Le québécois est trop compliqué pour les Français

Bref, embarquez-vous pas là-dedans. Le québécois est une langue trop explosive pour s'en servir impunément.

Sarko décore Charest - février 2009


Français, Françaises, lisez ceci. Sérieusement. Je sais que ce n'est pas facile pour vous de prendre un Québécois au sérieux. Les Québécois vous font rire. Vous nous trouvez marrants avec notre accent. Et nos expressions truculentes. On est des Ch'tis version extrême. Des Och'tis!
Ah! Vous nous aimez bien! Mais avec un petit sourire en coin. Comme on aime un cousin qui vient de loin. Qui vient de creux. Comme on aime un innocent. Comme Rose-Anna aimait Ti-Coune.

Quand Barack Obama ira visiter votre Sénat, un député le recevra-t-il en utilisant une expression typiquement américaine: «What the fuck, Mister President?» Sûrement pas. Alors pourquoi avoir demandé à Charest s'il avait la plotte à terre? Vous qui vous drapez dans le décorum et les formules de politesse, vous qui êtes si distingués habituellement, pourquoi en présence d'un Québécois, fût-il même le premier ministre, vous relâchez-vous comme si vous aviez déjà gardé des cochons ensemble?
Le député Lasbordes a expliqué sa familiarité en disant que c'est un ami québécois qui lui a suggéré d'aborder notre PM ainsi. Que ça mettrait l'indigène à l'aise. N'importe quoi. Si un ami français d'André Arthur lui propose de saluer le président français, à sa prochaine visite à la Chambre des communes, en lui lançant: «Comment va le connard à Carla?», Arthur risque d'avoir assez de discernement pour juger que ce n'est pas une bonne idée. Alors comment se fait-il que des êtres aussi cultivés et éloquents que vous se permettent de tels impairs?
Parce que vous ne comprenez pas le québécois. Pour vous, le québécois est un langage de clowns. Toutes nos expressions sont des farces. Du Ding et Dong! Eh bien non! Tabarnak, ostie, collis, ce n'est pas drôle. Ce ne sont pas des expressions folichonnes. On les dit quand on est choqué. Insulté, blessé, enragé. Il ne faut pas s'en servir hors contexte. On ne dit pas: «Vous êtes belle, ma tabernak!» Ce n'est pas délicat. Je sais, ça vous amuse. Parce que pour vous ces mots sont rustiques. Presque bucoliques. Ils sentent le bois et le fromage Oka. Tant mieux pour vous. Mais puisqu'ils nous appartiennent, puisqu'ils sont nôtres, vous devez respecter le sens qu'ils ont pour nous. Et vous en servir à bon escient.
J'ai déjà lu dans Libération, un très bon journal écrit par des journalistes très songés: «Le chanteur tabernacle Roch Voisine». C'est quoi, ça? Le chanteur tabernacle? Le critique voulait faire du style? Le critique voulait faire québécois? Faire cabane au Canada? Ben qu'il le fasse comme du monde. À la limite, il aurait pu écrire: «Roch Voisine, le chanteur qui plaît aux pitounes.» Voilà pour le côté bûcheron. Mais le tabernacle ne doit pas servir à toutes les sauces. Est-ce que dans Le Devoir, Sylvain Cormier écrirait: «Le chanteur à la con, Johnny Halliday...»? Juste pour faire français. Juste pour faire parigot. Ben non!
Quand on veut se servir des expressions de gens venus d'ailleurs, il faut les comprendre. Or le québécois ne s'apprend pas chez Berlitz en deux semaines, c'est trop complexe. Il y a trop de nuances. Se paqueter la fraise, ça veut dire se saouler. Mais paqueter ses p'tits, ça ne veut pas dire saouler ses enfants, ça veut dire s'en aller. Avoir un ostie de char, c'est conduire un citron. Mais avoir un char qui roule en ostie, c'est avoir une caisse d'enfer. Avoir la plotte à terre ne fait pas référence à une pelote de laine déroulée. Ce n'est pas être au bout du rouleau. Être au coton. C'est beaucoup moins subtil. C'est plus con, c'est le cas de dire. Bref, embarquez-vous pas là-dedans. Le québécois est une langue trop explosive pour s'en servir impunément.
Vous avez beau être éduqués et couverts de diplômes, ne parle pas québécois qui veut. Cessez d'être guidés par votre condescendance à notre égard. Vous n'êtes plus la mère patrie. Vous êtes la mère partie. L'enfant s'est débrouillé tout seul. Et cela a donné ce que cela a donné. Sarkozy n'a pas à savonner les souverainistes québécois, pas plus que de Gaulle n'avait à les encenser. Nous ne sommes plus la Nouvelle-France. Nous sommes le Québec ou le Canada ou l'Amérique. On ne le sait pas trop, mais c'est de nos affaires. Daniel Johnson père ne disait pas au Général quoi faire avec l'Algérie. Jean Charest ne dit pas à Sarkozy quoi faire avec les sans-papiers. Nos bébelles, ce sont nos bébelles. Votre truc, c'est votre truc. Respect, les mecs!
De toute façon, au rythme où vont les choses, un jour ou l'autre, c'est certain, on va le gagner, votre respect. Vous ne vous moquerez plus de notre accent. Vous ne détournerez plus nos expressions pour faire rire la galerie. Vous nous comprendrez enfin. Vous nous traiterez avec tous les égards. Et ce jour est pour bientôt. C'est le jour où tous les Québécois parleront anglais. A few days after, it will be your turn.
Pour joindre notre chroniqueur: stephane@stephanelaporte.com


