Réflexion nationale sur les finances publiques

Le Québec devrait s'inspirer du Royaume-Uni

Budget Québec 2010 - suites


Marcelin Joanis et Patrick Richard - Comme le répétait une fois de plus le Conference Board du Canada dans une étude rendue publique récemment, le Québec doit composer avec un important déficit budgétaire, hérité en partie de la dernière récession, et une imposante dette publique. Les défis du ministre québécois des Finances, Raymond Bachand, dans la préparation de son prochain budget, seront donc nombreux. Quelles sont les meilleures façons de percevoir de nouvelles sources de revenus sans pour autant étouffer une reprise économique fragile?
Malgré l'apparence d'un consensus des économistes au Québec, les questions de taxation font l'objet de débats continuels au sein de la communauté scientifique internationale. Le 10 novembre dernier, l'Institute for Fiscal Studies, un institut britannique indépendant du gouvernement, rendait public un important rapport sur le sujet. Ce rapport est le fruit du travail colossal d'un comité piloté par James Mirrlees, Prix Nobel d'économie en 1996, ayant bénéficié de l'expertise de plus de 70 économistes du milieu académique provenant de nombreux pays, dont le Canada. Le Québec pourrait s'inspirer tant des recommandations que de la démarche de cette «Mirrlees Review».
Comment mieux taxer?
Il ressort de ce rapport un ensemble de recommandations portant sur tous les aspects de la fiscalité. Le comité insiste notamment sur l'importance de la progressivité de l'ensemble du système fiscal, de la simplicité de la fiscalité, et de la neutralité de la fiscalité.
En termes pratiques, ces principes militent entre autres pour une taxe sur la valeur ajoutée (comme la TVQ et la TPS chez nous) uniforme sur tous les biens et services: pas de traitement préférentiel pour l'alimentation, les livres ou les couches jetables pour bébés. Par contre, la régressivité inhérente aux taxes à la consommation doit être compensée par la progressivité de l'impôt sur le revenu. Autrement dit, en partant du principe qu'une fiscalité plus complexe entraîne nécessairement des coûts de gestion plus élevés, il n'est pas souhaitable de baisser l'impôt sur le revenu au profit d'une taxe de vente plus élevée que l'on devrait assortir d'une série d'exemptions et de crédits connexes pour la rendre acceptable. La simplicité commande le recours à une taxe de vente la plus uniforme possible combinée à un impôt sur le revenu réellement performant au chapitre de la redistribution. Ce n'est pas l'un ou l'autre, mais bien comment arrimer l'un et l'autre.
Les taxes à la consommation ont des avantages. Mais les impôts sur le revenu en ont aussi, au premier chef celui d'être le meilleur instrument pour accomplir le niveau de redistribution du revenu choisi par une société. Établir ce qu'on peut appeler dans le jargon le dosage des impôts (tax mix) optimal est donc une question éminemment complexe. Il ne s'agit pas ici de viser la moyenne de l'OCDE ou de se rapprocher de ce qui se fait dans un pays ou l'autre, mais plutôt de se demander quel système fiscal correspondrait le mieux aux caractéristiques propres de l'économie et des choix collectifs au Québec.
Aller au fond des choses
Il n'y a pas eu au Québec de réelle réflexion sur l'ensemble de la fiscalité depuis 1996. À l'époque, la Commission sur la fiscalité et le financement des services publics (présidée par Alban D'Amours) s'était penchée sur les différents aspects de la fiscalité québécoise un peu à la manière de la «Mirrlees Review». Il faut réactualiser cet exercice.
Au chapitre de la démarche, on peut tirer quelques leçons pour le Québec de l'expérience britannique récente:

- Consulter des experts internationaux en plus des experts locaux.
- Donner suffisamment de temps au comité pour étudier en profondeur les différents aspects du problème.
- Fournir au comité l'indépendance nécessaire pour s'acquitter de son mandat.
- Accepter des membres exprimant des points de vue différents sans orienter à l'avance les conclusions.

Décisions difficiles
Une commission d'étude sur la fiscalité ou, encore mieux, sur l'ensemble des questions de finances publiques, qui aurait ainsi les coudées franches, permettrait au Québec de réellement refonder ses finances publiques sur des bases solides.
Les défis que nous devons maintenant relever, notamment en raison de l'accélération du vieillissement de la population, étaient déjà bien connus et documentés il y a plus de dix ans. Mais au terme d'une décennie de croissance économique sans précédent où nous avons refusé de prendre le taureau par les cornes, nous sommes aujourd'hui forcés de prendre ces décisions difficiles dans un contexte de disette économique.
Il faut certes saluer un courage politique certain dans le premier budget Bachand, déposé au printemps dernier. Mais certaines des mesures fiscales qu'il contenait, comme une contribution santé régressive, étaient mal avisées et ont inutilement polarisé le débat. Au-delà des problèmes précis associés à l'une ou l'autre des mesures fiscales, c'est l'absence de vision d'ensemble sur l'avenir de notre fiscalité qui fait défaut.
Malheureusement, le débat sur ces décisions difficiles nous semble mal engagé. Les choix budgétaires et fiscaux auxquels le Québec est confronté soulèvent des enjeux de société trop fondamentaux pour ne pas faire l'objet d'une vaste consultation nationale, à laquelle doivent pouvoir participer pleinement tous les experts et les citoyens qui le souhaitent, peu importe leur point de vue.
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Marcelin Joanis et Patrick Richard - Professeurs au Département d'économique de l'Université de Sherbrooke


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