Le scrutin proportionnel est-il un scrutin progressiste?

Vigile


La question suivante peut sembler curieuse. Mais, en fait, toutes les
questions de nature structurelle sont aussi des questions d’idéologie
structurelle. L’idéologie structurelle de la proportionnelle est-elle donc
une idéologie structurelle progressiste?
Il y a, je crois, deux constats qui poussent à soulever cette question :
tout d’abord, un constat empirique, celui de la présence, dans les pays au
scrutin uninominal à un tour, de forces politiques comparativement
droitistes. À l’inverse, si la gauche n’a pas la vie facile en régime
proportionnel, elle y est du moins représentée et peut former le
gouvernement.
L’autre constat, qui vise à être plus explicatif, est celui du
fractionnement de la gauche. Si l’on regarde en France, par exemple, il y a
de multiples candidats à gauche. Au Québec, il y a des progressistes en
matière d’écologie et en matière sociale, et, dans les deux cas, ils sont
exclus, évincés du pouvoir par le mode de scrutin en vigueur. La France et
le Québec ont, tous deux, un scrutin uninominal.
Doit-on en conclure que le scrutin proportionnel avantage la gauche?
Peut-être pas, mais on peut dire qu’elle permet à la gauche d’exister et
d’investir les lieux de pouvoirs politiques. Il serait possible d’affirmer,
justement je crois, que le scrutin proportionnel est un scrutin qui rend
justice à ce que les courants progressistes dans une société représentent,
des courants souvent minoritaires, à un moment donné, émergents, mais qui
présentent des alternatives aux autres courants politiques qui, le plus
souvent, sont les partisans du statu quo.
Ce n’est pas dire que le conservatisme n’a pas sa place en société, on
peut être de gauche et reconnaître que ce n’est pas une religion, mais une
conception des choses et du monde qui pense autrement, et qui vise à
promouvoir une autre pensée que celles qui sont généralement dominantes,
calquées, le plus souvent, sur les réalités et les inégalités économiques.
Parce qu’il s’agit d’alternatives, il est clair que ce ne seront pas des
mouvements de masse, mais des mouvements « d’avant-garde », progressistes,
autant de lieux d’exploration d’options différentes pour reconfigurer nos
sociétés. Du fait de cette caractéristique, de cette mouvance plus grande
de la gauche, et aussi de son fractionnement, la gauche se retrouve à être
pénalisée, muselée par l’actuel mode de scrutin.
La gauche requiert-elle un scrutin proportionnel? Eh bien, regardons ce
qui se passe aux Etats-Unis, un régime notoirement corrompu par l’argent et
la fortune, la pluto-démocratie de la planète. Une proportionnelle
permettrait à ce pays de porter au Congrès des voix, disons, colorées,
féminines et idéologiquement progressistes. Si les mots sont indicatifs de
la réalité politique étatsunienne, aux États-Unis, quand on est
progressiste, on se dit « liberal »…
La Grande-Bretagne représente un autre cas intéressant. Dans ce pays, il
est possible que la gauche soit incapable de se rénover dû à son parti
unique de la gauche de l’échiquier politique. Là encore, le système semble
pousser les partis au pouvoir à se « droitir », s’il fallait une preuve des
plus actuelles de ce phénomène, on n’aurait pas à fouiller bien loin…
En France, on le voit, la gauche, divisée, est en déconfiture. Si la
présidentielle peut être une indication de ce phénomène, eh bien, l’on
assistera vraisemblablement à une deuxième présidentielle sans la gauche.
La dualité bipartisane du scrutin uninominal tend, aussi, notons-le, à
évincer le centre et à rendre cette option impossible. Lorsqu’elle émerge,
cependant, si elle émerge, elle devra soit refonder les règles politiques –
Bayrou propose une proportionnelle en France – ou déloger l’une des
formations majoritaires et prendre sa place.
Au Québec, il est possible, dans un « worst case scenario », que l’on
assiste à un gouvernement majoritaire au terme des sièges, mais extrêmement
minoritaire au terme des voix. Le PLQ, ou le PQ, pourraient être élus avec
tout juste un tiers des voix au total. Il est aussi possible que l’on ait,
bien évidemment, un gouvernement minoritaire.
Le Québec, sociologiquement, semble cependant sortir de la logique
bipartisane, tranchée en deux, de l’Union nationale et des Libéraux, puis
des Libéraux et du PQ, pour se diriger vers une société beaucoup plus
pluraliste. Il est possible, probable même, que cette pression pousse les
citoyens à réclamer une représentation équitable pour tous au sein de
l’arène parlementaire, que seule peut garantir une proportionnelle.
Le jeu entre la culture politique, et la structure de représentation, est
important. Il constitue une manifestation de l’effet de l’un sur l’autre,
celui de la culture spontanée sur la structure formalisée. La question de
la proportionnelle, donc, est une question de culture qui cherche à
s’institutionnaliser, politiquement, à se manifester sur la scène
parlementaire et gouvernementale, ce qui requiert une réforme de l’actuel
scrutin.
Si l’actuel scrutin donne une prime à la droite, en requérant des unités
