Le Québec vu par la RTBF et Le Monde Diplo.

Chronique de José Fontaine

Le 9 juillet 2001 au Journal Télévisé de la RTBF, le Premier Ministre québécois Bernard Landry en visite en Wallonie est interrogé :
(Question) Vous considérez que la Belgique est en quelque sorte un modèle institutionnel dont le Québec pourrait s'inspirer?
[B.Landry: « Il faut des adaptions nécessaires d'un pays à l'autre mais ce que vous faites ici comporte pour nous beaucoup d'inspiration au niveau de la Belgique mais au niveau de l'Europe aussi... la question nationale du Québec n'est pas réglée. »]
(Question)- Quels seraient, au niveau de la Belgique, les éléments qui vous inspireraient le mieux?
[B.Landry -« Ca bouge tandis que la question institutionnelle au Canada est bloquée.(...)]
(Question) - C'est aussi le fruit de ce que l'on appelle le compromis à la belge qui a marqué toute notre histoire politique. Est-il exportable?
[B.Landry: « Je crois qu'entre gens de bonne foi, c'est possible [...] Il y a beaucoup de choses qui nous fascinent dans ce que vous faites. »]
(Question) - Notamment, la sauvegarde des nations malgré l'union ce qui semble faire défaut au Canada où le dialogue n'est pas harmonieux entre les communautés?
[B.Landry « (...). Il faut imaginer des contrepoids pour préserver les caractéristiques des groupes d'humains qui forment les nations, les langues, les cultures (...) »]
(Question)-- Vous voulez un Québec souverain. Pourquoi souverain et pas indépendant?
[B.Landry: « Le mot souverain est plus approprié. (...) »] .

Le « modèle » est celui par lequel la Flandre et la Wallonie ont passé des compromis nécessaires mais qui sont tous attribués à la Belgique (indistinctement), en oubliant que la réussite « belge » est - fatalement! -une entente entre deux éléments - Flandre et Wallonie - mais qui ne seront jamais nommés.
En 2010
Sans en avoir le verbatim, j’ai écouté (et réécouté) attentivement une séquence diffusée du Québec ce 28 octobre 2010 à la même RTBF (Journal parlé du matin du 28/10/2010). Il est question d’un voyage d’affaires de l’AWEX (Agence wallonne pour l’exportation : l’une des conséquences du compromis fédéraliste dont il avait été question le 9 juin 2001) au Québec et en particulier à Montréal.
L’agence est accompagnée de chefs d’entreprise. Il est question de la difficulté pour l’AWEX de « vendre un pays divisé ». Quelqu’un insiste sur le fait que francophones et anglophones sont bien tranquilles au Québec. Sur le fait que l’Etat fédéral est très décentralisé et que le fait français est pleinement reconnu au Québec (je ne fais que redire ce que l’on a entendu). On a voulu mettre en évidence, dans un pays étranger, le fait que la Belgique n’ait pas encore de gouvernement pays dont on a toujours parlé comme étant le Québec sans dire un mot du fait que la mission qui le visitait était wallonne. L’ensemble de la séquence confondait en réalité Québec et Canada.
***
Dans ces deux émissions la RTBF (que les Wallons financent et qui est elle-même une institution non pas fédérale mais fédérée), a mis en évidence clairement la seule Belgique dans des circonstances où tant le 9 juin 2001 que le 28 octobre 2010 on aurait dû parler de la Wallonie. Curieusement aussi, on a valorisé le côté « belge » en juin 2001 du point de vue du nationalisme belge et valorisé le Canada (tout en parlant du Québec) du point de vue du nationalisme canadien le 28 octobre 2010.
Le Monde Diplomatique de novembre 2010
Benoît Bréville écrit en chapeau de son article sur le Québec du n° de novembre du "Monde Diplomatique" La Révolution tranquille n'a pas eu lieu que «comme nombre de pays subissant la domination de leurs voisins ou de puissances impérialistes, le Québec a tenté d'associer nationalisme et transformation sociale». Puis il regrette qu'à partir de 1976, les acquis de la Révolution tranquille ont été peu à peu à peu effacés, à commencer par Jacques Parizeau, lui-même proposant, récemment (en 2008), dans Le Devoir, de commencer à habituer la population à une privatisation au moins partielle d'Hydro-Québec.
Soit. Je ne sais si J.Parizeau mérite ces jugements si sévères. Et je peux comprendre le besoin dans lequel se trouve Le Monde Diplomatique de s'opposer au néolibéralisme triomphant en train de ravager le modèle social européen jusqu'à l'horreur. Mais en évoquant les «voisins» encombrants, le journal français parle d'or : il devrait tout de même faire attention au fait que, tant pour la Wallonie que pour le Québec, les articles qui y sont publiés sont souvent trop indifférents comme celui-ci à un enjeu que Marx lui-même n'aurait pas séparé radicalement de la lutte des classes: l'émancipation nationale. Et de pays dont il est en un certain sens «voisin».
Or Le Monde Diplomatique est très décevant, tant pour les Wallons que pour les Québécois. Et en ce qui concerne la Belgique, en particulier la Wallonie, jamais - je dis bien: jamais - je n'ai lu dans ce périodique la moindre analyse réellement novatrice ou inspirante sur la Belgique. Jamais! Encore moins sur la Wallonie encore décrite récemment (en juin), comme vivant «sous perfusion de l'Etat belge», ce qui est une parole qui n'est que le reflet d'un nationalisme flamand parfaitement exagéré, comme les événements récents le montrent. Quand on pense que le principal syndicat en Wallonie, la FGTB wallonne est à la pointe du combat autonomiste wallon depuis un demi-siècle, on est tenté d'appeler également «impérialisme», au moins idéologique, la manière hautaine et autiste dont les Français - même de gauche comme ici - ignorent les seuls pays développés qui parlent la même langue qu'eux dans le monde. C'est consternant et cela jette un doute sérieux sur la crédibilité des analyses de cette publication sur d'autres contrées. On souhaite simplement que, dans ces derniers cas, le préjugé de la proximité (dont les Français ne voient pas qu'ils nous en écrasent), ne serait pas aussi virulent. (1)
Les nations reconnues existent bel et bien. Pas les autres. Surtout aujourd’hui où les âmes des êtres se refroidissent sans cesse et où nous allons d’austérités en austérités, de répressions en répressions, de régressions en régressions. La RTBF est un service public. Le Monde Diplomatique un journal que je ne pourrais pas ne pas acheter chaque mois. En tant que citoyen d'une nation dominée et écrasée, je me devais de témoigner de la difficile amitié qu'on tente d'entretenir avec des gens qui nous sont proches mais qui font semblant de croire que ni le Québec, ni la Wallonie n'existent ou même n'en valent la peine.
(1) Je suis reconnaissant au "Monde Diplomatique" d'avoir souvent fait place dans sa rubrique sur les revues à la revue TOUDI que je dirige, mais au-delà de ce fait personnel, je maintiens que les articles sur la Belgique sont le plus souvent moins que médiocres et cela malgré le talent de ceux qui les écrivent. Comment expliquer cela?

