Sommet du G8

Le Parlement a été induit en erreur

Tony Clement a partagé la tarte entre les maires de sa circonscription

G-8, G-20 - juin 2010 - manifestations et dérives policières



Tony Clement est désormais le ministre du Conseil du Trésor et dirigera la vaste opération de réduction des dépenses d'Ottawa. M. Rae estime qu'il n'aura «aucune crédibilité». «C'est "capitaine Gaspillage" qui devient "capitaine Nettoyage".»
Photo : Agence Reuters


Hélène Buzzetti Ottawa — Malgré les dénégations des conservateurs en campagne électorale, le rapport du Vérificateur général du Canada portant sur les dépenses des sommets du G8 et du G20 est aussi accablant que les fuites l'avaient laissé entrevoir. Le chien de garde du gouvernement conclut que les parlementaires ont été induits en erreur lorsqu'ils ont approuvé les dépenses et que la sélection des projets financés dans la circonscription du ministre de l'Industrie s'est faite à l'insu des fonctionnaires. À un point tel que le NPD parle du «scandale des commandites 2.0».
Le rapport de la vérificatrice générale Sheila Fraser — qui a quitté ses fonctions depuis et a été remplacée par le vérificateur par intérim John Wiersema — était attendu depuis deux mois. En campagne électorale, une version préliminaire dévastatrice avait fait l'objet d'une fuite. Le gouvernement avait répliqué par sa propre fuite d'une version plus récente laissant croire que le langage de Mme Fraser s'était adouci. La vraie version dévoilée hier démontre que les critiques sont intactes.
Les remontrances les plus lapidaires concernent le Fonds de l'infrastructure du G8 ayant servi à embellir la circonscription du ministre Tony Clement, où se tenait le sommet du G8. D'abord, le vérificateur général ne sait ni comment ni pourquoi il a été décidé de consacrer 50 millions de dollars à cette fin. C'est 10 fois plus que ce qui avait été accordé à Kananaskis en 2002 pour le précédent sommet du G8 et 11 fois plus que ce qui avait été accordé à Québec pour l'accueil du sommet des Amériques en 2001.
Jamais le Parlement n'a été informé que ces 50 millions serviraient à embellir la région de Muskoka. Ces crédits ont plutôt été présentés comme étant destinés à améliorer des infrastructures frontalières. Les 32 projets financés avec l'argent public n'ont pas été choisis par les fonctionnaires en vertu de critères établis, mais plutôt par les six maires de la région, à la demande du ministre Tony Clement. Aucune documentation n'existe pour appuyer les choix. Enfin, le Parlement n'a jamais été informé que ces 32 projets étaient exemptés des règles s'appliquant d'habitude aux projets d'infrastructures: ils pourraient être financés à 100 % par le gouvernement fédéral sans apport privé ou provincial.
«C'est très inhabituel et inquiétant, a commenté le vérificateur général par intérim, John Wiersema. Je n'ai jamais vu une telle situation de toute ma carrière.» M. Wiersema ne veut pas s'aventurer à dire si cette façon de détourner des fonds approuvés par le Parlement à d'autres fins contrevient aux diverses lois sur les crédits, mais il n'en conclut pas moins que «la façon dont cela a été présenté au Parlement n'était pas correcte».
L'urgence d'agir
Loin de s'étonner de ce constat, les deux ministres dépêchés pour réagir au rapport (le troisième, Denis Lebel, n'était présent que pour traduire les réponses des deux autres) ont qualifié les problèmes soulevés de «carences administratives». Le ministre Tony Clement a même mis sur le dos de «règles anachroniques» le fait que le Parlement n'a pas été informé de l'utilisation véritable des 50 millions de dollars.
