Liquidité: radiographie d'une crise en sursis (2)

La troisième option de Monique Jérôme-Forget

Bourse - Québec inc. vs Toronto inc.

Dernier de deux textes
Deux ans après Norbourg, le «démon à trois lettres» refait surface avec l'affaire des papiers commerciaux adossés à des créances (appelés PCAC) non bancaires. C'est le risque «phi», le symbole grec pour le risque de confiance qui décrit les valeurs et le mode de relation entre clients et professionnels de l'industrie fiduciaire des régimes d'épargne et de retraite, des gestionnaires de fonds, des courtiers et des gardiens de valeurs. Si Norbourg implique un cas de fraude, la crise actuelle révèle les effets d'une confusion de responsabilités qui caractérise l'industrie fiduciaire et d'une influence décroissante des régulateurs canadiens sur la stabilité des institutions canadiennes.
Quatre composantes de la crise actuelle échappent au contrôle du système canadien de surveillance. Les dizaines de fonds communs canadiens contaminés par les PCAC avaient beau avoir les mêmes caractéristiques monétaires qu'un dépôt à court terme auprès d'une banque, leur contenu n'était pas couvert par l'assurance dépôt qui protège les clients de banques. Le papier commercial est une valeur mobilière traitée par les courtiers mais «exemptée» de réglementation, encore plus lorsque ces papiers sont émis par des institutions non bancaires représentant le tiers du marché sans la moindre soupape de sécurité auprès de la Banque du Canada. Les agences de notation, notamment DBRS à Toronto, ne sont pas réglementées. Et les plus gros investisseurs, y compris les fonds de pension dont dépendent des centaines de milliers d'employés, sont traités comme des «investisseurs qualifiés» capables de se protéger eux-mêmes!
Si les banques «ne sont plus tout à fait des banques» à cause de la domination croissante de leurs activités fiduciaires, la crise de PCAC révèle un fait troublant: le risque «phi» fragilise de plus en plus les assises de crédit qui forgeaient jadis leur stabilité. Selon Ying Liu, anciennement du département d'analyse monétaire et financière de la Banque du Canada, et Christian P. A Calmès, professeur d'administration à l'Université du Québec en Outaouais (UQO), les revenus bancaires sont de plus en plus volatiles par suite d'une exposition accrue au marché de capitaux.
En vingt ans, la volatilité des revenus bancaires canadiens a doublé alors qu'elle est restée relativement stable aux États-Unis. Plus grave encore, la transformation en supermarchés financiers, loin de diversifier les risques des banques, a aiguisé encore plus leur vulnérabilité aux fluctuations de marché et de cycles économiques. Leur niveau de rentabilité, adapté aux risques engrangés, ne reflète plus leur niveau de sécurité qui s'est détériorée. Bref, les banques «jouent la banque» en dépendant de plus en plus du «démon à trois lettres». «Et la crise actuelle n'a fait que renforcer nos conclusions», affirme aujourd'hui M. Calmès qui avait été à l'origine de l'étude en 2004 alors qu'il était encore à la Banque du Canada.
L'effet boomerang de la politique d'autruche
Le fait que les plus grandes institutions comme la Caisse de dépôt (CDP), qui a forgé Conventree et en est toujours actionnaire, le Conseil du trésor de l'Alberta (ATB), et l'Ontario Financing Authority, des caisses de retraite réputées comme Teachers, PSP et Poste Canada, les grandes organisations de fonds comme Altamira, Legg Mason et de nombreuses trésoreries de sociétés commerciales aient été intoxiquées pour plus de 20 milliards de dollars, démontre une fois de plus le mythe voulant qu'il n'y ait pas de danger de contagion entre investisseurs avertis et grand public.
Cette croyance réglementaire ignore l'effet domino que la crise vient d'engendrer dans le monde et qui finit toujours par heurter le particulier comme un boomerang. Si ces investisseurs étaient assujettis aux mêmes conditions générales, les régulateurs auraient peut-être pu intervenir plus rapidement pour faciliter l'arrimage de risques et le dénouement de nombreux conflits découlant des multiples rôles que les banques jouent entre celui d'arrangeur, d'administrateur, de distributeur et d'émetteur de PCAC, ou d'acheteur et de vendeur de protection contre défaillance de crédit des créances sous-jacentes. Comme si un conseiller dit indépendant vous recommandait le fonds qu'il gère, administre, conserve et distribue en même temps, une pratique découragé par n'importe quel régulateur!
