)
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