Québec -- Le statut de gouvernement majoritaire agit-il telle une drogue pour fausser le jugement de Jean Charest? Avec la nomination de Pierre Corbeil comme ministre des Affaires autochtones, on peut en effet craindre le retour des décisions douteuses au cabinet du premier ministre, un mystérieux syndrome qui avait affecté son premier mandat.
La décision de nommer Pierre Corbeil pour négocier le plan Nord avec les autochtones ressemble à certains égards à celle visant le mont Orford. Dans ce dernier cas, le gouvernement prévoyait aliéner une partie d'un parc national pour le bénéfice d'André L'Espérance, un promoteur immobilier d'allégeance libérale. Dans le cas de Pierre Corbeil, on nomme un ministre des Affaires autochtones qui, pendant qu'il a été écarté du pouvoir entre mars 2007 et décembre 2008, a défendu les intérêts de compagnies minières actives sur des territoires occupés par des Premières nations, notamment des Inuits.
Le chef des Premiers Nations du Québec et du Labrador, Ghislain Picard, ne décolère pas. Il connaît bien Pierre Corbeil: le ministre a «largement démontré son incapacité totale à comprendre et à traiter adéquatement les questions liées aux Premières Nations». Non seulement les autochtones ne font pas confiance à Pierre Corbeil, mais ils le traitent d'incompétent.
Dans les deux cas, ça grince sérieusement. Dans cette décision de gouvernement, il y a quelque chose qui cloche et qui, de surcroît, saute aux yeux.
Comme dans le cas du mont Orford, d'autres éléments de l'affaire viennent aggraver la situation. On se rappellera que, pour faire passer la vente d'une partie du parc du mont Orford, Jean Charest a dû se défaire du ministre de l'Environnement, Thomas Mulcair, qui s'opposait au projet. On apprenait par la suite qu'André L'Espérance et Jean Charest étaient représentés par le même avocat, Me Jacques Jeansonne. Quand ça va mal...
Des relations
Après sa défaite en 2007, le dentiste Pierre Corbeil n'avait plus le goût de retourner à sa fraise. L'ex-ministre des Ressources naturelles s'était empressé de se servir de ses relations pour se trouver des contrats avec des compagnies minières à titre de conseiller stratégique. Cela semble contrevenir à la directive, signée par le premier ministre, qui interdit à un ex-ministre d'accepter une fonction dans une entreprise avec laquelle il a eu «des rapports officiels directs et importants» pendant qu'il était ministre. Pierre Corbeil a plaidé qu'il n'avait pas eu de rapports avec les entreprises qui ont fait appel à ses services, notamment la Canadian Royalties, qui travaille sur un des plus importants projets miniers au Québec. L'ex-ministre responsable des mines n'en avait entendu parler que dans les médias ou à l'Association d'exploration minière du Québec.
Mentionnons que Canadian Royalties est représenté par un lobbyiste qui a ses entrées aux Ressources naturelles et aux Affaires autochtones.
Il existe en français une expression -- mentir comme un arracheur de dents -- que nous ne pouvons pas employer ici, car elle soulève l'indignation de l'Ordre des dentistes, comme l'a appris Mario Dumont quand il l'avait utilisée en parlant justement de M. Corbeil. Un collègue libéral croit plutôt qu'il s'agit d'une forme de naïveté de la part du député d'Abitibi-Est.
Jean Charest a choisi de fermer les yeux. Sa directive contient des «zones grises», a-t-il reconnu. Suffisamment en tous cas pour permettre aux ex-ministres de la contourner, d'en violer l'esprit, à tout le moins. Évidemment, «la vie continue», a fait valoir M. Charest. Bref, il faut bien gagner sa vie. Le chef libéral avait d'ailleurs donné un coup de pouce à Pierre Corbeil en le chargeant cette année de mener des consultations auprès des autochtones sur le plan Nord avec, pour faire bonne mesure, l'ex-député péquiste d'Ungava, Michel Létourneau.
Il faut dire que Pierre Corbeil est un des piliers de l'élite libérale en Abitibi, une région où la présence péquiste est historiquement forte. Il fait partie de «la gang des Hummers» de Val-d'Or, selon l'expression du péquiste Rémy Trudel reprise par le Journal de Montréal.
Jacques Dupuis, leader parlementaire
Jean Charest insiste beaucoup sur la «collaboration» qu'il attend de tous les élus en cette période qui s'annonce difficile sur le plan économique. «Ce sera un Parlement de collaboration», a-t-il dit dans l'allocution qu'il a prononcée lors de l'assermentation de ses ministres.
Mais il a tout de même choisi Jacques Dupuis comme leader parlementaire. M. Dupuis était le leader parlementaire du gouvernement libéral majoritaire de 2003: il peut être particulièrement combatif, voire cinglant -- il a un côté "pit-bull" --, et on lui doit nombre de bâillons de fin de session. C'est un choix qui a déplu «très profondément» à la chef de l'opposition officielle, Pauline Marois.
Il est vrai que le premier ministre, en confiant à M. Dupuis ses nouvelles fonction de leader, lui a demandé de voir «à ce que les travaux de notre assemblée se déroulent dans un esprit de collaboration». Verrez-nous un autre Jacques Dupuis? C'est ce qu'on semble croire dans l'entourage de Jean Charest: vieux routier de la politique, Jacques Dupuis saura s'adapter. Sans toutefois se laisser manger la laine sur le dos, prévient-on.
Un autre choix de Jean Charest qui semble incongru: celui de Kathleen Weil au poste de ministre de la Justice. Élue brillante et charismatique qui présidait la Fondation du Grand Montréal, parfaitement bilingue, la nouvelle députée de Notre-Dame-de-Grâce fut, dans les années 80 et au début des années 90, conseillère juridique, puis directrice générale, d'Alliance Québec. Ce n'était pas à l'époque la phalange dirigée par Brent Tyler, mais Alliance Québec a vivement contesté les lois linguistiques du Québec. Kathleen Weil est maintenant chargée de défendre toutes les lois du Québec. Un avocat est appelé à soutenir des points de vue contradictoires en prenant fait et cause pour l'un ou l'autre de ses clients. On ne peut que laisser la chance au coureur.
La nomination de Pierre Corbeil comme ministre des Affaires autochtones est-elle un accident de parcours ou laisse-t-elle présager, pour le gouvernement Charest, un retour aux décisions indéfendables? En demandant à l'électorat un gouvernement majoritaire, Jean Charest a répété qu'il avait tiré beaucoup de leçons de son premier mandat tumultueux. Son attitude à l'endroit de l'opposition semble avoir changé, mais il est encore capable de décisions qui laissent pantois. Pragmatique avant tout, Jean Charest sacrifie parfois les grands principes sur l'autel de la petite politique.
Le retour des décisions saugrenues
Certaines nominations effectuées par Jean Charest font craindre la réapparition de la petite politique
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