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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2 commentaires

  • José Fontaine Répondre

    1 novembre 2010

    Il faudrait que je retrouve cette déclaration de Clémenceau au roi des Belges Albert I, disant (en 1918) qu'il n'avait pu longtemps considérer la Belgique que comme une ancienne province française incapable d'être un véritable Etat. J'ai reçu ici même dans mon bureau Paul Tourret qui a écrit un article bien plus actuel confirmant que les Français gardent toujours quelque part cette vision de la Belgique. Il y a une véritable réticence française à faire une place à la Belgique dans l'histoire de la Première guerre mondiale par exemple (il faut lire des ouvrages en anglais pour voir reconnu le rôle militaire belge en août 14). Il y a donc un complexe tant belge que français sur ces questions. J'ai souvent dit ici que la littérature de langue anglaise était bien plus étendue sur la Belgique que ce qui s'élabore en français, du moins en France. A cause de cela, vu l'énorme influence de la France chez nous, nous n'osons pas dire ce que nous sommes ni l'affirmer. Et je me tue à dire à mes amis militants wallons que ce n'est pas à cause de la Belgique mais de la France, comme des étrangers non Français le voient tout de suite.
    Le Québec souffre peut-être moins de cette influence énorme en Belgique et plus encore en Wallonie. Je défends la thèse que l'une des difficultés de l'affirmation de la Wallonie est que celle-ci doit se placer dans un univers francophone où puisque même la Belgique est déjà déclassée, on n'a plus grand-chose à oser dire de la Wallonie. Le Québec souffre moins de cela et il a entrepris une défense extraordinaire de son point de vue national qui, à son tour, a joué un rôle positif cette fois en Wallonie que je résumerais en deux mots: grâce au Québec, les Wallons se sont rendus compte que l'expression d'une identité nationale en français, quoique n'étant pas hexagonale, n'était pas nécessairement condamnable. C'est fou, mais c'est ainsi. Si je m'intéresse au Québec depuis près de 50 ans, c'est à cause de cela. Non pas seulement à cause de cela mais l'amitié la plus sincère s'explique aussi par un intérêt personnel.
    Ceci dit, jamais je ne pourrais renier ma francophilie. J'ai des étudiants français dont je suis enchanté. Le courage des Français face à Sarkozy est un des événements récents qui m'empêchent de désespérer de la République française et universelle.

  • Raymond Poulin Répondre

    30 octobre 2010

    Comment expliquer cela? La France a toujours eu une prétention à l’universalité, comme si elle était la mère de toutes les nations depuis Hugues Capet, alors qu’encore en 1914, l’homogénéité linguistique n’était pas complètement réalisée. Le premier endroit où toute la population de souche européenne sur un territoire a parlé le français officiel, ç’a été la Nouvelle-France, à la fin du XVIIième siècle, pour une raison bien simple : avec quelques milliers d’habitants seulement, il n’était pas viable de s’entretenir en une trentaine de dialectes et de langues. La France n’a entrepris son nation building, et surtout par la contrainte, qu’à compter de la Révolution. Et même à la fin du XIXième siècle, affiché à la porte des écoles : «Défense de cracher par terre et de parler breton», ou occitan, ou ce que vous voudrez. La France est une nation construite de force, mais paraît-il qu’elle est éternelle et la matrice de l’idée nationale, comme si les peuples danois, norvégien, etc., ne l’avaient pas précédée. La France a été une grande puissance et s’imagine l’être demeurée alors qu’elle se conduit comme un larbin des USA depuis 1946, sauf sous De Gaulle. Sa culture a rayonné dans tout l’Occident du XVIIième siècle jusqu’en 1919, ce qui n’est sans doute pas rien, mais elle vit du temps emprunté et de souvenirs, elle survit à sa réputation, de préférence en anglais bâtard, même dans les sciences. Alors, vous pensez bien, les cousins de «ma cabane au Canada» et les ploucs wallons, c’est un peu plus que les anciennes colonies du Maghreb, de l’AEF et d’Haïti, mais enfin... Je sais, ce n’est pas vraiment ce que pense le Français moyen populaire, mais ça correspond en gros à la mentalité du petit-bourgeois parisien, surtout s’il croit faire partie de l’élite qui gravite autour des pouvoirs politique, journalistique et oligarchique, à quelques exceptions près. La condescendance, avouée ou discrète, mâtinée d’engouement passager à la condition que nous tenions sagement notre rang et connaissions notre place...