OTTAWA | Défendre ses valeurs a un prix. Les défendre maladroitement est encore plus coûteux.
Justin Trudeau l’a appris à ses dépens, alors que le Canada se retrouve isolé après avoir attisé la colère de superpuissances mondiales, constatent des experts.
« Si nous réfléchissions plus, avant de parler et d’agir, nous ne serions pas en froid avec les quatre grandes puissances mondiales », analyse le spécialiste des relations internationales, Jocelyn Coulon, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales à l’Université de Montréal, en évoquant les mésententes avec les États-Unis, la Chine, la Russie et l’Inde.
Justin Trudeau avait pourtant de grandes ambitions pour le Canada sur la scène internationale.
« Le Canada est de retour ! » avait-il déclaré en grande pompe après son élection en 2015.
Trois ans et demi plus tard, le constat est sans appel aux yeux de Jocelyn Coulon.
« Le Canada est dans la situation unique où il entretient de mauvaises ou d’exécrables relations avec les quatre puissances. C’est stupéfiant ! » laisse-t-il tomber en entrevue depuis la France.
Une succession de faux pas
M. Trudeau a multiplié les faux pas en Asie en tentant de faire avaler à ses interlocuteurs son programme « progressiste » axé sur les droits de la personne. Vexée, la Chine a rabroué le premier ministre en décembre 2017 dans le cadre de discussions exploratoires sur un éventuel traité de libre-échange.
L’expert Éric Mottet pointe du doigt son entourage.
« J’ai l’impression qu’il est conseillé par une clique de fonctionnaires qui a un agenda très progressiste et qui a une grande méconnaissance de l’Asie en général sur le plan culturel », tranche-t-il.
Avec la Russie, la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland « ne cesse d’envenimer les choses », soutient M. Coulon.
« Trudeau est le seul dirigeant occidental à ne pas vouloir rencontrer le président Vladimir Poutine », déplore-t-il.
Le penchant du chef libéral pour la « diplomatie du spectacle » a lui aussi nui à la réputation du Canada à l’étranger, poursuit Jocelyn Coulon.
Le séjour raté du premier ministre en Inde, l’an dernier, en est l’exemple le plus flagrant, dit-il.
Diplomatie du tweet
« La diplomatie du tweet, de l’émotion, du spectacle ne rapporte rien, à moins que tout cela soit un calcul électoral pour octobre prochain », ajoute-t-il.
Justin Trudeau n’est pas le seul responsable de la position délicate dans laquelle se trouve le Canada sur la scène internationale, font remarquer les experts.
Les institutions multilatérales qui permettent normalement au Canada de briller, comme l’ONU ou l’OTAN, perdent en influence. Sans compter l’élection surprise de l’imprévisible Donald Trump au sud de la frontière, qui a fait dérailler la relation entre les deux pays.
Le gouvernement Trudeau doit néanmoins « se poser de sérieuses questions sur l’efficacité de sa diplomatie », soutient M. Coulon.
Éric Mottet croit lui aussi qu’il est « très anormal » que le Canada ait été incapable de s’adapter au nouveau contexte mondial.
Une ancienne ambassadrice du Canada est loin d’être aussi sévère envers le premier ministre Trudeau.
« Ce n’est pas le Canada qui a changé, c’est le monde qui a changé », estime Marie Bernard-Meunier, une ex-chef de la diplomatie canadienne aux Pays-Bas et en Allemagne.
Selon elle, Justin Trudeau n’a pas insisté de manière excessive sur son message progressiste, malgré l’hostilité de certains de ses interlocuteurs.
États-Unis
Le Canada retient son souffle
Le président américain Donald Trump a passé les dernières années à servir des jambettes diplomatiques à Justin Trudeau. Après avoir exigé une renégociation de l’ALENA et saboté le sommet du G7, Trump a tendu un nouveau piège au Canada dans l’affaire Huawei. Jusqu’à présent, Justin Trudeau a toujours su se relever. Mais l’affaire Huawei, sur fond de guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, pourrait laisser des cicatrices. « L’appui américain face à notre différend avec la Chine ne vaudra rien le jour où Pékin et Washington concluront un accord commercial », explique M. Coulon.
Chine
Dans l’ombre d’un géant en colère
L’arrivée de Justin Trudeau au pouvoir avait été vue d’un très bon œil en Chine. Mais la mission économique du chef libéral, en 2017, considérée comme « une véritable catastrophe », a signé la fin de la lune de miel. Peu de temps après, le sommet de Vancouver sur la Corée du Nord, auquel n’ont pas participé les Chinois, a attisé les tensions entre les deux pays. L’affaire Huawei, qui a éclaté début décembre après l’arrestation en Colombie-Britannique de sa dirigeante, Meng Wanzhou, à la demande des États-Unis, a provoqué la colère de la Chine. En représailles, la Chine a emprisonné des Canadiens se trouvant sur son territoire. Dans la foulée de la crise, l’ambassadeur canadien a été limogé. « Quatre faux pas en un an et demi avec la Chine, c’est énorme ! » résume un expert de l’UQAM, Éric Mottet.
Russie
Comme durant la guerre froide
Les relations sont glaciales entre les deux pays depuis la crise de la Crimée, en 2014. « Ça ressemble drôlement à la Guerre froide, se désole l’ex-ambassadrice Marie Bernard-Meunier. C’est un recul que personne n’avait prévu. C’est absolument sidérant. » L’ex-ministre des Affaires étrangères Stéphane Dion avait tenté un rapprochement avec Moscou. Une démarche abandonnée par sa successeure Chrystia Freeland. D’origine ukrainienne, Mme Freeland est d’ailleurs interdite de séjour en Russie. Les relations russo-canadiennes pourraient se détériorer davantage alors qu’Ottawa craint de l’ingérence étrangère — possiblement russe — dans ses élections d’octobre prochain.
Inde
Un voyage tourné en ridicule
Avec plus de 1,3 milliard d’habitants, l’Inde représente un énorme client pour le Canada. Justin Trudeau a souhaité jeter les bases d’une meilleure relation économique avec ce pays l’an dernier. Mais sa mission commerciale a attiré l’attention pour les mauvaises raisons. Justin Trudeau a été attaqué pour ses tenues colorées jugées « exagérées » et « dignes de Bollywood » par les médias indiens. « En diplomatie, il ne faut jamais vexer son interlocuteur. Et en Inde, les Indiens ont été assez vexés », résume Éric Mottet.
Arabie saoudite
Un pays à l’épiderme sensible
Déjà en froid avec l’Arabie saoudite, le gouvernement Trudeau a récemment attisé inutilement la colère de ce régime, selon Jocelyn Coulon. Le Canada ne s’est pas contenté d’offrir l’asile à une jeune saoudienne qui craignait pour sa vie. La ministre Chrystia Freeland s’est elle-même déplacée à l’aéroport pour l’accueillir. « Des centaines de réfugiés entrent au pays sans recevoir un tel traitement », fait remarquer M. Coulon, qui critique le geste qui a été perçu comme de la provocation par Riyad. La querelle diplomatique entre les deux pays persiste depuis que Mme Freeland a exigé, sur Twitter, la « libération immédiate » d’activistes pour les droits de la personne.