politiques, partisanes, grandes et englobantes, en revanche, la
proportionnelle, et la lutte pour l’obtention de la proportionnelle,
logiquement, doit être une lutte des progressistes, de toutes les couleurs,
des verts aux solidaires. Il ne s’agit pas, cependant, que de chercher à
promouvoir son intérêt idéologique, sa préoccupation environnementale.
Plutôt, il s’agit d’une affirmation du droit qu’ont ces tendances d’exister
politiquement.
Les autres tendances ont, elles aussi, le droit d’exister, mais pas le
droit de confisquer la volonté populaire au nom de la « démocratie » et de
dérober les voix en traduisant non-proportionnellement ceux-ci en sièges.
Évidemment, cette lutte, pour un scrutin proportionnel, sera une lutte de
longue haleine. Il faut être naïf pour croire que les pouvoirs en place ne
résisteront pas au changement. Qui accepterait, à moins de placer la
démocratie au-dessus de ses propres intérêts, de voir deux autres
formations politiques entrer en jeu, deux autres compétiteurs sur la scène
politique?
Il faut dire que les verts iront gruger du côté des libéraux, du PQ, voire
de l’ADQ, tandis que QS ira gruger du côté de l’ADQ et du PQ. Qu’ont-ils à
y gagner? Rien, surtout pas pour l’ADQ et le PLQ. En revanche, le PQ, lui,
a un intérêt en jeu, un intérêt qui deviendra de plus en plus évident, avec
la montée de QS, que rien, logiquement, ne pourra retenir. C’est un
mouvement spontané.
L’intérêt du PQ, c’est celui que représente QS en tant qu’allié potentiel,
en régime proportionnel. En effet, dans l’actuel mode de scrutin, un vote
pour QS pénalise littéralement le PQ, au point où Jean Charest, habile
comme il est, est allé féliciter QS d’avoir présenté un budget équilibré,
alors que d’autres formations tardent. Il sait bien, à court terme, que la
montée de QS fait son affaire.
En revanche, en régime proportionnel, la lutte ne se fait plus entre le QS
et le PQ, mais entre ces deux formations et l’ADQ et le PLQ. Les Verts, à
vrai dire, sont peut-être difficiles à situer, je crois qu’ils pourraient
aller dans un sens ou dans l’autre. Néanmoins, ce qui est clair, c’est que
le PQ se retrouvera dans une situation intéressante, affaibli en tant que
parti, mais renforcé en tant que coalition souverainiste.
Il est possible que la coalition, en ratissant plus large, réussisse à
réunir une majorité parlementaire. Ce sera une lutte, il ne faut pas le
nier, mais c’est là bien possible. Il ne faut pas oublier que QS fait aussi
la compétition à l’ADQ, et pas à seulement au PQ. QS fait la compétition
aux votes de protestation. Les verts quant à eux, s’ils veulent être
cohérents, doivent tout de même admettre que le bilan vert du PQ et de QS
sera meilleur, et que les propositions de l’ADQ et des Libéraux, ont une
moins bonne cote.
Ce n’est pas dire que les Verts iront appuyer, nécessairement, le projet
de souveraineté; en fait, s’il y a un vote pour tenir un référendum sur la
souveraineté au Parlement, ce vote devrait être libre, permettant aux verts
et aux adéquistes d’appuyer ou non le projet. En revanche, ce qui est sûr,
c’est que ce vote, s’il passe à la majorité au Parlement, sera bien
indicatif de la réalité sur le terrain, et constituerait, en soi, un signe
précurseur du Grand Soir.
En attente de réunir cette majorité parlementaire proportionnellement
représentative de la majorité populaire, la mise en place d’une
proportionnelle, au PQ, doit coïncider avec la réalisation du fait que la
société québécoise est plurielle, capable de l’être, et qu’elle n’a pas
besoin d’un parti unique de la souveraineté, mais d’une union sacrée de la
souveraineté, démocrate, mobilisatrice, capable de refluer aux bancs de
l’Opposition le courant de la dépendance. Je suis Québécois. Voilà ce que
signifie ce projet, ce rêve porté dans le cœur des gens de mon pays, j’ai
un pays, le Québec, et ma terre ne connaîtra la liberté que le jour où elle
aura la fierté, de dire : Je ne suis pas, donc je suis.
Je ne suis plus, et je serai, pourrait-on dire, en attendant Godot. Que
faire en attendant? Pourquoi pas semer la graine de la prise en charge
populaire du destin collectif, de redonner un peu de ce pouvoir qui,
supposément, appartient au peuple, en l’habilitant à choisir ses dirigeants
politiques?
Si je suis incapable d’élire mes représentants politiques, que l’on ne
vienne pas me demander d’en sacrer un leader du Québec indépendant, car,
son indépendance, sa liberté, lui, il l’aura, mais il n’aura pas ma voix,
je me tairai, en attendant d’avoir le pouvoir de co-souverain que je suis,
celui de choisir, en toute quiétude et responsabilité, la personne qui me
représentera au Parlement.
David Litvak

Co-souverain du Québec sans vote effectif (heureusement, du haut de ma
co-souveraineté, je garde un certain sens de l’humour…)
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/spip/) --

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[Campagne pour une Assemblée citoyenne sur la réforme du mode de scrutin au Québec ->http://www.assemblee-citoyenne.qc.ca/]





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