Le tripoteur

Ottawa — tendance fascisante


En 1811, le gouverneur du Massachusetts, Elbridge Gerry, avait été accusé d'avoir découpé une circonscription électorale en forme de salamandre pour favoriser son parti. Depuis ce temps, nos voisins américains utilisent l'expression gerrymandering — une contraction de Gerry et de salamander — pour désigner le tripotage de la carte électorale à des fins partisanes.
Le gerrymandering a longtemps fait partie des moeurs politiques québécoises. Le gouvernement Duplessis avait le don de faire en sorte que les circonscriptions «rouges» soient surpeuplées par rapport aux «bleues».
Dans les années 1960, le gouvernement Lesage avait entrepris de dépolitiser la révision de la carte électorale. Robert Bourassa avait ajouté une pierre à l'édifice en 1971 avec la création d'un organisme permanent et autonome chargé de la révision des districts électoraux.
En 1979, le gouvernement Lévesque confiait formellement le pouvoir décisionnel sur la confection de la carte à l'actuelle Commission de la représentation électorale, qui est présidée par le Directeur général des élections.
Cette semaine, le ministre responsable de la Réforme des institutions démocratiques, Claude Béchard, est revenu trente ans en arrière en court-circuitant brutalement le DGE, qui s'apprêtait à faire ses propositions.
En 2001, le gouvernement péquiste avait déjà interrompu les consultations menées par le DGE, mais M. Béchard est allé beaucoup plus loin en présentant un projet de loi qui impose de nouvelles règles.
Dans son rapport de 2008-2009, la Commission de la représentation électorale avait déjà évoqué le scénario basé sur les régions administratives, qui est celui privilégié par le gouvernement. Sur la base des données de 2009, elle avait calculé qu'il ferait passer le nombre de circonscriptions de 125 à 132. Puisque ce scénario prévoit le maintien du nombre de circonscriptions dans les régions en décroissance et une augmentation de celles-ci dans les régions en croissance, cela implique que le nombre total augmenterait à chaque révision de la carte. Il reste à savoir quel parti serait avantagé.
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M. Béchard a choisi une expression malheureuse en parlant de «circonscriptions protégées». Cela rappelle les 12 circonscriptions garanties aux anglophones dans la Constitution de 1867, qui n'ont été abolies qu'en 1970.
En garantissant dans une loi un nombre minimal de circonscriptions aux régions, peu importe le nombre d'électeurs, le gouvernement n'enchâsserait pas moins une entorse au principe de la représentation selon la population. Jusqu'à présent, l'objectif avait toujours été de s'assurer dans la mesure du possible que chaque vote ait le même poids.
Remarquez, même si M. Béchard se retrouve en position de conflit d'intérêts, dans la mesure où son propre comté de Kamouraska-Témiscouata serait «protégé», on peut très bien défendre l'idée d'accorder un statut privilégié aux régions.
Il faut être conséquent: au nom de sa spécificité, l'Assemblée nationale a été unanime à demander au gouvernement Harper de maintenir le poids relatif du Québec à la Chambre des communes, même si sa population augmente moins rapidement que dans d'autres régions du pays. L'accord de Charlottetown prévoyait que, peu importe la démographie, le Québec aurait toujours droit à au moins 25 % des sièges.
Dans les grands centres urbains, on se soucie souvent assez peu du comté où on réside ou encore de l'identité de son député. Le sentiment d'appartenance est nettement plus développé en région.
Plus de la moitié des membres du gouvernement Charest résident dans la région immédiate de Montréal, ce qui lui assure une voix forte, tandis que les régions ont déjà du mal à se faire entendre. Faut-il les affaiblir davantage?
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Légalement, le gouvernement a tout le loisir d'utiliser sa majorité parlementaire pour imposer sa volonté, mais il serait nettement préférable de s'appuyer sur un solide consensus pour consacrer dans une loi une telle inégalité entre les citoyens, selon l'endroit où ils résident.
En procédant unilatéralement, au mépris de l'indépendance reconnue à la Commission de la représentation électorale, le gouvernement donne plutôt l'impression de chercher à provoquer l'opposition. Cette façon d'inclure dans un même projet de loi deux dossiers aussi différents que la carte électorale et le financement des partis politiques ne peut que renforcer la suspicion.
Même si l'initiative de M. Béchard s'inscrit manifestement dans la fuite en avant législative dans laquelle s'est lancé le gouvernement pour tenter d'éviter la tenue d'une enquête publique sur la corruption dans l'industrie de la construction, les modifications proposées à la Loi sur le financement des partis politiques sont les bienvenues.
Certes, elles laissent entier le problème des prête-noms utilisés par les entreprises pour faire indirectement ce que leur interdit la loi, mais la hausse du financement public, l'interdiction des dons anonymes et l'extension des dispositions de la loi aux campagnes à la direction des partis politiques sont autant de pas dans la bonne direction.
Le gouvernement cherche-t-il à faire diversion en lançant un débat parallèle? Veut-il continuer à profiter des lacunes de la Loi sur le financement des partis politiques tout en accusant l'opposition de faire obstacle à une correction? La seule façon de démontrer sa bonne foi est de scinder son projet de loi.


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