Leçon du sommet du G20: se draper dans la Charte canadienne des droits pour permettre à des enfants, sous prétexte de liberté de religion, de porter à l'école un couteau cérémonial nommé "kirpan" est chose bien plus facile, semble-t-il, que de laisser des citoyens adultes manifester librement leurs opinions politiques devant les plus puissants du monde sans crainte d'être arrêtés arbitrairement par la police.
Note aux Torontois: les arrestations arbitraires, les Québécois savent ce que c'est! Ils ont connu la Crise d'octobre de 1970 avec sa suspension des libertés fondamentales et sa mise en taule de plus ou moins 500 intellectuels, chanteurs, poètes et syndicalistes, dont le principal "crime" était de penser autrement que Pierre Trudeau...
Mais au G20, la police torontoise a réussi à pousser l'intolérance à la liberté d'expression jusqu'à frôler les 1 000 arrestations, soit plus ou moins le double de la Crise d'octobre! Depuis, de nombreuses voix réclament, avec raison, une enquête publique. Bonne chance!
Car dans les faits, ce qui s'est passé au G20 participe d'un contexte plus large. Celui de sommets de plus en plus policés. Et ici, au Canada, celui d'un gouvernement fédéral obsédé autant par le contrôle de l'information que par les questions dites de "sécurité". Au point d'ailleurs de flauber 1 milliard de nos dollars pour "protéger" les chastes oreilles des chefs d'État du son de tous ces citoyens venus manifester leur colère.
Une colère qui s'exprime depuis des années contre des sommets où, derrière des clôtures de sécurité, des chefs d'État discutent confortablement de mesures dictées par l'Évangile du "sacrifice" imposé à leurs citoyens au nom d'équilibres budgétaires de plus en plus illusoires et temporaires. Prix à payer: moins d'État, moins de répartition de la richesse collective et plus de concentration de la richesse individuelle.
Résultat: une répétition de "crises", de récessions, voire de dépressions. Bref, leur remède est pire que la maladie.
Pour ce faire, plusieurs pays pratiquent la génuflexion à répétition devant les agences américaines de cotation, les banques et la grande entreprise, lesquelles, contrairement aux classes moyennes et aux plus vulnérables, ne sont jamais appelées à faire leur part de "serrage de ceinture". Au G20, on s'est même entendu pour ne PAS imposer de taxe spéciale aux banques et ce, même si des États, et non les moindres, les ont renflouées à coup de milliards l'an dernier.
Loin des sommets, la colère se vit aussi plus discrètement dans les populations, au jour le jour, de diverses manières. Au Québec, on la trouve dans cette demande généralisée d'une commission d'enquête, qui ne viendra jamais, sur les allégations de favoritisme dans la gestion des fonds publics.
S'occuper de son monde...
Et pourtant, le discours idéologique du "sacrifice" domine tellement les tribunes en Occident qu'on en oublie un des principes de base des démocraties modernes: l'État comme pourvoyeur de ce qu'on appelle l'"égalité des chances".
Le 31 mai, en entrevue au Devoir, le directeur général de l'Organisation internationale du travail, Juan Somavia, dénonçait justement l'effet de "contagion" d'un faux discours de "rigueur" budgétaire se faisant de plus en plus sur "le dos des plus vulnérables".
Plaidant pour l'économie "réelle", il disait qu'"on ne peut pas se centrer seulement sur les déficits sans mener une politique sociale", sans "créer les conditions pour des recettes accrues", ou sans répondre aux attentes des "salariés" et des "petites entreprises".
Le 5 juin, en entrevue pré-G20 avec Joël Le Bigot à Radio-Canada (1), Jacques Parizeau plaidait aussi pour des États plus proactifs: "L'argent peut faire peur au pouvoir. L'argent peut corrompre le pouvoir, mais on ne pourra jamais empêcher un État de passer des lois. Jamais."
L'ancien premier ministre faisait ensuite cette observation: "Il n'y a pas grand-chose qu'on peut faire, sauf s'occuper, comment dire, de son monde. (...) Il faut avoir le réflexe scandinave. Le gouvernement danois s'occupe d'abord des Danois. Il ne se demande plus quelle est sa place dans le monde. On dit que les peuples heureux n'ont pas d'histoire, mais ils peuvent avoir des gouvernements efficaces! Pas efficaces dans le monde, mais commencer par mettre leur maison en ordre. Commencer par réconcilier cette espèce d'opposition qui s'est créée entre les opérations financières et l'économie. Mettre sa maison en ordre."
Puis, M. Parizeau de conclure: "J'ai tendance à pas pousser le catastrophisme trop loin dans ces choses-là. Je pense qu'il y a tout ce qu'il faut dans ces pays développés pour continuer une sorte de prospérité "pépère", qui est très bien. Où la sécurité sociale met les filets qui doivent être mis. Où on contrôle la qualité de l'environnement de façon correcte. Où on se contente d'être heureux à défaut d'être grands!".
Une vision des choses fort différente de celle qu'on entend à certains sommets qui prennent de plus en plus des airs de Versailles...
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(1) Pour écouter l'entrevue avec Jacques Parizeau: http://www.radio-canada.ca/emissions/samedi_dimanche/2009-2010/chronique.asp?idChronique=112573
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