Méchante langue

Un politicien allemand refuse de répondre en anglais

Montréal - élection 2009

Vue d'Europe, je dois vous dire que la petite polémique qui a entouré la qualité de l'anglais que parle la candidate Louise Harel avait un petit air surréaliste. J'allais dire colonisé, mais je me retiens.
Non pas qu'en France, en Allemagne ou en Espagne, on n'accorde pas d'importance à la connaissance de l'anglais. Au contraire, les élites parlent souvent un anglais excellent. Mais bien plutôt parce qu'on y est convaincu que le respect d'une langue étrangère exige parfois qu'on se taise si l'on n'est pas capable de parler cette même langue avec toute l'habileté nécessaire. Je m'explique.
J'ai suivi de nombreux chefs d'État et de gouvernements européens dans autant de grandes rencontres internationales. Combien de fois les ai-je vus refuser de répondre en anglais aux questions que leur posaient mes collègues américains et britanniques alors même qu'ils parlaient plutôt bien anglais?
Regardez José Luis Zapatero ou Angela Merkel discuter en privé avec Barack Obama dans les rencontres du G20 ou aux sommets de l'OTAN. Vous aurez compris qu'ils ne se parlent pas en latin et qu'ils n'ont pas besoin de traducteurs. Alors pourquoi refusent-ils, sauf à de rares exceptions, de s'exprimer en anglais publiquement? Tout simplement par respect pour leurs auditeurs!
Même avec une assez bonne connaissance, la plupart d'entre eux refuseront de parler anglais en public, sauf dans des cadres bien définis, de peur de ne pouvoir formuler toutes les nuances de leur pensée. Ils craindront avec raison de manquer de vocabulaire, d'hésiter, de trébucher et de faire des erreurs qui pourraient être mal interprétées. Si la plupart agissent ainsi lorsqu'il s'agit de répondre aux questions des journalistes, imaginez ce qu'ils diraient si on leur proposait un débat contradictoire qui exige une capacité de réplique peu commune.
C'est donc par respect pour leur public et pour eux-mêmes qu'ils préfèrent s'en remettre aux soins de traducteurs professionnels qui pourront exprimer leur pensée avec toutes les nuances nécessaires.
Le baragouin francophone qu'on entend quotidiennement à Ottawa est une chose parfaitement inimaginable en Europe. Pas même au parlement européen, où plutôt que de massacrer la langue de son voisin, on préférera avoir recours à la traduction. Combien de fois ai-je rêvé que nos ministres fédéraux se contentent de parler la seule langue qu'ils possèdent vraiment, c'est-à-dire généralement l'anglais, afin de ne pas avoir à reconstituer péniblement et parfois même à réécrire entièrement des déclarations truffées de phrases dont le sens se perdait dans le brouillard et qui n'étaient pas dignes d'un enfant de cinq ans.
On se souvient du triste spectacle que nous avait offert la présidente du Parti vert, Elizabeth May, lors d'un célèbre débat des chefs. La pauvre s'exprimait dans un sabir indigne de quelqu'un qui brigue les plus hautes fonctions. Quelles qu'aient été les bonnes intentions de son auteur -- ce dont personne ne doute -- ce jeu de massacre linguistique ne manifestait qu'un souverain mépris pour la langue. Comme si la traduction simultanée et les sous-titres avaient été inventés pour les bovins.
Mais le mythe du prétendu bilinguisme «canadian» ne souffre pas d'exception. Le Canada vit dans l'idéologie du bilinguisme exactement comme la défunte Union soviétique vivait dans celle du communisme. Le premier est d'ailleurs aussi bilingue que la seconde était communiste. Chacun sait qu'il est plus facile de parler français à Londres et à Madrid qu'à Toronto.
Je me souviens encore du discours que Tony Blair avait prononcé en français à l'Assemblée nationale française en 1998. Blair avait enfreint la règle précitée parce que le moment était solennel, qu'il pouvait s'en tenir à un texte écrit et, surtout, qu'il parlait un français châtié. Je crois même l'avoir entendu accorder des bouts d'interview en français. Pourtant, même avec le français le plus parfait, il aurait fallu qu'il soit pris d'un accès de folie pour accepter un débat politique dans une autre langue que la sienne.
On sentait bien que, pour Tony Blair, le français représentait une grande langue de culture. Il la traitait donc avec le respect dû à son rang. Récemment de passage à Avignon, le dramaturge Wajdi Mouawad expliqua que le Québec était le seul endroit de la francophonie où le français n'avait pas été la langue de l'élite, mais celle d'une minorité longtemps méprisée. Cela explique probablement pourquoi, venant d'un pays qui n'a pas de prétentions bilingues, Blair parlait un français aussi soigné. Cela explique probablement aussi pourquoi un homme politique comme Jack Layton, qui est né et a grandi au Québec, s'acharne à parler notre langue avec un accent populaire qui frise parfois la caricature.
On peut remercier Louise Harel de respecter suffisamment ses électeurs anglophones pour ne pas leur imposer la langue médiocre que tant d'autres nous infligent chaque jour. C'est ce qu'aurait fait n'importe quel politicien européen. Mais on a parfois l'impression que le Canada vit sur une autre planète.
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(Un politicien allemand refuse de répondre en anglais)
http://www.spiegel.de/video/video-1024231.html


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    3 octobre 2009

    Belle leçon pour nos propres politiciens. Récemment Lysiane Gagnon dans la presse traitait de ringarde, Louise Harel, simplement parce que celle-ci ne parlait pas suffisamment en anglais pour participer à un débat réclamé par les anglophones qui de toutes manères ne voteront jamais pour elle. Cet exemple de même que tout le texte de Christian rioux remet salutairement les pendules à l'heure.
    J'ai hâte de voir Pauline et Louise et les autres rappeler aux journalistes anglos qu'on est au Québec et que la langue commune et publique est le français.
    Rien d'agressif là-dedans, simplement une question de dignité, et même, comme le signale Christian Rioux, de respect en ne s'adressant pas aux autres dans une langue qu'on ne maîtrise pas.
    Il n'y a pas longtemps je regardais et écoutais une émission au Canal Savoir. C'était une conférence organisée par l'Université Laval. On présente un chercheur Canadien qui commence son allocution dans un français impeccable. Puis, il dit, qu'il poursuivra en anglais afin d'expliquer complètement sa pensée dans sa langue...
    Je trouvais ça choquant parce qu'il s'exprimait parfaitement en français pratiquement sans accent. Pendant ce temps, nos politiciens se laissent culpabiliser notamment par les journalistes anglomanes de Gesca.

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