Le 17 avril 2002, Mario Dumont n'avait pas jugé utile d'être présent à l'Assemblée nationale quand celle-ci avait réitéré son opposition au rapatriement unilatéral de la Constitution, survenu 20 ans plus tôt.
Comme il allait lui-même l'expliquer quelques mois plus tard dans son malheureux discours devant le Canadian Club de Toronto, la question nationale avait alors disparu de son écran radar. Plutôt que de dénoncer le coup de force de Pierre Elliott Trudeau, le chef de l'ADQ avait donc préféré s'adresser aux membres de la Chambre de commerce de Blainville.
Le mois prochain, M. Dumont se fera certainement un devoir d'être à Québec quand l'Assemblée nationale soulignera, avec un peu de retard, le 25e anniversaire du rapatriement. Il ne laissera plus la question nationale disparaître de son écran radar.
Le contexte est très différent d'il y a cinq ans. À l'époque, Bernard Landry, désireux d'obtenir l'unanimité de l'Assemblée, avait présenté une motion au ton remarquablement modéré, qui ne risquait pas d'effaroucher les libéraux. Elle réitérait simplement que le rapatriement de 1982, qui avait diminué les pouvoirs du Québec sans son consentement, demeurait inacceptable.
En sa qualité de chef de l'opposition officielle, Jean Charest avait appuyé cette motion, mais il avait dit le faire simplement par principe. De son propre aveu, il n'avait pas le sentiment d'une bien grande injustice. «Ce que ce rapatriement-là contenait, incluant la Charte des droits et libertés, est largement appuyé par la population aujourd'hui», avait-il expliqué.
Cette fois-ci, le libellé pourrait être nettement plus musclé. Ni l'ADQ ni le PQ, qui ont les moyens d'imposer leur volonté, n'ont avantage à se montrer conciliant envers les libéraux, dont ils n'ont pas cessé de dénoncer la mollesse devant Ottawa au cours de la dernière campagne électorale.
Au contraire, le 25e anniversaire du rapatriement pourrait offrir une belle occasion de vérifier jusqu'où le gouvernement Charest est disposé à aller dans la défense des intérêts fondamentaux du Québec au sein de la fédération canadienne.
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En décembre 1981, Claude Ryan, alors chef du PLQ, avait appuyé la motion présentée par le gouvernement Lévesque en réaction à la «nuit des longs couteaux».
Le Québec n'accepterait la nouvelle Constitution qu'à la condition où celle-ci lui reconnaîtrait «tous les attributs d'une communauté nationale distincte». Il faudrait soit lui restituer son droit de veto sur toute modification constitutionnelle qui diminuerait ses pouvoirs, soit encore lui accorder un droit de retrait assorti d'une juste compensation financière.
Plus encore, étant donné l'existence d'une charte québécoise des droits et libertés de la personne, la portée de la nouvelle charte inscrite dans la Constitution canadienne devrait être sérieusement limitée.
Malgré les droits fondamentaux garantis par la charte canadienne, l'Assemblée nationale conserverait le pouvoir de faire prévaloir ses lois dans les domaines de sa compétence. Le Québec demeurerait également libre d'adhérer ou non aux dispositions relatives à l'enseignement dans la langue des minorités française et anglaise.
L'acceptation de la primauté de la Charte québécoise des droits et libertés faisait partie du «projet d'accord constitutionnel» que le gouvernement Lévesque avait proposé en juin 1985. Ni dans l'accord du Lac-Meech ni dans l'entente de Charlottetown le gouvernement Bourassa n'avait toutefois osé reprendre cette idée, à laquelle M. Ryan avait pourtant souscrit.
La Charte de 1982 est devenue un tel symbole d'unité dans le reste du Canada que la perspective de voir le Québec s'y soustraire soulèverait immanquablement un tollé. Pourtant, celle que le Québec s'est donnée en 1975 est beaucoup plus complète. Elle prévoit non seulement des droits civils et politiques mais aussi des droits économiques et sociaux. Elle s'applique non seulement aux relations entre l'État et le citoyen mais aussi aux relations entre personnes privées.
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En ce 25e anniversaire du rapatriement, le PQ pourrait reprendre la motion de 1981 et demander à l'Assemblée nationale de réitérer que la primauté de sa charte fait partie des conditions non négociables auxquelles le Québec pourrait éventuellement signer la Constitution de 1982.
Mario Dumont ne s'est jamais commis sur cette question, mais la Charte des droits et libertés de la personne serait un des principaux éléments de la constitution que l'ADQ a promis de donner à «l'État autonome du Québec». On voit mal comment l'autonomie québécoise pourrait trouver son compte dans une charte subordonnée à celle d'Ottawa.
Tant qu'il était à la tête d'un parti qui comptait cinq députés, M. Dumont n'avait pas trop de mal à se cantonner dans le flou constitutionnel. En sa qualité de chef de l'opposition officielle, il lui faudra se compromettre davantage, et le PQ a tout avantage à le défier sur son propre terrain.
Le rapport Pelletier, qui tient toujours lieu de politique constitutionnelle au PLQ, soulignait que l'adoption de la charte de 1975 est le fait d'un gouvernement libéral et qu'elle «constitue une pierre d'assise dans l'ordre juridique québécois».
Pourtant, dans la longue liste des modifications que le PLQ voudrait voir apporter à la Constitution canadienne dans un avenir indéfini, il n'est aucunement question de sa primauté sur la charte canadienne.
Les élections du 26 mars dernier ont révélé à quel point les libéraux sont coupés de la majorité francophone. Même si le rapatriement de 1982 ne semble pas choquer outre mesure le premier ministre Charest, il serait un peu délicat d'entreprendre son deuxième mandat par un acte de soumission.
mdavid@ledevoir.com
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