« Dans leur incapacité presque absolue d’analyser, c’est-à-dire de critiquer, d’ironiser et de juger les événements qu’ils devraient en principe traiter, les journalistes confiturés, les scribes médiatiques et les malléables penseurs du temps comme il va n’ont plus que le mot « fête », en toute circonstance, quel que soit le sujet qu’ils traitent, et ils ne s’aperçoivent même pas de ce ressassement. »
- Philippe Muray, in Après l’histoire, 1998
Pour Lucien Cerise
De nos jours, en 2020, on pourrait remplacer le terme fête employé par Muray par celui de catastrophe. En effet, la pandémie de coronavirus représente une catastrophe qui tombe à pic pour alimenter le moulin à boniments de nos scribes stipendiés depuis que la fête s’est terminée aux alentours d’un 11 septembre 2001 qui venait clôturer de manière définitive la grande kermesse sociétale inaugurée sous le règne de Mai 68. Ainsi, de fil en aiguille, les campagnes d’ingénieries sociales auront fini par porter leurs fruits : la grande kermesse libérale-libertaire ayant servi à inoculer le virus du consentement. L’esprit critique anesthésié, la voie était pavée pour l’avènement d’une série de catastrophes providentielles.
La crise comme test in situ
Naomi Klein dans son célèbre essai The Shock Doctrine, publié en 2007, analyse le modus operandi de la crise comme moteur de changement entre les mains des « alchimistes » de l’ingénierie social. Commentant les conséquences des inondations causés par l’ouragan Katrina qui a frappé la Louisiane, en 2005, cette dernière cite un passage d’un éditorial écrit par Milton Friedman pour le Wall Street Journal. Faisant semblant de se désoler face au cataclysme, « Oncle Miltie » en profite pour y aller de ses prédictions : « Most New Orleans schools are in ruins, as are the homes of the children who have attended them. The children are now scattered all over the country. This is a tragedy. It is also an opportunity to radically reform the educational system ».
Ainsi donc, de l’avis de l’économiste proche de la Société du Mont Pèlerin – toujours active dans les coulisses du Sommet de Davos – l’éparpillement des enfants des communautés touchées allait procurer au système éducatif privé une chance en or. Privés de leur communauté d’attache, ces rejetons des classes les moins fortunés devenaient des cobayes entre les mains des « éducateurs » d’un état surtout pas providentiel. En outre, l’état allait se désengager de l’effort de reconstruction des infrastructures éducatives louisianaises pour, a contrario, offrir des subventions aux familles impactées afin qu’elles puissent envoyer leur rejeton dans des institutions d’enseignement privées. Chemin faisant, si l’on suit le doigt Naomi Klein, le système privé tirait les marrons du feu en mettant en pratique le concept de la « socialisation des pertes et privatisation des profits ».
De la même manière, en 2020, certains intérêts pharmaceutiques auraient intérêt à profiter des mirifiques émoluments gouvernementaux dans un contexte où l’introduction d’un vaccin obligatoire pourrait générer un pactole historique pour ce complexe financier et industriel qui est proche de l’état profond. D’où l’intérêt de différer les recherches portant sur des antidotes plus faciles à produire et moins onéreux pour les dépenses publiques.
Toutefois, l’approche analytique de Klein nous laisse sur notre faim. S’il est évident que l’état profond, lié au cartel des grandes banques d’affaires, ambitionne depuis longtemps de privatiser une part croissante des activités de l’état, il n’entend pas pour autant démanteler cet « état providence » qui lui a rendu de si inestimables services depuis Roosevelt. Si les crises militaires ou humanitaires permettent aux grandes banques d’affaires – et aux trusts contrôlant la machine de production – d’être en mesure de générer toujours plus de dettes, il y a plus. L’état de crise – généré par des catastrophes, révolutions ou guerres – permet, aussi, aux alchimistes à la manœuvre de fragmenter le monde pour le réorganiser en fonction d’une doctrine qui est bien connue des initiés.
