Le Québec et le niqab - Comme des talibans ?

L'opinion du Globe and Mail ne fait pas l'unanimité dans la presse du ROC

Le visage haineux des « Anglais »

Québec — Les talibans ne seraient pas ceux qu'on croit. Le gouvernement du Québec, par exemple, et sa ministre de l'Immigration, Yolande James, dans l'affaire du niqab au cégep Saint-Laurent, auraient eu un comportement s'apparentant à l'ancien gouvernement afghan, a soutenu le plus sérieusement du monde le Globe and Mail en éditorial jeudi.
La femme au niqab, Naïma Ahmed, «s'est mise à pleurer quand elle a aperçu le fonctionnaire québécois» entrer dans la classe, a relaté le Globe. «J'ai l'impression que le gouvernement me suit partout», a-t-elle confié. Commentaire du journal torontois: «Cela peut bien être une pratique dans certains pays arabes ou d'Asie de l'Ouest, comme l'ancien régime taliban en Afghanistan, mais donner le mandat à des agents de l'État d'appliquer des codes vestimentaires et de faire cesser l'éducation des femmes, il s'agit vraiment d'une première au Canada.»
Les médias du Canada anglais ont mis du temps à commenter l'affaire, fait remarquer la chroniqueuse du Devoir experte du ROC, Manon Cornellier. Sans doute en raison de sa nature explosive et du fait que le débat, là-bas aussi, fait rage. En 2009, dans un tribunal en Ontario, une musulmane portant le niqab a refusé de se dévoiler même si le juge l'exigeait. L'affaire a été portée en appel. La Commission ontarienne des droits de la personne a jugé que la liberté religieuse permettait à la dame de conserver son niqab devant la cour. La Cour supérieure a tranché en mai: un juge peut forcer une femme à retirer son niqab s'il a des
raisons de croire qu'elle ne le porte pas pour des raisons religieuses. La décision a été portée en appel.
Chose certaine, dans l'affaire du cégep Saint-Laurent, s'il y a un quasi-consensus au Québec pour approuver la façon dont le gouvernement a traité l'affaire, au Canada anglais deux camps à peu près égaux ont émergé cette semaine. Ceux, comme le Globe (et The Gazette hier), qui taxent l'attitude du gouvernement du Québec d'«intolérance». Et les autres, le National Post au premier chef, qui l'appuient, y voyant le summum de l'approche canadienne en matière de droits des minorités.
Édito
Revenons à l'éditorial du Globe. Il commençait par admettre que des limites à l'accommodation des minorités religieuses existent: l'excision et le mariage des enfants, par exemple, sont clairement à prohiber. «Le cas de Naïma Ahmed ne relève toutefois aucunement de l'accommodation, mais bien des limites à la tolérance, et c'est celle-ci qui s'avère, au Québec, totalement déraisonnable.»
Le Globe insiste sur le fait que Mme Ahmed n'est pas, dans la classe, la personne qui enseigne. Bref, nulle «position d'autorité ici». Le Globe estime troublant qu'en prétendant agir dans l'intérêt de l'étudiante (comment corriger sa «prononciation» du français si elle porte un niqab?), on en vienne, par la solution choisie, à assurer que cette même étudiante échoue, car elle est expulsée. Conclusion: il est toujours risqué, dit le Globe, que «les politiciens se mettent à définir ce que sont "nos valeurs"».
Ce n'était pas la première fois que le Globe abordait la question du pluralisme au Québec. Le chroniqueur John Ibbitson, mercredi, en une du journal, dans une série sur le «Canada qui se transforme», se penchait sur le cas du Québec. Il se surprenait du bruit que l'affaire du niqab du cégep Saint-Laurent avait créé. «Intégrer les immigrants est un défi partout au Canada, mais c'en est un particulier au Québec, la moins diversifiée des grandes provinces canadiennes», soutient-il. Et Montréal? La moins diversifiée des métropoles. De loin. C'est une tendance, insiste-t-il: en 2031, «les personnes d'origine européenne seront en minorité à Toronto et à Vancouver. Quatre habitants de Calgary sur dix seront non-blanc [sic]. À Edmonton et à Montréal, ce sera seulement trois sur dix».
Au dire d'Ibbitson, les politiques linguistiques du Québec découragent les immigrants des pays émergents, comme la Chine et l'Inde, de venir s'y installer. Or les pays francophones d'où proviennent les immigrants du Québec «sont considérablement plus pauvres». Par ailleurs, en dehors de Montréal, les villes québécoises ne reçoivent à peu près pas d'immigrants. Or, sans immigrants, les villes de Saguenay, de Sherbrooke et de Trois-Rivières «mourront toutes».
Avoir réussi à maintenir la langue française en Amérique est une réussite formidable, estime Ibbitson. «Aujourd'hui, les Québécois doivent toutefois se poser une question cruciale: comment préserveront-ils cette langue et cette culture tout en attirant assez d'immigrants prêts et capables à soutenir ces mêmes langue et culture? La survie du fait français en Amérique du Nord dépend de la réponse qu'ils donneront à cette question», conclut le chroniqueur, gravement.
Le Post
Sur le niqab, la position du National Post, présentée dans deux éditoriaux, tranche avec celle du Globe. Lundi, le Post a soutenu que la manière dont le gouvernement du Québec a traité la chose démontrait ce qui suit: «Le Canada a trouvé le juste équilibre dans sa gestion des minorités religieuses réclamant un statut spécial.» La procédure adoptée par le cégep cadrait même parfaitement avec «l'esprit de l'inclusivité» à la canadienne, puisqu'on a permis à l'étudiante, dans un premier temps, de porter sa burqa [sic: le Post a décidé sciemment de confondre burqa et niqab] en cherchant à l'accommoder. «On est loin de l'islamophobie», note le Post, qui se réjouit du reste que le cégep n'ait pas cédé à toutes ses demandes, surtout les plus «ridicules», quand l'étudiante cherchait à éviter tout «rapport social» avec les hommes.
Jeudi, le Post est revenu sur la question, dans la foulée de la publication des dernières données de Statistique Canada sur la diversité ethnique dans la fédération. Cette diversité fera en sorte que les libertés (de conscience, de religion et d'association) reconnues par les chartes entreront de plus en plus souvent en conflit. «Le cas de la burqa au Québec» le démontre, soutient le Post. «Jusqu'à quel point les libertés d'un groupe d'étudiants peuvent-elles être restreintes pour accommoder les croyances religieuses d'un autre? Les universités devraient-elles instaurer [pour leurs piscines] des heures de baignade pour femmes seulement? Les femmes devraient-elles pouvoir voter voilées?»
Parfois, la question est facile à trancher, l'accommodement est illégal, note le Post: par exemple pour l'excision et les meurtres d'honneur. Dans les cas plus complexes, un «équilibre délicat» doit être trouvé entre les droits en conflit. «Dans le cas de l'étudiante à la burqa [sic], il n'était pas raisonnable de s'attendre à ce que les autres étudiants détournent leur regard d'une personne qui fait un exposé dans une classe où ils pratiquaient la conversation française.» Le Post trouve désolant que la plupart de ces cas soient souvent tranchés, non pas par le Parlement ou les tribunaux, mais par des commissions des droits de la personne, ce qui «rend les règles imprévisibles et arbitraires». Les politiciens devraient au contraire prendre ces cas à bras-le-corps, insiste-t-il. Ainsi, les Canadiens seraient mieux fixés sur «leurs valeurs» et sur les pratiques que leur pays rejette.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->