Il y a toutes sortes de conflits sur le front linguistique. Mais s'il en est un qui est lourd de sens, c'est la bataille des mots. Et cette bataille, la chef du PQ, Pauline Marois, l'a très clairement remportée.
Le mot recul, martelé par le Parti québécois, s'est imposé. L'idée que le français est en recul, surtout à Montréal, fait maintenant partie du discours public et médiatique, comme s'il s'agissait là d'un fait vérifié et incontestable. Il colore les perceptions, surtout chez ceux qui vivent loin de la région métropolitaine et il s'insère dans l'inconscient collectif.
Et pourtant, ce n'est pas ce que disent les fameuses études publiées par l'Office québécois de la langue française. Elles tracent un portrait très nuancé de la situation, avec d'indéniables progrès, mais aussi des zones grises, ce qui a amené Simon Langlois, le président du comité de suivi de la situation linguistique de l'OQLF, l'équivalent de son comité scientifique, à conclure à "un portrait d'ensemble plutôt favorable".
Le seul élément qui a permis d'utiliser le mot recul, c'est la baisse de la proportion des gens dont la langue maternelle est le français dans l'île de Montréal, maintenant en dessous de 50%, qui s'explique par l'augmentation de l'immigration et par l'exode des francophones vers la banlieue.
Il y a recul des francophones. C'est un fait. Mais est-ce un recul du français? Ce n'est pas du tout la même chose. Au Québec, les gains et les pertes du français doivent se mesurer en fonction de la langue qui est une menace, soit l'anglais. Ce n'est pas ce qui se passe. En outre, la plupart des démographes estiment que la langue maternelle n'est pas la meilleure mesure de la santé du français. Il faut plutôt regarder la langue d'usage qui, elle, se porte bien. Bref, il faudrait se tourner la langue sept fois avant de parler de recul.
On en a eu un bel exemple hier du fait que les choses ne vont pas si mal avec un intéressant dossier de La Presse sur les plaintes que reçoit l'OQLF. On apprend que, depuis 10 ans, les plaintes sont en baisse. C'est un signe positif. On découvre aussi que leur nature a changé. Elles portent moins sur des sujets explosifs comme l'affichage, ou sur des enjeux majeurs, comme la langue de travail, mais davantage sur l'étiquetage, un problème relativement mineur et technique. Un autre signe positif. D'autant plus que le reportage notait que les manquements se concentraient dans les petits commerces indépendants, épiceries ethniques, marché gris, magasins à un dollar.
Ce sont des problèmes à corriger. Mais rien qui illustre un quelconque recul ou qui représente un péril. De la même façon, la croissance de l'immigration représente un énorme défi; il faudra certainement consacrer d'importantes ressources pour mieux franciser les immigrants, pour mieux les intégrer. Ce sont des choses qui se gèrent, qui se règlent, dont on peut parler sans être sur le mode panique.
Mme Marois, pour des raisons politiques qui sautent aux yeux, a choisi de ne pas faire ces nuances. Ce week-end, elle a même utilisé un ton très intense. "Regardez le dossier de la langue, mes amis. Ça n'a pas de bon sens ce qui se passe. Les indicateurs sont pourtant clairs, le français perd du terrain, particulièrement ici, à Montréal Promenez-vous dans certains quartiers de Montréal, vous viendrez m'en parler après."
Ni les faits ni les études ne permettent cet alarmisme. Je ne veux pas m'acharner sur Mme Marois, mais je trouve dommage qu'elle enfourche ce cheval de bataille. Elle marquera peut-être des points, on verra, mais il y a un prix à payer pour nous tous.
Tout d'abord, le fait de parler de recul quand le français a enregistré de considérables progrès a un effet débilitant: on se dévalorise, on nie l'élan qui anime notre société, on cultive l'insécurité, on nourrit un sentiment d'échec.
Ensuite, parce que le fameux recul est provoqué par l'immigration, il est inévitable que ce thème débouche directement sur la peur de l'autre. Mme Marois n'est pas du tout fermée à l'immigration. Mais son agitation linguistique nourrit les réflexes de méfiance et d'exclusion et fournit paradoxalement une caution morale à la croisade de Mario Dumont.
Enfin, en choisissant ce terrain, elle ne sert pas la création de richesse dont elle a fait une priorité. Difficile de créer de la richesse quand on veut gonfler une bureaucratie pour renforcer la loi 101, qu'on veut étouffer les PME, qu'on brasse une insécurité linguistique qui encourage le repli. Ce qui risque alors de reculer, ce n'est pas le français, c'est le Québec.
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
30 avril 2008Je ne suis pas surpris de la prise de position des trois larrons du journal La Presse, les Vincent Marrisal, André Pratte et Alain Dubuc, suite à l'orientation plus musclée et consciente que Madame Pauline Marois veut inculquer au débat linguistique.Que ces larrons ne voient pas qu'il y a recul et péril pour l'avenir du français au Québec relève de l'inconscience ou d'un aveuglement idéologique qui s'explique, je crois, par leur emprisonnement ou leur isolement dans la tour argentée de la famille Desmarais .Comme langue d'affichage ,l'anglais s'implante de plus en plus dans le paysage public , par exemple les FOUR POINTS by SHERATON , les CHILDREN PLACE, etc. Lors des assemblées annuelles des actionnaires, l'anglais est majoritairement présent . Ainsi, à la dernière réunion tenue par la compagnie Neurochem à Montréal le 15 avril dernier,la rencontre s'est tenue presque exclusivement en anglais alors que l'assemblée était composée majoritairement de francophones.La situation et les mentalités n'ont donc pas changé: pour accommoder les quelques unilingues anglophones, on range sa langue maternelle dans le placard, comme cela se faisait autrefois.Et comme autrefois, il y a toujours des ces francophones qui parlent en anglais entre eux comme s'ils voulaient démontrer qu'ils ont la compétence pour occuper un tel poste de direction.Je n'invente rien, lors de cette réunion, j'ai été le temoin de cet humiliant spectacle .Pourtant, les trois larrons de la Presse persistent à dire que le français,comme langue d'usage, a fait des progrès.Dans la ville même de Québec,la compagnie Diagnocure est dirigée par un unilingue anglophone qui ne sait pas dire un seul mot en français aux actionnaires de la compagnie. Peut-on dire,alors,que le français, comme langue d'usage a fait du progrès? De plus en plus de locuteurs francophones emploient des expressions anglaises, par exemple notre Ariane Moffat, entendue à l'émission "Première heure" ,qui dit être encore une BEGINNING( pour... une débutante) dans une quelconque activité. Que va maintenant ajouter la vénérable Lysianne Gagnon aux trois épîtres de sa confrérie?
Raymond Fleury