Le premier tour de l'élection présidentielle française, malgré un taux de participation relativement élevé, se termine dans une certaine indifférence et c'est sans grand enthousiasme que les Français ont accompli leur devoir. Pourtant, l'élection présidentielle est sans conteste le moment fort de la vie politique française où les citoyens s'expriment à travers une grande élection nationale et choisissent le candidat qui, grâce à un parti et à un programme politiques, influencera les orientations gouvernementales pour les cinq prochaines années.
Dans ce contexte, le premier tour aurait dû être l'occasion pour les Français d'investir la vie politique et de provoquer des débats de société susceptibles d'influencer les principaux aspirants à la présidence. En ce sens, la victoire de François Hollande au premier tour n'a certainement pas la résonance que le PS aurait espérée. En réalité, on sent les Français résignés à choisir le candidat socialiste à défaut d'en trouver un meilleur. L'appui record à Marine Le Pen, largement sous-estimé depuis le début de la campagne, confirme d'ailleurs l'hypothèse d'une forte contestation à l'endroit des partis traditionnels.
Comment expliquer cette indifférence des citoyens français et cette montée du vote contestataire ? Certes, le président Sarkozy, avec son style clinquant et sa grande impopularité, n'est pas étranger au phénomène. D'une manière plus profonde, cependant, cette réalité s'explique sans doute davantage par le climat de morosité économique qui frappe l'ensemble de l'Europe ainsi que par l'impuissance des principales forces politiques à proposer un changement réel et significatif.
L'ombre de la crise
L'indifférence des Français à ce premier tour est d'abord et avant tout le résultat de la grave crise financière et immobilière de 2008 aux États-Unis. On le sait, cet événement a créé un effet domino sur l'ensemble du monde et pour relancer l'économie mondiale, les pays occidentaux ont appliqué les politiques keynésiennes en soutenant de vastes programmes de relance économique.
Malheureusement, les pays européens, qui étaient déjà lourdement endettés avant la crise de 2008, sont aujourd'hui au bord de la faillite de sorte qu'on assiste à un déclin de la croissance économique et à une augmentation importante du chômage et des tensions sociales. En outre, pour tenter de résoudre cette crise financière devenue, par la force des choses, une crise de la dette, plusieurs pays ont dû adopter des programmes draconiens d'austérité budgétaire.
Angle macroéconomique
La France n'a pas échappé au phénomène : le chômage frôle les 10 %, l'endettement atteint plus de 90 % du PIB, la croissance est anémique et les deux principaux candidats à l'élection présidentielle proposent un programme de « responsabilité » économique qui offre peu d'espoir à la population. Au-delà des candidatures et des partis, c'est donc sous l'angle « macroéconomique » qu'il faut analyser le premier tour de dimanche. En effet, sans la crise financière, nul doute que les candidats auraient eu une plus grande marge de manoeuvre pour proposer des changements et ainsi susciter un certain engouement électoral.
Désillusion et déception
S'il est vrai que la campagne présidentielle est le reflet des difficultés économiques de la France et de l'Europe, il ne faut pas non plus négliger la responsabilité personnelle du président Sarkozy pour expliquer la morosité de cette campagne. En 2007, le candidat Sarkozy s'était présenté comme celui qui incarnait le changement et qui pouvait réformer la France.
Après cinq ans au pouvoir, le bilan du président est désastreux et on peut voir là une des explications du désenchantement des citoyens envers la classe politique. Rappelons qu'encore récemment, une majorité de Français jugeait que Nicolas Sarkozy avait, tout au long de son mandat, déshonoré la fonction présidentielle. L'échec du président à réformer une France qu'il prétendait sclérosée rejaillit donc aujourd'hui sur les deux principaux candidats, offrant au Front national une vitrine inespérée.
François Hollande de son côté a surfé sur la vague anti-Sarkozy tout au long du premier tour, évitant au passage de commettre des erreurs stratégiques sans toutefois parvenir à fédérer les Français autour de sa candidature. Dans cette perspective, le premier tour de l'élection présidentielle aura été davantage celui des candidats contestataires, comme Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, que celui de François Hollande et de Nicolas Sarkozy.
Référendum anti-Sarkozy
Comme le veut l'expression consacrée, « au premier tour on choisit, au deuxième on élimine ». Ainsi donc, les résultats du premier tour ne laissent guère d'espoir au président sortant. Certes, on pourrait penser que l'appui record au FN favorise l'UMP et Nicolas Sarkozy, mais c'est oublier les critiques sévères de Marine Le Pen à l'endroit du bilan de l'UMP. Il serait donc surprenant de voir le Front national se rallier facilement à une droite qui commence déjà à lui faire du charme, mais qu'elle considère de toute manière trop européenne. « Pas question de négocier avec Sarkozy », ont déclaré les proches de Marine Le Pen peu après les résultats du premier tour.
Le deuxième tour de la présidentielle ressemblera donc à un véritable référendum anti-Sarkozy, référendum où, bien sûr, le candidat socialiste devrait sortir largement gagnant. D'ailleurs, les résultats décevants de Jean-Luc Mélenchon donnent une plus grande liberté au PS en vue des législatives...
À défaut de susciter l'enthousiasme, François Hollande pourra au moins avoir les coudées franches pour diriger les destinées de la France.
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Antonin-Xavier Fournier - Professeur de sciences politiques au cégep de Sherbrooke
Présidentielle 2012
Le tour de la contestation et de l'indifférence
À défaut de susciter l’enthousiasme, François Hollande pourra au moins avoir les coudées franches pour diriger les destinées de la France.
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