Le discours que Philippe Couillard a prononcé à Toronto lundi pourrait être de ceux qui font date. Tout dépend du sérieux que le premier ministre et son gouvernement mettront pour qu’il ait de « vraies » suites.
Le discours de Toronto du premier ministre du Québec a de quoi réjouir au moins deux catégories de Québécois. D’abord ceux qui espéraient qu’un jour, Philippe Couillard prendrait conscience de son rôle national comme premier ministre du Québec. Ensuite, ceux qui espèrent depuis longtemps que les fédéralistes du PLQ redeviendraient de vrais fédéralistes québécois ; c’est-à-dire aptes à formuler une vision du système fédéral canadien ; et non de simples antisouverainistes du camp du Non.
À Queen’s Park lundi, M. Couillard a rappelé qu’il assumait « le rôle primordial » de chef de gouvernement de « la seule société à majorité francophone d’Amérique ». Jusqu’à maintenant, M. Couillard avait donné l’impression qu’il n’en était pas pleinement conscient. Son discours unilingue anglais en Islande et, surtout, la manière qu’il l’avait justifié le mettaient en porte à faux avec sa « grande responsabilité » — pour reprendre ses mots de lundi.
Parce qu’il renferme cette majorité francophone, le Québec n’est pas une « province » comme les autres dans ce Dominion. Il est foyer de la nation québécoise. Conséquemment, depuis la Révolution tranquille, Jean Lesage et les premiers ministres qui suivirent ont remisé l’expression « province de Québec », propre aux époques précédentes. Ils parlèrent « du Québec », de « l’État du Québec ». (Le retour du vocable « province » dans le discours public, notamment médiatique, pour désigner l’État ou le gouvernement du Québec, illustre la tentation de « reprovincialisation » de l’idée du Québec.)
Aussi, M. Couillard a donné à plusieurs reprises (face aux projets d’oléoducs et au changement de nom du pont Champlain, entre autres) l’impression qu’il concevait le Québec comme une simple province. Or lundi, à Toronto, il reprit l’expression des « deux peuples fondateurs » ; employa les mots « État » et « État fédéré ». S’inspirant de Lesage et Robarts, il insista sur l’aspect fédéral — qui ne semble pas aller de soi au PC, au PLC et au NPD — et non unitaire du Canada : « Il importe que nous nous assurions du respect de nos champs de compétence. »
M. Couillard a même allongé sa liste — dévoilée le 7 mai — de demandes et préoccupations à l’endroit des partis fédéraux en lice pour l’élection du 19 octobre. Aux cinq « vraies affaires » (transferts fédéraux, péréquation, infrastructures, gaz à effet de serre), il en a ajouté une importante : « Nous rappellerons aussi que le caractère spécifique du Québec doit nécessairement être formellement reconnu. » Depuis 2013, M. Couillard a évoqué ce sujet à plusieurs reprises, notamment lors de la course à la direction du PLQ et pendant la campagne électorale. Il a même précisé un échéancier idéal : le 150e anniversaire de l’Acte de 1867. Depuis, il semblait avoir mis cette revendication sous le boisseau et n’avait reculé que sur un seul aspect : il n’entend plus prendre l’initiative d’une réouverture de la Constitution. Sur le fond toutefois, il a crânement, en des moments clés, rappelé ce désir légitime de reconnaissance, lequel reflète celui d’une bonne partie de la majorité fédéraliste québécoise.
S’il veut que son beau discours de Toronto passe à l’Histoire, M. Couillard doit s’assurer qu’il a des suites. De « vraies » suites. À court terme, il ne devrait pas laisser sans réponse la rebuffade arrogante que lui a servie le ministre fédéral Maxime Bernier. À moyen terme, il devrait expliquer pourquoi une telle reconnaissance est urgente, 33 ans après le rapatriement de la Constitution et 20 ans après le référendum. Les deux grands projets québécois (fédéralisme renouvelé et souveraineté) ne peuvent éternellement rester dans l’impasse sans que cela ait des effets délétères.
PHILIPPE COUILLARD À QUEEN’S PARK
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