Le soir du 30 octobre 1995, quelques minutes à peine après confirmation de la défaite crève-coeur de l’option du «Oui», le premier ministre fédéral Jean Chrétien faisait la déclaration officielle suivante: «Les Québécois et Québécoises se sont exprimés. Nous devons respecter leur verdict.»
M. Chrétien jubilait bien sûr, après avoir dépensé libéralement des millions de dollars et contourné allègrement les lois électorales québécoises pour contribuer à la victoire du «Non». Contre les séparatistes, avec lui, c’était toujours «au diable les règles»…
Quand même, dans cette déclaration, le premier ministre se trouvait à reconnaître officiellement:
1. la légitimité et la légalité de la démarche référendaire de sécession du Québec, à laquelle son gouvernement avait participé dans le camp fédéraliste;
2. la légitimité et la légalité de la majorité simple en cas de victoire ou de défaite, M. Chrétien présentant le 50,5% du «Non» comme l’expression claire du «verdict» québécois…
Qu’il l’avoue ou pas, en félicitant les Québécois d’avoir choisi de rester «Canadiens», fut-ce par une marge fort mince, le chef du gouvernement canadien venait de reconnaître qu’ils auraient pu exercer leur droit de choisir autrement, par une marge tout aussi mince…
Quelques années plus tard, ce même gouvernement – toujours aussi ratoureux – lança la patate chaude à la Cour suprême, à ses propres juges, en lui demandant de donner son avis sur le droit des Québécois de se retirer de la fédération canadienne.
Encore aujourd’hui, j’ai la conviction que M. Chrétien et quelques-uns de ses proches ont dû blêmir en prenant connaissance de l’avis juridique qu’ils avaient eux-mêmes sollicité… Ils espéraient sûrement un appui des juristes suprêmes et, à la place, on leur a servi une canne de vers:
Ce paragraphe, tiré du Renvoi sur la sécession de 1998, ils ne l’attendaient pas:
«Le rejet clairement exprimé par le peuple du Québec de l’ordre constitutionnel existant conférerait clairement légitimité aux revendications sécessionnistes, et imposerait aux autres provinces et au gouvernement fédéral l’obligation de prendre en considération et de respecter cette expression de la volonté démocratique…»
La loi fédérale sur la clarté référendaire de 2000, oeuvre de Stéphane Dion, venait en quelque sorte rejeter le coeur du message des juges suprêmes, dans la plus pure tradition d’«au diable les règles» pour combattre les séparatistes.
Alors que les juges reconnaissaient pleinement le droit d’initiative du «peuple du Québec» (notez bien l’expression, pas la population, pas les électeurs, mais bien «le peuple»…) et ne faisaient intervenir Ottawa et les autres provinces qu’en cas de négociation éventuelle sur la sécession, voici que la loi Dion tente de dicter au Québec un droit d’intervention des parlementaires fédéraux à l’étape de la formulation d’une question référendaire…
L’Assemblée nationale du Québec a remis les pendules à l’heure peu de temps après en adoptant la Loi 99 (Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec). Or voilà que cette déclaration du droit a l’autodétermination du Québec, contestée par des Anglo-Québécois et par le gouvernement fédéral sous Harper, se retrouvera bientôt de nouveau sous la loupe des tribunaux…
Avec un gouvernement sans colonne vertébrale comme celui de Philippe Couillard, on peut craindre que la défense des droits du «peuple du Québec» soit plus que molle… Aussi faut-il applaudir l’intervention de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, défenseur acharné de la nation depuis 1834, d’offrir de robustes béquilles aux défenseurs chancelants de la troupe libérale (bit.ly/2cHBWi6).
La Loi 99 exprime notre réalité. Une réalité qu’a reconnue Jean Chrétien lui-même en 1980 et en 1995 par sa participation aux camps du Non. Une réalité reconnue clairement par les juges de la Cour suprême en 1998. Une réalité niée par la Loi Dion sur la clarté référendaire en 2000. Une réalité – celle de notre droit d’exister comme peuple et de décider nous-mêmes de notre avenir collectif – qu’il faut continuer de défendre à tout prix!
Dans son avis de 1998, la Cour suprême avait noté ce qui suit: «Il faut bien faire la distinction entre le droit d’un peuple d’agir et son pouvoir d’agir. Ils ne sont pas identiques». Que le peuple du Québec ait ou non le droit de faire l’indépendance, il aura toujours le pouvoir de la faire. Contre la légalité constitutionnelle du pays. Et une telle démarche pourrait réussir si la communauté internationale reconnaît effectivement l’existence du nouvel État.
Mais il est toujours plus rassurant de s’appuyer sur de solides fondations juridiques. Or ce que l’on tente de faire présentement, en attaquant la Loi 99 devant les tribunaux, c’est justement de supprimer notre «droit d’agir» comme peuple. C’est fondamental.
Source: Pierre Allard
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