La social-démocratie en crise

À 48h du scrutin allemand, les sociaux-démocrates regagnent un peu de terrain, mais pas suffisamment pour cacher la crise qui mine le parti. À gauche surtout, le paysage politique allemand est de plus

Nouvelle Gauche - La social-démocratie revisitée

Berlin -- Horst Schlammer est le prototype de l'homme de la rue. Petit, moustachu, mal rasé, avec de grosses lunettes, il porte des imperméables froissés à la Colombo. Qu'importe, il a décidé de fonder son propre parti, le Horst Schlammer Partei, et de se présenter à la chancellerie. Son slogan électoral a des airs connus: «Yes week-end». Son programme aussi: «Tout ce que les autres ne réussissent pas à faire, je le peux aussi.»
Le film comique Isch kandidiere (J'suis candidat) a été le succès de l'été sur les écrans allemands. Les électeurs ont reconnu dans cette farce pas toujours subtile certains traits de la campagne politique en cours. Selon un sondage de la société Forsa, 18 % des électeurs ont déclaré qu'ils pourraient même être tentés de voter pour un tel candidat.
La presse allemande a immédiatement fait le parallèle avec le ton plutôt terne de cette campagne. Mais plusieurs y ont aussi vu le symbole de l'éclatement grandissant de l'électorat dans un pays où l'on a parfois l'impression que chaque citoyen rêve de fonder son propre parti. La principale victime de cet effritement pourrait bien être dimanche le candidat social-démocrate Franz-Walter Steinmeier, crédité pour l'instant de 26 % des voix, alors que sa rivale Angela Merkel, avec 35 % des voix, semble assurée de pouvoir former une coalition gouvernementale.
Un homme du parti
«Steinmeier est un homme du sérail qui n'a jamais affronté une élection, explique Gero Neugebauer, politologue à l'Université libre de Berlin. Il a fait toute sa carrière dans le Parti social-démocrate, mais sans jamais être élu. C'est un bureaucrate talentueux et plein de bonnes intentions, mais un bureaucrate quand même.»
Ces derniers jours, Steinmeier a bien tenté de mettre un peu de piment dans sa campagne en accusant sa rivale de cacher des hausses d'impôt ou de ne pas en avoir fait assez contre la crise. Il a desserré sa cravate et brandi le bock de bière dans les rassemblements populaires. Malgré une campagne meilleure que prévu, le ministre des Affaires étrangères peine à réaliser la quadrature du cercle et à convaincre les électeurs qu'il peut à la fois diriger une opposition efficace tout en étant membre du gouvernement.
«Il n'y a pas de position plus délicate que de participer au gouvernement sans occuper le poste de chancelier, dit Neugebauer. Vous perdez sur tous les fronts.»
La semaine dernière, Steinmeier a vu s'effacer son dernier espoir de devenir chancelier. Le leader des libéraux (FDP), Guido Westerwelle, a fait un trait sur sa participation à une coalition tricolore (rouge, verte, jaune), un assemblage hétéroclite qui aurait réuni les sociaux-démocrates, les verts et les libéraux (alliés naturels de la CDU). Voilà donc Steinmeier ramené à la perspective de redevenir le second violon d'une «grande» coalition sous la coupe d'Angela Merkel ou de rentrer dans l'opposition. Une alternative difficile à envisager pour une génération de sociaux-démocrates au pouvoir depuis onze ans, dont sept avec le poste de chancelier.
La gauche de la gauche
Steinmeier est le fils spirituel de l'ancien chancelier Gerhard Schroeder, dont il fut le chef de cabinet. Celui-ci l'avait d'ailleurs surnommé son «éminence grise». Grise, précisait-il, «à cause de ses cheveux»! Ce grand technocrate a été associé aux réformes de Schroeder, en particulier au programme Hartz IV (du nom du patron de Volkswagen) qui a réduit les indemnités de chômage, l'aide sociale et les retraites. Cette politique a profondément divisé le parti et a provoqué le départ de l'ancien ministre Oskar Lafontaine, aujourd'hui associé aux anciens communistes de l'Est dans Die Linke.
