L’auteur de cette analyse n’est pas économiste, il se spécialise plutôt dans le domaine du développement urbain et durable. Toutefois, il tente, ici, une réflexion prospective face à la crise des marchés financiers qui menace notre souveraineté économique.
La mondialisation poursuit sa course envers contre tous. À preuve les récentes tentatives de fusionner les bourses de Toronto et de Londres. Un mouvement de troupes qui n’augure rien de bon pour le Québec à l’heure où le gouvernement fédéral tente de régenter plusieurs de nos juridictions provinciales.
En fait, c’est le Groupe TMX – formé de la Bourse de Toronto et de celle de Montréal – qui pourrait tomber sous la coupe du London Stock Exchange. Ainsi donc, la chaise musicale des sièges sociaux se poursuivrait, avec le départ de celui de la Bourse de Montréal vers Toronto et, par voie de conséquence, la fuite vers … Londres.
Dans un contexte où les entreprises manufacturières ont délocalisé un grand nombre de leurs centres de production, voilà que les places boursières sont en voies de fusionner face à la menace des autres plateformes de transactions alternatives. Rappelons, à ce sujet, que la plateforme alternative Chi-X aura réalisé plus de 1 500 milliards d’euros de transactions en 2010 et serait devenue la deuxième place boursière européenne. Est-ce dire que les intérêts chinois pourraient, dans un proche avenir, damer le pion au London Stock Exchange ?
Changement de paradigme
Montréal pourrait tirer son épingle du jeu, selon certains analystes, du fait son expertise pointue dans le domaine des transactions sur les produits dérivés. Toutefois, il s’agit d’un marché particulièrement volatile, avec les inconvénients que l’on connaît en termes de spéculation et d’effets de levier qui deviennent incontrôlables dans certains cas. Pourquoi ne pas repenser le rôle d’une place boursière à la lueur d’une crise économique qui est d’essence structurelle et qui n’est pas sur le point de s’estomper à court terme.
Certaines données du ministère des Finances, de l’Économie et de la Recherche du Québec démontrent que l’offre en matière de capitale de risque est toujours importante chez nous. En effet, les fonds sous gestions ont été supérieurs à 11 milliards de dollars en 2001, ce qui veut dire que le Québec possédait la moitié du capital de risque disponible pour les entreprises canadiennes à pareille date. Il appert que le mouvement coopératif souffre de sous-financement, malgré le fait que certains organismes financiers se montrent plus ouverts à aider un secteur qui représente une alternative crédible face au néolibéralisme chancelant.
Recentrer le capital
Les coopératives sont actives dans le monde agricole, aux niveaux des entreprises de services, du commerce de détail ou même des produits manufacturés. Contrairement aux entreprises traditionnelles, les coopératives n’ont pas pour finalité de satisfaire les intérêts d’une caste d’investisseurs. Leur mandat concerne plutôt une plus juste répartition des revenus entre les membres, qu’ils soient issus de la direction, de la masse des salariés ou d’un groupes d’investisseurs. La finalité d’une coopérative n’étant pas l’enrichissement à tous prix d’un groupe d’actionnaires, mais bien la participation économique de ses membres au bon fonctionnement de l’entreprise et l’imbrication de cette dernière dans son tissu socioéconomique d’ancrage.
Dans un contexte où les gestionnaires de fonds de placement – à l’instar de la Caisse de dépôt et de placement du Québec – perdent des plumes face à la volatilité des marchés financiers, pourquoi ne pas recentrer ce précieux capital fruit de l’épargne collective. On pourrait mettre en place, à Montréal, une place financière alternative qui financerait les coopératives du Québec, mais aussi ailleurs en Amérique, dans un premier temps. Les coopératives bien gérées présentent moins de risque que bien des PME traditionnelles, selon un haut cadre de Capital régional et coopératif Desjardins. Ne recherchant pas à dégager une plus-value qui sera injectée sur les marchés financiers, les coopératives ont pour mission de répondre à une offre locale en poussant ses membres à s’investir dans la gestion de ses actifs et de sa structure administrative.
Vers un capitalisme non financier
Curieusement, le développement du mouvement coopératif permettrait d’échapper à l’emprise du grand capital apatride et de recentrer l’activité économique en fonction de l’offre et de la demande au niveau local. La dérive du néolibéralisme proviendrait, en premier lieu, de la structure des marchés financiers et du délitement de la souveraineté des nations et des régions concernées par l’éclatement des frontières économiques. Obsédés par le rendement sur l’investissement, les financiers ont spéculés en démultipliant les leviers d’investissement, en empruntant des sommes inexistantes et en forçant les entreprises à délocaliser une part croissante de leurs moyens de production. Une bulle énorme a été générée par ce cancer spéculatif et a, finalement, éclatée en 2009.