Ainsi, même si pour les théoriciens du néolibéralisme, dont Friedman est le prophète, l’école ne doit pas être gérée par les bureaucrates du secteur public, l’emprise de l’état ne doit surtout PAS se relâcher. Puisque, ne l’oublions pas, c’est l’état qui à travers sa dette qui représente toujours la plus formidable machine à ponctionner et contrôler le contribuable. Et, en temps de crise, surtout, l’état représente l’inévitable courroie de transmission qu’il convient de bien huiler afin d’éviter les débordements et pour être en mesure de faire tourner une économie qui repose essentiellement sur l’endettement collectif. Bien évidemment, nous ne sommes pas en train de prôner un désengagement de l’état, dans un contexte où nos contempteurs seraient trop heureux de nous qualifier de néolibéraux, d’anarchistes ou de suppôts d’un survivalisme de pacotille. Nous tentons, tout simplement, de profiter de l’état de choc actuel pour dessiller les yeux de nos contemporains.
Changer nos habitudes de vie
La grande bacchanale qui s’est déroulée dans le sillage du « coup d’état » de Mai 68 a été produite par les ingénieurs sociaux de certains instituts liés à l’état profond, tels que le Tavistock Institute of Human Relations en Angleterre. S’adressant à la jeunesse issue du baby-boom des années d’après-guerre, cette ambitieuse campagne d’ingénierie sociale ambitionnait de créer une commotion sur la base d’un Nouvel Âge présenté comme une nouvelle ère historique et cosmique. L’ère chrétienne du Poisson se terminant, l’ère du Verseau allait tous nous ramener aux fondamentaux néo-païens présentés comme une panacée face à une civilisation patriarcale occidentale en perte de vitesse.
Les bouleversements historiques – peu importe l’effort de distorsion induit par des groupuscules proches du pouvoir – sont inévitables et font partie de la grande marche de l’humanité sur le chemin de sa transformation. Nul besoin d’être un kabbaliste pour reconnaître que les crises existentielles du genre humain agissent comme des agents de transformation qui ouvriront de nouveaux vecteurs, tout en obstruant certaines avenues. Il faut être apte à dépasser la stupéfaction provoquée lors d’un état de crise pour être en mesure de saisir les nouvelles avenues qui s’offrent à nous. Mais, certainement pas dans le sens où l’entendent les opportunistes de la même trempe que Friedman. Puisqu’il faut bien l’admettre, peu importe les ressorts naturels ou artificiels d’une crise, nous sommes placés devant l’obligation de devoir nous adapter aux événements en lice. Mais, pas forcément dans le sens où le souhaiteraient les « autorités compétentes » ou certains agents d’influences.
Les prescripteurs de la révolution psychédélique prônaient l’évasion comme mode de transformation de la jeunesse. Expérimentant des drogues de synthèse – tels que le LSD fabriqué dans les laboratoires d’un géant pharmaceutique suisse – et s’abreuvant à des sources d’informations dites « alternatives », mais produites par les succursales nord-américaines des géants de l’édition, une partie de la génération des boomers fut prise en charge par les Spin Doctors de l’industrie du divertissement. L’infotainment était né et, avec lui, toutes une ribambelle de vecteurs de propagande instillés au sein d’une jeunesse coupée de sa famille et désertant l’école publique. Nous avons, de notre vécu, été les spectateurs de ses violentes embardées qui auront contribué à disloquer les familles alors, qu’au même moment, le féminisme et les luttes minoritaires se mettaient de la partie pour que se répande une sorte de STASE, véritable état d’hypnose collective emportant tout sur son passage. La crise de 1981 agira comme un brutal coup de poing qui ralentira l’agitation de cette nef des fous, tout en prolongeant avec d’autres moyens moins ludiques l’effet de morcellement du ciment collectif et ses corollaires inévitables. N’importe lequel observateur attentif aura compris la portée de cette approche anthropique : ouverture – fermeture – répétition du cycle de manière à toujours plus fragmenter la cohésion civilisationnelle. Bien évidemment, tous les intellectuels stipendiés par le grand capital vous diront qu’il n’y a plus de civilisation viable à l’heure où la dislocation de nos sociétés représenterait un phénomène inévitable dans la course de l’humanité vers … sa libération finale. Et, puisque nos civilisations sont périmées – et pourquoi pas – rien de mieux qu’une bonne dose de chaos, sorte de thérapie homéopathique collective qui utilise de faux antidotes pour nous faire miroiter une sortie élégante.