«En tant que gouvernement dédié à l'ouverture et la transparence, nous voulons nous assurer que les parlementaires reçoivent l'information dont ils ont besoin. C'est pourquoi j'ai demandé à mes fonctionnaires du Conseil du Trésor de revoir ces règles peut-être anachroniques», a déclaré M. Clement. Les deux ministres ont été incapables d'indiquer laquelle de ces règles avait empêché le gouvernement de dire la vérité sur la finalité des millions. «Nous n'avions aucune intention de tenir cette information secrète», a soutenu M. Baird.
De manière plus générale, les deux ministres ont invoqué la crise économique qui sévissait au pays en 2009-2010 pour justifier l'urgence d'agir sans s'encombrer des processus de la fonction publique. Parmi les projets financés, il y a eu des abris de pique-nique à Sundridge (125 000 $), une fontaine à Parry Sound (178 000 $), des jardinières en ciment à South River (65 000 $), respectivement situés à 60, 76 et 67 kilomètres du site du sommet.
C'est aussi l'urgence d'agir contre les souverainistes qui avait été évoquée par les libéraux à l'époque pour justifier les carences du programme de commandites. La comparaison avec le programme des commandites a d'ailleurs été reprise par le chef néodémocrate adjoint, Thomas Mulcair. «L'ancien ministre de l'Industrie s'est assis avec deux amis pour partager des dizaines de millions de dollars! Pas de témoins, pas de pièces justificatives, aucune trace!» Il a ajouté que les projets n'avaient «absolument aucun lien avec l'objectif visé. C'est véritablement la formule libérale de Chuck Guité et Alfonso Gagliano!»
Le vérificateur général rejette toutefois l'analogie avec les commandites en rappelant que dans ce cas-ci, le gouvernement a payé pour de vrais services obtenus. Il n'en conclut pas moins que deux règlements de la fonction publique ont été enfreints. Il laisse la Chambre des communes se plaindre d'avoir été induite en erreur par les canaux parlementaires habituels. En situation majoritaire, toutefois, ces canaux sont sans issue.
Pour le chef libéral Bob Rae, le manque de participation de la fonction publique dans la sélection des projets ouvre la porte au pire patronage qui soit. «Il n'est pas permis d'avoir Tony et les gars se partageant la tarte dans les coulisses. Ce n'est pas censé arriver et quand ça arrive, c'est mal et la population devrait être fâchée.»
Tony Clement est désormais le ministre du Conseil du Trésor et dirigera la vaste opération de réduction des dépenses d'Ottawa. M. Rae estime qu'il n'aura «aucune crédibilité». «C'est "capitaine Gaspillage" qui devient "capitaine Nettoyage".»
Moins de 1 milliard
Notons en outre que le rapport du Vérificateur général conclut que le coût total des deux sommets internationaux ne sera pas de 1,1 milliard de dollars, somme approuvée par le Parlement, mais plutôt de 664 millions. La révision à la baisse s'explique notamment par le fait que la GRC prévoyait payer 600 $ la nuit pour héberger ses policiers dans les hôtels torontois et a payé plutôt 200 $, pour une économie de 25 millions. Les 14 millions prévus pour héberger les policiers à Huntsville n'ont pas été nécessaires, ni les 11 millions que la Défense nationale croyait devoir dépenser pour louer des avions et hélicoptères privés.
La sécurité a accaparé le plus gros morceau de la facture, soit 510 millions. Le reste a servi à l'organisation et à l'accueil des délégations. Au total, 2500 personnes sont venues pour le sommet du G8, et 7500 pour celui du G20. Un des pays — qu'on ne peut nommer pour des raisons de sécurité — avait à lui seul une délégation de 1000 personnes!
Le Vérificateur général reproche au gouvernement d'avoir mal informé les parlementaires lors de l'octroi de tous ces fonds (et pas seulement les 50 millions) parce que les demandes de financement ont été morcelées dans quatre documents budgétaires différents et réparties entre 14 ministères chaque fois. «Il était donc presque impossible pour le Parlement de savoir combien d'argent on lui demandait en tout.»


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