Le mouvement coopératif possède des ramifications dans toutes les régions du Québec. Il concerne non seulement les entreprises d’économie sociale, mais tout autant les producteurs agricoles, certains manufacturiers et fournisseurs de services aux collectivités concernées. Pourquoi ne pas profiter de la masse critique de nos fonds de placement pour relancer l’économie locale, dans une perspective de juste rétribution des actifs et de meilleure prise en charge des impacts de nos entreprises sur l’environnement ? Loin d’être une idée saugrenue, il s’agit d’une promesse d’avenir dans un contexte où nous ne pouvons plus nous permettre le luxe de voir nos entreprises et nos terres arables être liquidées à vil prix pour satisfaire des intérêts qui n’ont rien à voir avec ceux de la collectivité.
Un noyau dur pour financer l’économie locale
Ainsi, des dossiers tels que l’implantation de parcs de production d’énergie alternative – éolienne, solaire ou autre – ou la gestion de fermes de production agroalimentaire pourraient faire l’objet d’une série de moratoires afin de faire le point sur les orientations économiques envisagées. Des coopératives de production et d’initiative locale pourraient se voir confier le mandat de reprendre en main une partie importante de la vie économique de nos régions. Les petites entreprises familiales ne seraient plus forcées de vendre leurs fermes ou leurs centres de production à des groupes financiers apatrides qui n’ont pas à cœur l’avenir des communautés concernées.
Une part croissante de l’imposant bas de laine du Québec irait irriguer le développement d’une économie locale, de type mixte, où la finalité serait l’enrichissement collectif. Il est aberrant que les immenses fonds du Mouvement Coopératif Desjardins ou de la Caisse de dépôt et de placement aillent fructifier à l’étranger, avec les tragiques dérives qui ne manqueront pas de survenir à nouveau. L’économie de type coopératif n’est pas une vue de l’esprit dénuée de fondements réalistes ou un ersatz d’une quelconque idéologie marxiste. Il est enfin temps de lui donner les moyens de ses aspirations. La présente crise financière, la liquidation de nos places financières et la spoliation de nos épargnes collectives nous forcent à repenser le capitalisme. Il est impératif d’organiser une imposante place financière dédiée au mouvement coopératif en plein cœur de la «City» montréalaise.
Trouver de nouvelles alternatives aux anciennes places boursières
La bourse ou la vie
Chronique de Patrice-Hans Perrier
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Patrice-Hans Perrier est un journaliste indépendant qui s’est penché sur les Affaires municipales et le développement urbain durant une bonne quinzaine d’années. De fil en aiguille, il a acquis une maîtr...
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Patrice-Hans Perrier est un journaliste indépendant qui s’est penché sur les Affaires municipales et le développement urbain durant une bonne quinzaine d’années. De fil en aiguille, il a acquis une maîtrise fine de l’analyse critique et un style littéraire qui se bonifie avec le temps. Disciple des penseurs de la lucidité – à l’instar des Guy Debord ou Hannah Arendt – Perrier se passionne pour l’éthique et tout ce qui concerne la culture étudiée de manière non-réductionniste. Dénonçant le marxisme culturel et ses avatars, Patrice-Hans Perrier s’attaque à produire une critique qui ambitionne de stimuler la pensée critique de ses lecteurs. Passant du journalisme à l’analyse critique, l’auteur québécois fourbit ses armes avant de passer au genre littéraire. De nouvelles avenues s’ouvriront bientôt et, d’ici là, vous pouvez le retrouver sur son propre site : patricehansperrier.wordpress.com
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
9 février 2011Oui, nous recentrer sur l’économie réelle. L’économie réelle doit être basée sur l’investissement et le développement, et non sur la spéculation financière et monétariste de malades qui n’investissent pas un sous dans l’économie réelle de production et de développement. Les États ont sauvé les banques à coup de milliards en 2008 et elles réinvestissent dans l’argent Monopoly des bourses spéculatives. Cette élite de spéculateurs fixent les prix, détruisent les économies locales, anéantissent les sécurités sociales, volent les ressources naturelles des pays les plus pauvres pour mieux détruire les démocraties et s’approprier la planète. L’activité spéculative a trois niches : la drogue, le pétrole et les ressources naturelles.
Archives de Vigile Répondre
9 février 2011M. Perrier,
J'abonde dans le même sens que vous concernant la restructuration des bases sur lesquelles reposent notre économie. J'aimerais attirer l'attention du lecteur sur les crises financières du début des années 2000 qui ont touché fortement l'Argentine et le Brésil, et que c'est justement par une transformation des entreprises selon un modèle coopératif que ces pays, et leurs ouvriers, ont pu s'en sortir.
Bien à vous.
Adam Richard