La fête est terminée
Tiens, ça fait près de deux décennies que les diverses souches de coronavirus sont étudiées par nos laboratoires pharmaceutiques ou gouvernementaux. Mais, il y a aussi les officines expérimentales affiliées aux services secrets des grandes puissances qui planchent sur l’affaire. Curieusement, après avoir faussement accusé le gouvernement syrien de mener une guerre bactériologique contre son propre peuple, c’est au tour de l’État profond occidental d’être tenté par le génie de la lampe. Quel intérêt y aurait-il à répandre un tel virus aux quatre coins du monde ?
Le gouvernement Macron fait face à une incroyable pression de la rue, mais tout autant à une levée de boucliers en provenance des corps constitués de la nation et des résidus de la classe moyenne mourante. Plusieurs observateurs prévoyaient un 1er mai d’un genre nouveau, les syndicats gauchistes stipendiés et leurs milices antifas ne parvenant plus à monopoliser l’espace public dans un contexte où la majorité des contribuables pourrait être tentée d’y faire un tour. Cette pandémie tombe à pic en permettant à la Macronie de décréter un état d’urgence qui lui permet de suspendre les droits constitutionnels les plus élémentaires de ses sujets. Déclarant l’état de guerre au coronavirus, le président Macron annonce que la récréation a assez duré et on réalise qu’il a dorénavant toutes les cartes en main : suite au confinement des citoyens, c’est tout le processus des élections municipales qui a été chamboulé. Avec un taux de participation de moins de 20 % au premier tour, il est évident que les bobos supplétifs se sont déplacés en masse, habitant à proximité des bureaux de scrutin ou ayant les moyens de se mouvoir à leur guise. La géographie politique et l’analyse psychosociologique ont toujours démontré qu’un faible taux de participation avantageait inévitablement la classe politique aux manettes.
Les États-Unis ne sont pas en reste, alors que le président Trump et ses soutiens avaient le vent en poupe. Plusieurs observateurs sérieux de la scène politique américaine estiment que, si la pandémie risque d’avoir été jugulée d’ici novembre prochain, les contrecoups portés à l’économie pourraient faire en sorte qu’un nombre croissant de citoyens issus des classes populaires s’abstienne de voter. Connaissant la composition de l’électorat de l’actuel président, on peut facilement en déduire, à l’instar de la France, une défection du vote populaire qui pourrait mener à un changement de régime. Les classes populaires assignées à résidence, perdant leurs emplois par millions et n’ayant pas les moyens de se constituer d’importants stocks de denrées risquent fort de perdre le moral en fin de compte. Ainsi, l’état de crise actuel pourrait bien servir les intérêts globalistes, tout cela alors que certains analystes réputés patriotes se frottent les mains face à l’inévitable réhabilitation des frontières et de certaines fonctions régaliennes. Quoi qu’il en soit, il est difficile d’évaluer les chances de l’actuel Potus de juguler un État profond qui n’hésitera pas à prendre tous les moyens pour arriver à ses fins.
Les infortunes de la vertu du confinement
Chez nous, au Canada et, plus particulièrement au Québec, plus d’un million de demandes ont été produites auprès du ministère qui administre l’assurance-emploi. Les Québécois se plient de bon cœur aux nouvelles mesures de confinement et les artères commerciales de Montréal sont désertes. Les regroupements ayant été interdits dans les lieux publics, les forces de police patrouillant aux quatre coins de la métropole afin de s’assurer que vous n’êtes pas en train d’entreprendre une marche de santé à plusieurs. De longues files d’attente s’étirent devant la devanture des échoppes alimentaires et le ravitaillement en denrées commence à souffrir de sérieuses lacunes. Le commun des mortels ne sait plus où donner de la tête afin de se procurer de l’eau de javel, de l’alcool pour nettoyer les surfaces à la maison ou des items de première nécessité. Les simples quidams expérimentent, pour la première fois de leur vie, une vraie situation de quasi-pénurie et la perspective effarante d’un effondrement économique à court ou moyen termes.
