Réplique à Bernard Descôteaux

Le Québec doit apprendre à s'ouvrir sur le monde

Qu'on le veuille ou non, le Québec ne peut plus, d'une part, se réfugier derrière la vertu des droits collectifs qu'il chérit et prétendre, d'autre part, s'ouvrir sur le monde.

17 avril 1982 - la Loi sur le Canada (rapatriement)

Votre éditorial intitulé [«Il y a 25 années»->5996] soulignait l'anniversaire des 25 ans de la Loi de 1982 sur le Canada qui, disiez-vous, a mis le Canada et le Québec sur des voies opposées, creusant ainsi une incompréhension fondamentale entre les Québécois et les autres Canadiens. Voilà une affirmation que je ne conteste pas. Je conteste toutefois les conclusions que vous en tirez en ce qui a trait au débat qui a cours au Québec à propos des accommodements raisonnables. Selon vous, c'est la consécration des droits individuels dans la Charte canadienne qui contribue au sentiment d'appartenance des membres d'une communauté à une minorité, mettant ainsi à mal les valeurs communes de la société québécoise.

Je souhaite vous rappeler que l'accommodement raisonnable est une technique mise au point par les tribunaux afin de corriger les conséquences fâcheuses de la discrimination indirecte subie par les membres d'un groupe vulnérable au sein des sociétés canadienne et québécoise. Qui dit discrimination dit atteinte au droit à l'égalité. Hors de ce paradigme, point d'accommodements raisonnables. La Charte des droits et libertés de la personne du Québec tout autant que la Charte canadienne érigent au statut de droit fondamental le droit de chaque personne à l'égalité.
Certes, la question des accommodements raisonnables est devenue un enjeu de société au Québec, mais de là à dire que cela découle de l'imposition qui nous fut faite en 1982 de la Loi constitutionnelle du Canada, ça ne va plus.
Tôt ou tard -- mais il vaudrait mieux plus tôt que tard --, la société québécoise devra reconnaître que les membres des communautés culturelles ont des droits culturels et que ces droits culturels déterminent l'identité de chaque individu, laquelle ne saurait se limiter à la liberté de religion non plus que restreindre sa sphère d'influence au domaine privé.
La rencontre entre le droit à l'égalité et l'identité mouvante de chacun est un phénomène délicat. La cohésion sociale en dépend toutefois.
Brandir le spectre des valeurs communes et de l'imposition unilatérale de la Loi constitutionnelle de 1982 comme une armure serait plutôt un facteur de fracture sociale.
Qu'on le veuille ou non, le Québec ne peut plus, d'une part, se réfugier derrière la vertu des droits collectifs qu'il chérit et prétendre, d'autre part, s'ouvrir sur le monde. Il doit apprendre à s'ouvrir sur le monde.
Et, oui, à l'heure des migrations massives (et de l'immigration souhaitée par le Québec), il faut envisager le partage de la richesse institutionnelle en fonction des exigences du vivre ensemble. Peut-on imaginer plus noble enjeu collectif?
Certes, ce partage doit être soumis à des règles et être balisé. Mais la détermination de ces balises ne saurait faire l'économie du respect du droit de chacun (qu'on le veuille ou non) à l'égalité. Or cette égalité ne signifie pas la même règle pour tous. Ce n'est tout de même pas la Loi constitutionnelle de 1982 qui a inventé cela mais bien plutôt nos luttes collectives qui ont mené à l'affirmation de ce principe dont il semble que nous découvrons enfin la portée complexe.
Lucie Lamarche, Professeure titulaire à la chaire Gordon F. Henderson en droits de la personne à l'Université d'Ottawa


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