Pas question évidemment pour le ministre des Affaires étrangères de faire alliance au niveau fédéral avec un parti au discours anticapitaliste qui propose l'élimination de l'OTAN et le retrait immédiat des 4200 hommes que Berlin a déployés en Afghanistan. En 2001, c'est le gouvernement social-démocrate de Gerhard Schroeder qui, rompant avec la tradition du pacifisme allemand, avait engagé l'Allemagne en Afghanistan. Récemment, l'ex-chancelier soutenait d'ailleurs que l'Allemagne devrait y rester encore dix ans.
Pourtant, depuis leurs succès électoraux dans la Sarre et en Thuringe, les gauchistes de Die Linke sont devenus plus fréquentables. Dans ces deux petits länders, le parti a obtenu plus de 20 % des voix, ce qui en fait un joueur presque incontournable pour une coalition de gauche. Une telle alliance serait une première à l'Ouest, alors qu'à l'Est, le SPD et Die Linke dirigent ensemble la ville de Berlin.
«En 1988, le SPD n'a jamais vraiment débattu des nouvelles orientations libérales qu'avait imposées Gerhard Schroeder, dit Neugebauer. À partir de ce jour, le fossé s'est creusé entre les dirigeants et la base qui n'a pas suivi. Depuis, le parti est en crise. Il perd des électeurs aux mains de Die Linke, des verts et même de la CDU et du FDP.»
Une défaite historique?
Malgré une remontée de dernière minute, le SPD est bien loin des 34,2 % que Gerhard Schroeder avait arrachés de haute lutte en 2005 contre Angela Merkel. Avec les 26 % que lui accordent actuellement les sondeurs, il serait même sous le seuil psychologique de 28,8 % établi en 1953, date de la défaite la plus cuisante de l'histoire du SPD. Certains n'ont pas attendu l'élection pour décréter que celui-ci n'était plus un grand parti de masse (Volksparteien). Manfred Gullner, fondateur de la société de sondages Forsa, a même affirmé que le SPD était devenu «une secte». Une conclusion peut-être un peu rapide.
En dix ans, le parti a perdu le tiers de ses membres. «Dans les années 1970, le SPD était le parti des grandes villes, explique Peter Matuschek, qui travaille avec Gullner. Ce n'est plus vraiment le cas aujourd'hui.» Les verts le devancent largement dans des villes comme Berlin et Francfort. Pour contrer cet effritement, le parti a récemment gauchi son programme. Il propose notamment l'instauration d'un salaire minimum et le plein emploi à l'horizon de 2020. «Se pose alors la question de savoir si le SPD est un parti de gouvernement ou de revendication, dit Matuschek. Il faudra choisir.»
L'an dernier, Franz-Walter Steinmeier et l'ancien vice-chancelier Franz Müntefering ont évincé le président du parti, Kurt Beck, qui était partisan d'alliances ponctuelles avec Die Linke dans les länders de l'Ouest. «Tôt ou tard, la question de l'alliance avec Die Linke sera pourtant posée, dit Neugebauer. Ce ne sera pas demain, mais après-demain. Die Linke devra aussi évoluer. Ses militants de l'Est sont plus pragmatiques, mais ceux de l'Ouest sont clairement contre le capitalisme.» Pour l'instant, la formation d'extrême gauche a d'autres problèmes à résoudre, car la crise semble inciter les électeurs à se détourner des solutions radicales. Après avoir frôlé les 15 %, la formation n'est plus créditée que d'un maigre 10 % dimanche prochain.
«Steinmeier fera tout pour être dans le gouvernement, dit Neugebauer. Mais si le SPD échoue lamentablement, à gauche, les cartes seront rebrassées dès le lendemain de l'élection. Et tout sera sur la table.»
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Correspondant du Devoir à Paris


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