Le gouvernement canadien ayant annoncé qu’il serait prêt à investir des dizaines de milliards dans l’économie impactée, on comprendra que tous les efforts consentis afin d’atténuer l’impact de l’intérêt sur la dette auront été consentis en vain. Comme des veaux, nous sommes dépendants des pouvoirs publics afin d’investir massivement auprès des sans-emploi, mais aussi des entreprises et, bientôt, des institutions financières qui ont investi à perte les économies provenant des fonds de pension de la classe laborieuse. Comme si de rien n’était, avec notre consentement tacite, le garrot de l’endettement et la dépendance aux grandes banques d’affaires pourrait se resserrer de manière drastique.
Et, là, les oligarques qui dominent la partie risquent fort de jeter l’échiquier par-dessus bord en réclamant une réinitialisation de l’ordre économique et financier. Prétextant une situation de crise impossible à juguler, les instances qui dirigent les grandes manœuvres du Forum économique de Davos, qui tirent les ficelles de la Banque des règlements internationaux, toujours en Suisse, et qui dictent à l’ONU ses agendas en matière de politique de gestion des états tombés en désuétude prendront les devants pour décréter un état d’urgence mondial. L’OTAN prendra directement en charge les destinées d’une Union européenne chancelante et la sécurité intérieure du Canada pourrait être inféodée aux décisions américaines en vertu d’accords [ NORTHCOM ] qui dépassent les prérogatives habituelles du NORAD. In fine, l’Agenda ID2020, cette alliance de partenaires privés et publics, pourrait se voir accorder le feu vert pour ce qui est de la mise en place d’un programme d’identification numérique de la population, sous couvert de vaccination de masse.
Au lieu de consulter leur horoscope et de lire les propos alarmistes des grands journaux, nos concitoyens devraient profiter de cette situation de confinement pour faire le point. Bien avant la crise du coronavirus, nous étions, déjà, confinés derrière nos écrans d’ordinateur ou devant nos téléphones dits intelligents. Marchant comme des somnambules dans la rue, nous étions incapables de voir les autres, ces infortunés concitoyen-somnambules qui nous fonçaient dessus. Aveugles, atones, prostrés dans le conformisme de notre misérable ego surdimensionné, nous avions l’habitude de tisser des relations intéressées avec d’autres esclaves de cette fuite en avant. Incapables de voir plus loin que le bout de notre nez, nous avons négligé nos proches, nos enfants et nous-mêmes au point que le tissu social finisse par se désintégrer. Sourds face aux injonctions des Gilets jaunes, ayant déjà oublié Julian Assange dans le fond de sa cellule d’isolement, nous avons suivi à la trace les petits cailloux mis sur notre chemin par toutes les Greta Thunberg de ce monde.
Tiens, Julien Assange vient tout juste d’avoir la permission de s’entretenir une dizaine de minutes avec un dénommé Yanis Varoufakis qui a transmis le libellé de cette conversation au site Réseau international. Ne s’avouant pas vaincu, celui qui a révélé la face la plus obscure de l’état profond américain, nous a rappelé que des organismes tels que Wikileaks et DiEM25 ont déjà eu le temps d’expérimenter des outils numériques qui permettent de mener des débats et d’organiser des campagnes en ligne qui ont le mérite de permettre à la société civile de se mobiliser avec efficacité. S’il se montre optimiste, Assange craint que le complexe de sécurité nationale des grandes puissances anglo-saxonnes soit « sur les dents » par les temps qui courent. On comprendra, dans de telles conditions, que nos garde-chiourmes ne prendront pas grand temps pour resserrer notre collier. Ce confinement bien involontaire pourrait se prolonger ad vitam aeternam. Dans de telles conditions, il n’y a pas que les biens de première nécessité qui disparaîtront des tablettes : la monnaie en espèce sonnante et trébuchante pourrait être retirée de la circulation et les communications électroniques des citoyens récalcitrants coupées sur commande. Combien d’entre-nous oseront briser l’isolement, une fois la quarantaine mise sur la pause, afin de tisser des communautés de résistance véritablement opérationnelles. Oubliez les survivalistes. Maintenant, tout le monde doit mettre l’épaule à la roue.
Référence :
THE SHOCK DOCTRINE, The rise of disaster capitalism, Naomi Klein, éditions Alfred A. Knopf, Toronto, 2007.
ISBN : 978 – 0 – 676 – 97800 – 1
Extrait de :
https://patricehansperrier.wordpress.com/2020/03/26/la-grande-fete-du-confinement/
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