Yann Tournon, du magasin Monsieur Prix, a lui-même dû traduire et faire imprimer un livret d’instructions en français extrêmement détaillé pour des iPods. (Photo Rémi Lemée, La Presse)
Tristan Péloquin - Si les années 80 et 90 ont été marquées par la «police de la langue» et sa lutte contre les affiches non conformes devant les commerces, les années 2000 sont maintenant celles de la guerre aux emballages unilingues anglais. En 10 ans, le nombre de plaintes à ce sujet enregistrées par l’Office québécois de la langue française a crû de 15%. Assez pour devenir la principale source de doléances des consommateurs francophones.
«Il y a 15 ou 20 ans, ces plaintes ne représentaient que le quart de toutes celles que nous enregistrions. Aujourd’hui, tout ce qui se rapporte à l’emballage compte pour environ 60 % du total. C’est un phénomène qui est étroitement lié à la mondialisation des marchés; il y a énormément de produits en provenance de l’Asie qui ne respectent pas la loi», tranche Gérald Paquette, porte-parole de l’OQLF.
Selon la Charte québécoise de la langue française, tout produit vendu au Québec doit obligatoirement être présenté dans un emballage «où le français figure de manière équivalente» à l’anglais ou aux autres langues. La même règle vaut pour les documents qui accompagnent les produits, leurs modes d’emploi et leurs certificats de garantie.
De façon générale, a constaté La Presse en scrutant les tablettes de plusieurs magasins qui vendent beaucoup de produits importés, les grandes chaînes – que ce soit Wal-Mart, Canadian Tire, Future Shop ou Best Buy – semblent respecter au pied de la lettre les dispositions de la Charte. Même Dollarama, dont 50% de la marchandise est importée d’Asie, affiche un comportement exemplaire.
La situation est cependant loin d’être aussi rose dans les petits commerces indépendants. Dans six «magasins du dollar» génériques visités, La Presse a immédiatement trouvé plusieurs jouets pour enfants dans des emballages contenant des conseils de sécurité écrits en anglais seulement, ainsi que du maquillage, des outils et du câblage audio-vidéo emballés dans des cartons unilingues anglais ou anglais-espagnol.
«Pour nous, le français c’est très important, assure néanmoins Claude Lessard, copropriétaire du magasin à rabais Vari-Surprises, situé rue Ontario. Le problème, c’est que nous achetons souvent des lots de produits provenant d’entreprises qui font faillite. On ne sait même pas ce qu’il y a dans les boîtes avant de les ouvrir», explique-t-il.
«On arrive généralement à exiger un emballage ou un livret d’instruction en français, mais parfois, par exemple si c’est un lot de savon à lessive de bonne marque qu’on peut revendre la moitié du prix normal, ça ne vaut pas la peine. À peine placées sur les tablettes, les bouteilles s’envolent dans le temps de le dire et les clients sont contents», ajoute M. Lessard.
Dans d’autres cas, un autocollant en français est tout simplement apposé sur l’emballage pour ne pas contrevenir à la Charte. Une approche que l’OQLF dit «tolérer».
Mais il reste que dans la plupart des cas, les produits emballés uniquement en anglais se vendent mal, constate M. Lessard. Souvent, il doit les écouler sur le marché américain grâce des sites comme eBay.
Plusieurs petits magasins d’informatique ou d’électronique visités par La Presse vivent le même genre de problème. Les produits qu’ils importent directement de Chine sont rarement livrés avec des emballages et des livrets d’instructions francisés. À la boutique Monsieur Prix, rue Ontario, le propriétaire Yann Tournon a cependant fait preuve de débrouillardise. Pour pouvoir vendre des répliques de iPod Nano à 29,99 $, il a lui-même dû traduire et faire imprimer – en couleur – un livret d’instructions en français extrêmement détaillé. «Je fais affaire avec une imprimerie chinoise. Ça ne me coûte pas plus que 20 ou 30 cents l’exemplaire. Si je n’avais pas fait ça, je n’aurais jamais pu vendre mes appareils ; j’aurais beaucoup trop de retours», explique-t-il.
Dans l’alimentation
Selon nos constatations, le casse-tête de l’étiquetage se retrouve aussi sur les tablettes des supermarchés où la multiplication des aliments importés ne facilite pas la tâche des épiciers. Des jus exotiques venus du Mexique dont on révèle tous les secrets uniquement en espagnol ou des thés macrobiotiques japonais dont on vante les mérites en anglais se glissent parfois dans une épicerie généraliste.
Malchance, plaide Josée Bédard, porte-parole du groupe Provigo. Les produits qui ne respectent pas la loi de l’étiquetage viennent probablement d’un fabricant qui vend aussi aux États-Unis, ou ailleurs, et qui envoie au Québec la mauvaise caisse. Le produit se retrouve sur les tablettes par inadvertance et est retiré au premier signalement, promet la représentante de Provigo.
Les choses se compliquent dans des épiceries spécialisées en produits importés ou de créneau. «Certaines compagnies considèrent que le marché québécois est trop petit pour faire traduire leurs étiquettes. Et ce sont des produits uniques, qui n’ont pas d’équivalent», explique Sylvie Senay, propriétaire des supermarchés Avril, spécialisés en alimentation naturelle et haut de gamme. Ce qui fait que, parfois, oui, l’épicière se permet de mettre sur les tablettes des produits sans étiquette en version française.
L’approche sectorielle de l’OQLF
Devant ce phénomène, l’Office québécois de la langue française ne peut faire autrement que de modifier son approche. «Ce que nous favorisons désormais, c’est une approche sectorielle, explique le porte-parole Gérald Paquette. Nous travaillons avec toute la chaîne – du commerçant au distributeur en passant par le manufacturier – pour les sensibiliser à leur obligation d’offrir des produits emballés en français. Nous obtenons ainsi des résultats plus durables», assure-t-il.
Cette façon de faire a récemment fait ses preuves dans l’industrie du jeu vidéo, où, en vertu d’une entente avec l’Association canadienne du logiciel de divertissement, la plupart des titres vendus au Québec depuis l’été 2007 contiennent des éléments en français. Elle est aussi présentement mise en œuvre dans l’industrie de l’équipement d’escalade.
Mais dans tous les cas, les avancées ne sont pas étrangères à la pression exercée par le groupe de pression Impératif français, qui a déposé près de 20 000 plaintes ces dernières années contre des vendeurs de jeux vidéo, d’équipement de plein air ou d’électroménagers. «Malheureusement l’Office n’agit que s’il y a plainte. Tout repose sur le dos du consommateur. Ça ne devrait pas être le cas», affirme Jean-Paul Perreault, porte-parole d’Impératif français.
- Avec la collaboration de Stéphanie Bérubé
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