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    4 août 2012

    Bonjour, je suis française et je reviens d'un séjour au Québec. Je confirme que le langage imagé du Québec a tendance à nous titiller les oreilles et à nous ravir. Je confirme aussi qu'il est compliqué au point que nous avons souvent besoin de faire répéter les explications. Mais avec un peu de bonne volonté et de patience de part et d'autre, on y arrive. Pardon si certains d'entre nous imitent ou reprennent votre langue sans subtilité, mais les personnes publiques et leurs bévues ne sont jamais représentatives d'une population... La grande majorité d'entre nous est peut-être juste émerveillée parce que ce langage imagé et palpable nous fait défaut, à nous dont la langue manque d'un répertoire plus étoffé entre le sérieux et le vulgaire... nous qui avons perdu nos patois savoureux et vivants (rustique n'étant pas un gros mot :)). Sachez-le, nous ne sommes dupes ni de nos diplômes ni de notre passé, nous fondons devant la gentillesse de la plupart des québecois et admirons leur savoir-vivre, nous avons une grande estime pour leurs compétences, nous nous sentons modestes en randonnée quand nous traînons la patte là où vos enfants de 6 ans assurent... Nous sommes aussi conscients de l'image désastreuse des françait, au Québec... et ailleurs... nous la déplorons, nous nous en moquons, nous avons la même... peut-être sommes nous moins arrogants que lucides ? peut-être que notre auto-dérision n'est juste pas perceptible ? Si je devais considérer les québecois d'une façon générale après ce séjour, ce ne serait pas comme de lointains cousins rustiques, mais comme une population bien dans sa peau, heureuse, tenace, merveilleusement en phase avec son environnement, dotée d'une forte personnalité, douée en communication, créative, chaleureuse... et parfois intimidante lorsque nous sommes jugés nous français, sur notre appartence physique, nos pauvres capacités de communication, ou encore sur des a prioris... mais ce n'est pas le plus fréquent. Et de toutes façons, plutôt que d'avoir une image générale, je préfère me souvenir individuellement des personnes rencontrées et des moments de partage, des discussions ouvertes, des activités et des connaissances, des rires partagées. Merci à tous ceux dont nous avons croisé la route, vive les québecois et vive le Québec !