Mauvaise foi populaire

Conflit étudiant - sortir de l'impasse



Je suis une enseignante en littérature au collège Bois-de-Boulogne, dont la session vient d’être suspendue en vertu de la loi spéciale. Je suis contre la hausse des droits de scolarité, mais contre la gratuité scolaire. Je suis pour le droit de grève voté démocratiquement par les associations étudiantes et contre les injonctions. Je suis contre la loi spéciale et contre la désobéissance civile.
Depuis le début du conflit, je n’ai jamais eu peur d’exprimer mes opinions, ni d’en débattre avec mes étudiants, mes collègues, ma famille et mes amis, dont je respecte tous les points de vue. Cependant, je suis indignée par la mauvaise foi populaire, qui se lave les mains de toute responsabilité en poussant l’odieux jusqu’à se positionner en tant que victime et dont l’opinion trahit à la fois son mépris des étudiants et son incompréhension générale du système de l’éducation.
L’absence d’ouverture du gouvernement Charest est certainement responsable de la dérive de la situation, mais elle résulte de l’encouragement public à maintenir la ligne dure et à ne pas négocier. […] Une bonne partie de la population croyait que les étudiants se payaient des vacances et rentreraient en classe la queue entre les jambes quand la menace d’annulation de session se ferait sentir. Je suis personnellement très impressionnée par la ténacité des étudiants en grève et le courage de leurs convictions, car même si on ne semble s’en rendre compte qu’aujourd’hui, le combat des étudiants contre la hausse n’est depuis le début que le germe d’un combat idéologique contre un système libéral capitaliste qui essaie de faire croire aux Québécois que la province n’a pas les moyens de ses idéaux et que notre salut ne dépend que de l’économie.
Quand le ménage des finances de l’État commencera par la condamnation de la corruption, des abus administratifs, des évasions fiscales et par la limitation des parachutes dorés des entreprises subventionnées ; quand le gouvernement sera capable de négocier des redevances décentes dans l’exploitation de nos ressources naturelles, plutôt que de vendre notre électricité au rabais et de promettre des infrastructures dans le Grand Nord alors que celles de ses métropoles tombent en morceaux, bref, quand on fera un vrai ménage en commençant par le haut dans la volonté de mettre en place un système qui profite à tous, alors peut-être que la classe étudiante aura envie elle aussi de se serrer la ceinture, en signe de solidarité.
La gauche étudiante est dépeinte comme un regroupement d’enfants-rois qui devront apprendre à se faire dire non […]. Des enfants gâtés qui possèdent tous des iPhone et voyagent à Cuba, quand ils ne sirotent pas des sangrias sur une terrasse à Outremont. En tant qu’enseignante au collégial, je connais bien cette génération dépeinte de façon condescendante par nos médias, seulement ce portrait n’est pas celui des étudiants militants, car un enfant-roi, par définition, est égocentrique et a-social. Il n’est surtout pas prêt à risquer sa session pour que tous aient un meilleur accès à l’éducation. À vrai dire, la génération des enfants-rois regroupe plutôt la majorité des étudiants qui ne votent pas, parce que quatre heures d’assemblée, ce sont quatre heures de trop dans leur horaire plein de vide, et qui se plaignent d’insolation quand le débat se fait à l’extérieur pour réunir tout le monde, selon les règles du code Morin. […]
Comme plusieurs, je suis outrée par la loi spéciale décrétée par le gouvernement, mais je lui suis reconnaissante de m’avoir libérée du cauchemar des injonctions, dans lequel m’ont plongée la Cour et mes concitoyens. Cette loi spéciale plonge maintenant l’ensemble de la population dans la situation des professeurs soumis aux injonctions, c’est-à-dire face à des manifestants de plus en plus en colère, revendiquant la désobéissance civile qui a commencé par le non-respect des injonctions.
Les questions que l’on se pose aujourd’hui, à savoir si le port du carré rouge est un geste de désobéissance civile, à délimiter ce qu’il est possible de dire et d’écrire, de faire ou de ne pas faire, je me les suis toutes posées avant de me présenter en classe pour UN étudiant, après plusieurs nuits d’insomnie alimentées par les images des situations de Rosemont et de Lionel-Groulx. Je n’en voudrai jamais à cet étudiant qui a dû débourser les frais élevés d’un avocat pour une solution qui, comme la loi spéciale, en plus de ne pas régler le problème, l’a simplement envenimé.
Mais je me souviendrai d’une société obnubilée par l’ordre qui n’a jamais pris en considération la praticabilité des injonctions et le danger dans lequel elles plaçaient les professeurs et les établissements d’enseignement, en leur refilant le problème d’un gouvernement encouragé par sa population à ne pas céder sous la pression des étudiants. […]


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