Les anglophones sont-ils Québécois?

Ceux qui habitent ici mais refusent d’apprendre notre langue sont peut-être Québécois au niveau de la loi, mais ils ne font certainement pas partie du peuple québécois.

Le français — la dynamique du déclin

Plusieurs personnes m’ont récemment accusé d’utiliser interchangeablement les mots « Québécois » et « francophones » pour parler du problème linguistique montréalais. Les anglophones aussi sont Québécois, m’affirme-t-on. Les immigrants sont tout autant Québécois que moi le jour où ils mettent les pieds ici, ajoute-t-on. Quiconque vit sur le territoire du Québec est Québécois, m’assène-t-on dans une ultime rebuffade dont on espère qu’elle me gardera définitivement coi.


Pourtant, je maintiens mon désaccord: le fait d’être Québécois – c’est-à-dire d’appartenir au peuple du Québec – dépasse largement le fait d’habiter sur le territoire du Québec. Appartenir à un peuple, c’est aussi partager ses valeurs, ses convictions, sa langue. Contrairement à ce qu’en pensent certains, il n’y a pas davantage de « franco-Québécois » dans l’identité québécoise que de « franco-Français » dans la française ou « d’anglo-anglaise » dans la britannique: l’identité d’un peuple forme un tout dont la langue en est le ciment. Jacques Attali en parlait, mardi, d’une manière très doctorale sur son blogue:
Six éléments caractérisent l’identité d’un peuple, quel qu’il soit : un territoire, une langue, une culture, des valeurs, une histoire, un destin commun. Aucun de ces éléments n’est stable. Tous évoluent avec le temps. La France fut chrétienne ; elle est laïque. La France fut monarchiste ; elle est républicaine. Et aujourd’hui, toutes ces dimensions sont remises en cause par le mouvement du monde : l’effacement des frontières, en particulier en Europe, remettant en cause l’idée même d’un territoire identitaire ; le nomadisme croissant des Français comme des étrangers ; la présence croissante, sur le territoire national, d’autres langues, d’autres cultures, d’autres façons de vivre ; l’universalisation des valeurs, autour des droits de l’homme et de liberté individuelle, qui en fait disparaitre le caractère national; et, enfin, dans l’individualisme ambiant, l’incertitude quant à l’existence d’un destin commun.
De tout cela il résulte que, à terme, la seule chose qui définira durablement l’identité d’une nation, c’est sa langue, et la culture, la façon de penser le monde, qu’elle implique. La langue française conduit à penser, à écrire, à vivre, de façon claire, simple, directe, précise, logique, binaire. Elle trouve sa source dans l’harmonie des paysages et conduit à une symétrie des mots, à un équilibre des concepts, qu’on trouve déjà dans les textes des inventeurs de cette langue, de Rachi de Troyes à Blaise Pascal, de Chrétien de Troyes à Montaigne, de Marcel Proust à Léopold Senghor.

