En 1989, Rock et Belles Oreilles, le groupe humoristique phare de sa génération, lançait une chanson qui allait devenir un classique instantané de la culture populaire québécoise: I want to pogne.
Guy A. Lepage et sa bande s’y moquaient de ces Québécois qui se mettent à chanter maladroitement en anglais dans l’espoir de percer aux États-Unis et de conquérir le marché international.
Près de 30 ans plus tard, cette chanson demeure d’une brûlante actualité. Guy A. Lepage en est certainement lui-même conscient.
Anglicisation
Jeudi dernier, le 1er juin, il publiait un tweet qui mérite d’être rappelé: «Sur Instagram, pourquoi des francophones, avec des abonnés francophones, écrivent leur état d'âme en anglais? Manque de vocabulaire?»
Cette excellente question aurait pu s’adresser aux utilisateurs de tous les réseaux sociaux, qu’il s’agisse de Facebook ou de Twitter.
Portrait: ils sont Québécois francophones. 95 % de leurs abonnés le sont aussi. Et pourtant, ils écrivent en anglais et s’écrivent en anglais.
On peut croire aussi qu’ils sont atteints de la version 2017 du syndrome I want to pogne.
En s’anglicisant, ils ont l’impression de se grandir, de devenir des humains plus évolués.
On avait un mot pour parler de ces gens autrefois: on les traitait de colonisés. On présentait ainsi ceux qui méprisent leur propre identité et qui croient nécessaire d’adopter celle du dominant pour se hisser socialement.
Le mot est passé de mode et on préfère croire qu’il appartient à une lointaine histoire, vieille de quelques générations. Erreur. La réalité est toujours là. Elle est partout visible, mais on ne la voit plus. Toutefois, le colonisé n’est plus moqué. Il est valorisé.
Combien sont-ils, sur Facebook, à décrire leur vie en anglais? Amazing! Enjoy! Nice! Good night! Love it! Y a-t-il une sensualité supérieure de la langue anglaise?
Combien sont-ils à Montréal à frangliser de manière décomplexée, comme s’ils se hissaient ainsi à un stade supérieur d’humanité?
C’est une chose d’être bilingue. C’en est une autre d’être bilingue dans la même phrase.
Quand un Touchette parle anglais à un Tremblay, il n’a pas l’air supérieurement intelligent, il a l’air ti-coune.
Il y avait autrefois une fierté québécoise. C’était celle d’un peuple qui avait résisté à l’assimilation et qui voulait désormais vivre dans sa langue et se projeter dans le monde sans renier son identité.
Il y a désormais, chez les plus jeunes, une fierté à ne plus avoir l’air québécois, comme s’il s’agissait d’une identité diminuée dont on devrait s’arracher pour devenir citoyen du monde.
Derrière cette anglomanie débilitante, il y a deux échecs référendaires. L’échec de l’indépendance a blessé intimement notre psychologie collective. Il a marqué d’un signe négatif notre identité.
Les plus jeunes sont nés dans un monde où le Québec était une référence perdante et où l’on confondait l’ouverture à l’autre avec le reniement de soi.
Alors ils se renient joyeusement. Parce que they want to pogne.
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