La défaite historique du Parti libéral du Québec (PLQ) et la démission de Philippe Couillard obligeront le grand parti de la « gouvernance naturelle » à procéder à un profond examen de conscience s’il espère retrouver la faveur populaire. Avec moins de 25 % du vote populaire, le PLQ est aujourd’hui un parti en lambeaux, confiné à l’île de Montréal et essentiellement appuyé par les communautés allophone et anglophone. Même des régions historiquement libérales, comme l’Outaouais et les Cantons-de-l’Est, ont franchi le Rubicon, ce qui donne la mesure et l’ampleur de la défaite. Délaissé par le vote francophone et miné par un trop long règne, c’est de sa survie qu’il sera question au cours des prochains mois. Comment entrevoir cette réflexion avec sérénité et surtout quel chemin devront emprunter les militants libéraux s’ils veulent revigorer leur parti ? Voici quelques pistes de réflexion.
Revenir aux origines
Le PLQ a longtemps été un véritable parti « social-démocrate » qui a mis fin à la Grande Noirceur et délogé Maurice Duplessis. Sous la direction du premier ministre Adélard Godbout dans les années 1940 et avec un chef comme Georges-Émile Lapalme dans les années 1950, c’est bien le PLQ qui jettera les bases de la social-démocratie québécoise avec des projets comme la nationalisation de l’électricité et la création du ministère de l’Éducation. C’est aussi avec Jean Lesage que l’État providence verra le jour. Même Robert Bourassa dans les années 1970 contribuera à la poursuite de cet idéal, notamment avec l’universalisation des soins de santé et le développement des grands projets hydro-électriques.
Une première rupture avec « l’héritage libéral » est apparue dans les années 1980, sous l’impulsion du courant néo-libéral de Thatcher et Reagan. Plus à droite et aussi plus nationaliste, le deuxième gouvernement Bourassa (1985-1994) entreprendra un virage idéologique basé sur une place particulière pour le Québec dans le Canada et aussi sur une réduction de la taille de l’État. Ce créneau sera ensuite repris avec encore plus d’énergie par un ancien chef conservateur fédéral, Jean Charest, devenu chef libéral provincial et ensuite premier ministre de 2003 à 2012. C’est là que se trouve la source de la défaite actuelle. C’est là aussi qu’apparaîtra le nouveau discours libéral, auparavant minoritaire au sein de la base militante : partenariat public-privé, réduction des services publics, obsession du fardeau fiscal. Étrangement, ce discours plus conservateur de l’ère Charest sera ensuite repris par Philippe Couillard qui fera du retour à l’équilibre budgétaire et de la rigueur (ou l’austérité) la pièce maîtresse de son bilan. Ce virage néo-libéral est un échec et a eu pour principale conséquence d’éloigner peu à peu le parti de ses origines. N’oublions pas que, fondamentalement, les Québécois sont plutôt centristes et qu’ils croient au rôle de l’État comme moteur du progrès économique et social.
S’il espère reconquérir le pouvoir et redevenir le grand parti qu’il a déjà été, le PLQ aurait avantage à amorcer un virage vers la gauche et à renouer avec ses origines sociales-démocrates. C’est exactement le chemin qu’a emprunté le Parti libéral du Canada (PLC) sous l’impulsion de Justin Trudeau avec, il faut l’avouer, un certain succès. Ce parti, associé au discours de droite dans les années 1990 et 2000 sous le règne du tandem Chrétien-Martin, a progressivement régressé entre 2004 et 2015 au point de devenir un tiers parti. C’est en revenant à son idéal social-démocrate qu’il a réussi à reconquérir le pouvoir et à se sortir des bas-fonds dans lesquels il s’était embourbé. La victoire électorale de Justin Trudeau prouve que tant le PLC que le PLQ peuvent occuper un spectre très large au niveau idéologique. En ce sens, il est probablement temps pour le PLQ de réfléchir à un nouvel équilibre et de revoir la place qu’il désire occuper sur le plan des valeurs et des idées. La course à la direction qui s’amorce est une bonne occasion de procéder à ce débat important.
La rupture libérale avec ses origines sociales-démocrates n’est cependant pas l’unique raison de la défaite. Pour espérer rebâtir les liens avec l’électorat francophone et se désenclaver de l’île de Montréal, il devra surtout proposer un véritable projet de société aux Québécois. Trop longtemps habitué au pouvoir, le PLQ a cru, comme d’autres partis, qu’il lui appartenait de droit. Il s’est donc peu à peu concentré sur la gestion micropolitique et sur les affaires courantes, laissant de côté l’espoir et le rêve qui ont pourtant animé le parti dans les années 1960 avec la Révolution tranquille et dans les années 90 avec les grandes revendications constitutionnelles (Meech).