(Québec) (Journal imaginaire du président français Nicolas Sarkozy, rédigé lors de la visite à Paris du premier ministre Jean Charest)
1er février
La présidence de la République, ça serait le pied s'il n'y avait pas toutes ces activités protocolaires assommantes. Ça vous tue la grandeur à petit feu. Le rôle universel de la France, je veux bien. Mais faut-il se taper le vice-président d'un lander allemand, qui parle de ses estampes japonaises? Ou le bourgmestre d'un obscur district du Laos, qui récite Lamartine?
De quoi voulez-vous que je leur parle, à tous ces ploucs qui visitent l'Élysée? De mes vacances à bord du yatch de mon ami milliardaire Vincent Bolloré?
Du calme. Mon épouse Carla le répète tout le temps. Demain, je dois remettre la Légion d'honneur à M. Jean Charest, premier ministre de machin, enfin, je veux dire, du Québec. Cet automne, avant d'aller «refonder le capitalisme», à Washington, j'ai dû faire escale là-bas. Je ne me souviens plus trop pourquoi. Une surboum des pays plus ou moins francophones, ou quelque chose du genre. Dans ce qu'ils appellent leur capitale, il y a un gros hôtel en forme de gâteau à la crème. Le Château Frontispice, je crois.
Passons. Au moins, M. Charest n'est pas trop grand. Je n'aurai pas à porter mes bottillons à talon ultra haut
pour faire bonne figure sur les photos.
2 février
Ils sont fous, ces Québécois! Comme prévu, j'ai remis la Légion d'honneur à Jean Charest, aujourd'hui.
Pour lui faire plaisir, j'ai décidé d'administrer une bonne correction aux indépendantistes, ses éternels adversaires.
De manière plus ou moins subtile, je les ai associés au «sectarisme», à «l'enfermement sur soi» et à la «détestation» des autres. On aurait dit un discours sur le Front national.
J'étais fier. Ces connards en prenaient plein la tronche!
Et voilà qu'au lieu de me remercier, Jean Charest fait une gueule d'enterrement! Comme un gars qui vient d'avaler un bourdon en chantant La Marseillaise! Aurait-il voulu que je fasse la bise à ses adversaires?
Difficile à dire. En tout cas, Jean Charest n'était pas d'humeur à déplaire à qui que ce soit. Et son discours dégoulinait de politesse. «L'amitié éternelle qui unit la France et le Québec.»
Bla-bla-bla-bla-bla.
Comment diable a-t-il pu être élu trois fois en répétant des choses semblables? Ça me dépasse. Le seul passage que j'ai vraiment apprécié, c'est une citation de Voltaire, qui parle du Canada comme d'un «pays couvert de neiges et de glaces huit mois dans l'année, habité par des barbares, des ours et des castors».
Ça correspond assez bien à mes souvenirs de là-bas. Voltaire savait parler juste. Comme moi, il aurait dit «tasse-toi pauv'con» à un gars qui aurait refusé de lui serrer la main.
3 février
Les Québécois sont partis. Bon débarras. Leur «ni trop chaud», «ni trop froid», c'est pas mon truc. Mon ami le roi Abdallah d'Arabie Saoudite ne m'a pas surnommé «cheval fougueux» pour rien.
Bref, je croyais avoir échappé avec ces enquiquineurs, mais je me trompais. Deux chefs de la tribu indépendantiste m'ont écrit une lettre de protestation. Pauline Marois et Gilles Duceppe qu'ils s'appellent.
Ça m'est égal. «Avoir des ennemis, c'est la preuve que l'on existe!» avais-je dit à L'Express, en 1995.
Avant de partir d'ici, Jean Charest m'a confié qu'il dénoncerait le protectionnisme des États-Unis, aujourd'hui, à Bruxelles. Il a la mémoire courte, ce premier ministre.
A-t-il déjà oublié qu'il a essayé d'octroyer à Bombardier le contrat des voitures du métro de Montréal, sans appel d'offres, en 2006? À l'époque, le protectionnisme ne lui faisait pas peur, quand il s'agissait d'écarter la société française Alstom.
Je l'ai souvent répété : «Si la vérité blesse, c'est la faute de la vérité.»
Faudrait décidément que je publie un florilège de mes citations. J'ai déjà une idée pour le titre : Ne demandez jamais ce que Nicolas Sarkozy fait pour vous. Demandez plutôt ce que Nicolas Sarkozy finira par faire de vous.