Évidemment, M. Attali parle pour la France, mais son discours s’applique à merveille au Québec.
En somme, la territorialité ne constitue qu’un aspect parmi d’autres de l’appartenance identitaire. Et avec la mondialisation actuelle, cet aspect devient de moins en moins important. Il suffit pour s’en convaincre d’interroger de nombreux immigrants qui, même plusieurs années après être arrivés ici, continuent de se réclamer de leur patrie d’origine. Et cela se comprend: ils n’ont jamais eu à apprendre notre langue et ils ont accès, grâce à Internet et à la télévision satellitaire, à tous les médias de leur pays natal. Sont-ils Québécois ces personnes qui ne parlent pas notre langue et s’identifient principalement à un pays de l’autre bout du monde?
En fait, toute la conception actuelle de ce qu’est un Québécois est dépassée. S’acharner à présenter le Québécois comme un « habitant du territoire du Québec » constitue une vision vieillotte et désuète de la réalité. Aujourd’hui, en 2009, la nationalité et l’identité dépassent largement le cadre territorial. Les identités sont devenues multiples, interchangeantes; le territoire physique, qui forçait autrefois l’intégration d’immigrants coupés de leurs racines, ne suffit plus à intégrer adéquatement les nouveaux arrivants et à leur permettre de réellement faire partie de notre communauté.
Voilà pourquoi la proposition de Jacques Attali est intéressante: la langue doit devenir le principal ciment de l’identité nationale. Car une langue, comme il le dit lui-même, permet de concevoir le monde. C’est bien autre chose qu’un outil de communication interchangeable; parler français, c’est avoir une certaine conception de la vie et des choses que ne permet pas n’importe quelle langue étrangère. Il s’agit d’une spécificité unificatrice permettant d’intégrer puis de donner une vision commune de notre futur à quiconque a la volonté de se joindre à nous. Imposer le français aux immigrants, c’est leur donner le goût de se joindre au « nous », c’est les inclure à ce « nous » qui, bien avant son temps, a compris que la véritable indépendance ne passe pas nécessairement par des frontières physiques, mais par la capacité à maintenir une culture et une langue vivantes.
Alors non, je ne crois pas que l’identité nationale doit être déterminée par le lieu de résidence géographique. Tu vis à l’est de la rivière des Outaouais et tu te réclames du peuple québécois, et 500 mètres à l’ouest, du peuple canadien? Non. Être Québécois, dans un contexte de mondialisation, c’est autre chose. C’est d’abord se concevoir comme tel, parler français, partager des valeurs québécoises et avoir une vision d’un futur pour sa collectivité en tant que Québécois.
Qu’on cesse donc un peu de me rabâcher les oreilles avec le fait qu’une personne refusant notre langue, notre culture, nos valeurs et notre histoire serait tout aussi québécoise que moi parce qu’elle vit sur le même territoire que moi. Nous avons le devoir d’accueillir les autres et de les inclure dans notre destin commun, mais ceux-ci ont aussi le droit d’accepter ou de refuser, chose qui était moins évidente autrefois. Et s’ils refusent, s’ils décident de rejeter notre langue, notre culture, nos valeurs et notre histoire, pourquoi les considérerait-on comme faisant partie de notre propre identité?
De la même manière: si j’invite quelqu’un dans ma maison et qu’il décline de respecter mes plus simples demandes, qu’il cochonne mon tapis avec ses bottes pleines de boue, qu’il insulte ma femme, qu’il lance sa nourriture sur les murs, devrais-je accepter pour autant sa présence? Cette maison, c’est notre conception identitaire du Québec, une vision non-géographique de celui-ci. Et si quelqu’un ne peut respecter nos plus simples valeurs, nos désirs les plus primaires de survie identitaire, nos demandes les plus fondamentales de respect de ce que nous sommes, pourquoi devrait-on le considérer comme un des nôtres?
Être ouvert sur la diversité, la réelle pluralité du monde, c’est aussi se donner les moyens de protéger ses peuples et leurs spécificités. À chaque fois où nous nous donnons des outils assurant la survie des valeurs qui nous sont chères, à chaque fois où nous défendons le français comme principal vecteur de notre identité, à chaque fois où nous nous battons contre l’anglicisation de notre métropole, nous contribuons à enrichir l’humanité de notre présence et à construire un monde multiple où coexistent une ribambelle de cultures différentes.
Le jour où le Québec sera devenu bilingue d’abord, puis anglophone ensuite, sous le poids d’une soi-disant ouverture où nous accueillons dans notre identité des gens qui méprisent les valeurs qui nous définissent, sera le jour où un pan entier de la multiplicité humaine aura disparu. Ceux qui habitent ici mais refusent d’apprendre notre langue sont peut-être Québécois au niveau de la loi, mais ils ne font certainement pas partie du peuple québécois.
« Quand nous défendons le français chez nous, ce sont toutes les langues du monde que nous défendons contre l’hégémonie d’une seule. » – Pierre Bourgault


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