C'est ici qu'il faut tirer les leçons de cette crise: comment expliquer que les institutions québécoises aient été les plus contaminées au Canada par ces PCAC non bancaires? Est-ce parce que le marché avait moins accès aux conduits bancaires ou que son leadership en matière de dérivés au Canada exposait spécialement le Québec? Si la Banque du Canada a ouvert ses guichets aux négociants de conduits bancaires et appuyé les banques et la Caisse centrale, aurait-elle pu assurer plus de liquidité sur le marché? Si les dirigeants de Coventree, le parrain des plus grands conduits non bancaires canadiens avec plus de la moitié des PCAC canadiens, prévoyaient depuis décembre 2006 le danger d'un «ouragan» capable de déstabiliser le marché des PCAC, comment se fait-il que les régulateurs canadiens et les institutionnels n'aient rien vu venir? S'il est encore trop tôt pour prédire des pertes importantes, les enjeux n'en restent pas moins colossaux.
Quel avenir pour l'Autorité des marchés financiers?
Ces questions en soulèvent une autre sur l'avenir de l'Autorité des marchés financiers qui, deux ans après Norbourg, cherche encore son souffle. Un débat fait de plus en plus rage au Canada: faut-il oui ou non adopter une Commission nationale des valeurs mobilières, sur le modèle de la Securities and Exchange Commission aux États-Unis, pour renverser la réputation croissante du pays comme le «far west occidental» de la finance? Et une telle commission suffirait-elle à renverser la vapeur?
Le gouvernement Charest dit non. Mais quelle solution de rechange propose-t-il? Un système de passeports par lequel une organisation professionnelle, enregistrée en Alberta, peut opérer au Québec sans s'y enregistrer de nouveau. Tant que cette approche n'oblige pas le Québec à diluer à la baisse ses normes réglementaires, personne ne peut s'opposer à cette forme d'ouverture. Mais dans sa précipitation de vouloir écarter à tout prix une commission nationale, le Québec harmonise à la baisse, comme l'exemple du règlement 81-107 sur les comités d'examen indépendant le montre, vidés qu'ils sont de la moindre responsabilité fiduciaire. Ce règlement était piloté par la commission ontarienne qui n'a pas rejoint le système du passeport et qui a contribué à diluer de manière significative sa portée. La Colombie-Britannique, pourtant l'un des alliés stratégiques du Québec, a imposé sa propre règle: les institutions désireuses de n'opérer que dans la province sont libres de se doter d'un tel comité.
La troisièmes option pour la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, serait un compromis historique qui permettrait enfin aux Québécois de profiter de la concurrence internationale, tout en misant sur des objectifs d'excellence sur le marché intérieur, sans devoir faire de compromis. Harmonisation n'est pas synonyme de dilution, surtout si le Québec adopte une réglementation de principes plutôt que de règles, beaucoup plus souple et adaptée aux nouvelles conditions des marchés financiers.
Tant et aussi longtemps que la SEC américaine entretenait jalousement son protectionnisme, cette option était difficile à accepter. Comme le soulignaient certains législateurs à Québec, accepter une commission nationale pour le reste du Canada en conservant l'AMF pour le Québec équivalait à se «peinturer dans un coin» et à isoler la province.
Mais dès lors que les autorités américaines et européennes se montrent prêtes depuis cette année à conclure des accords de réciprocité avec des régulateurs de même qualité, le Québec ne serait plus isolé. Cela ouvrirait les frontières et contribuerait à élargir considérablement l'offre de services financiers à meilleur prix dans la province. Libre alors au reste du Canada de les laisser entrer ou pas! Trente ans après avoir créé le précédent canadien de la Régie des rentes et de la Caisse de dépôt, dont Ottawa a ensuite emboîté le pas, le temps est peut-être venu de faire une nouvelle avancée. C'est ce qu'on appelle la politique de réglementation la plus favorable.
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Claude Béland, Rosaire Couturier, Andrée De Serres, Reynald Harpin, Robert Pouliot et Michel Rioux, Membres de la Coalition pour la protection des investisseurs


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