Lettre à une campeuse en colère

Élection Québec 2012 et le Conflit étudiant



Madame, c’était vendredi dernier. Je pense à vous depuis ce temps-là. J’aurais voulu vous dire dans une lettre privée le malaise que j’ai ressenti en vous entendant répondre à Jean Lapierre, alors en reportage pour TVA dans un camping de L’Islet-sur-Mer. Il n’a pas cru bon de vous identifier. Si j’avais su votre nom, je vous aurais proposé une rencontre au cours de laquelle j’aurais tenté de vous faire comprendre à quel point votre réponse à la question de M.Lapierre m’a fait peur.
Il vous a interrogée sur la grève étudiante, le fameux décrochage du printemps dernier qui a permis à la population de prendre connaissance des revendications des jeunes par rapport aux coûts liés à l’éducation supérieure, des coûts que Jean Charest allait augmenter considérablement et que les jeunes ont décidé de dénoncer en abandonnant leurs cours et en sortant dans la rue pour faire connaître leur position. Ils étaient seuls au début, puis des parents et même des grands-parents se sont joints à eux, et la foule a manifesté de façon très civilisée jusqu’à ce que ceux qu’on appelle « les casseurs » viennent s’en mêler.
Les « casseurs » sont connus de la police. Ils sont assez peu nombreux en comparaison de la police qui elle, était partout. Si ces casseurs n’ont pas été arrêtés, c’est peut-être que la police avait besoin qu’il y ait des casseurs pour faire des dégâts. Ça justifie la violence policière, les dégâts.
À la question de Lapierre : « Qu’auriez-vous fait, vous, à la place de Jean Charest », vous avez répondu, sans hésiter, que vous auriez appelé l’armée pour mettre fin à tout ça. J’en suis restée bouche bée. Je n’en croyais pas mes oreilles.
Nous avons un âge comparable. Peut-être avez-vous élevé une famille et peut-être êtes-vous grand-mère maintenant. Je peux donc vous parler de grand-mère à grand-mère, en espérant que vous n’êtes pas ce que Jean Charest appelle la majorité silencieuse sur laquelle il compte pour sauver ce qu’il reste de son parti. J’aime mieux penser que c’est le micro de Jean Lapierre qui vous a troublée. La question que je me pose c’est : où étiez-vous en octobre 1970 ? Si vous étiez au Québec et que vous avez compris ce qu’a signifié la présence de l’armée dans les rues de Montréal pendant des semaines, comment pouvez-vous souhaiter qu’on remette ça une deuxième fois ?
On a dit que l’armée canadienne répondait à une demande du premier ministre Robert Bourassa et du maire Jean Drapeau, au grand plaisir de Pierre Trudeau, alors premier ministre du Canada. La Loi sur les mesures de guerre, car c’est bien de ça qu’on parle, a permis à la police de ramasser plein de Québécois, hommes et femmes, souvent en pleine nuit, chez eux, devant leurs enfants, pour les mettre en prison, sans qu’aucune accusation ne soit portée contre eux, victimes de soupçons parce qu’ils étaient écrivains, journalistes, syndicalistes ou poètes et qu’ils osaient dire ce qu’ils pensaient. Il faut revoir le beau film de Michel Brault, Les ordres, pour vous rafraîchir la mémoire.
Et vous oseriez souhaiter qu’on refasse la même chose pour écraser nos enfants qui sont étudiants et qui ont des opinions sur le coût de leurs études et sur l’endettement qui leur est imposé comme cadeau de début de vie professionnelle, dès que leurs études sont terminées ? Je n’arrive pas à y croire. Ça ne vous dérange pas que Jean Charest ne leur ait jamais donné la chance de lui dire face à face ce qu’ils souhaitaient ? Il n’a jamais accepté de les entendre. Il a plutôt choisi de les traiter avec mépris. Vous trouvez ça normal ?
N’avez-vous pas entendu les protestations des citoyens contre le projet de loi 78, devenu depuis la loi 12, une loi sans bon sens qui va à l’encontre de la Charte des droits et libertés de la personne dont le Québec a toujours été si fier ? N’avez-vous pas senti la honte de certains policiers chargés d’appliquer cette loi ignoble et qui ont choisi de regarder ailleurs pour ne pas avoir à la faire respecter ?
Savez-vous que les manifestations dans la rue, avec ou sans casseroles, sont un outil de défense des citoyens du monde entier, depuis des siècles et des siècles, contre les gouvernements qui abusent de leur pouvoir ? Elles sont même souvent festives parce qu’elles marquent la solidarité entre les humains.
Et si votre fameuse armée, celle que vous vouliez appeler au secours, décidait de fusiller les leaders étudiants les plus connus, à l’aube, histoire de retrouver la loi et l’ordre comme ça se fait encore maintenant dans trop de pays du monde, seriez-vous aussi d’accord ?
Il faisait chaud vendredi dernier. La chaleur fait parfois dire des choses qu’on ne pense pas vraiment. J’ose espérer que c’est le cas, car autrement, j’aurais peur de vivre dans le même pays que vous. Sans rancune Madame.


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