Le Premier ministre blessé

Chronique de Patrice Boileau

Il y a longtemps que les Québécois ne veulent plus de Jean Charest comme dirigeant politique. Le fort taux d'insatisfaction qu'ont révélé les nombreux sondages depuis plus de deux ans en témoigne. On reproche à l'homme de n'avoir aucune sensibilité envers le peuple qu'il représente. Les rares Québécois qui lui accordent encore leur confiance sont surtout des non-francophones.
Hors du Québec, au Canada, Jean Charest conserve également une certaine crédibilité. Pas étonnant qu'il cherche à multiplier les rencontres avec ses homologues des autres provinces et surtout avec Stephen Harper. La création du Conseil de la fédération en 2003 représente donc pour lui une instance de grande importance puisqu'elle lui permet d'accroître le nombre de ces réunions. Loin de l'Assemblée nationale et de ceux qui ont découvert son incapacité à s'occuper des affaires de l'État, le chef du PLQ peut alors se pavaner au milieu de ses collègues en espérant que les médias diffusent le soir au petit écran un bon topo à son sujet. L'image importe beaucoup pour Jean Charest. Voilà pourquoi celui-ci affectionne davantage les entrevues télévisées plutôt que radiodiffusées.
Il semblerait que le premier ministre du Québec adore faire le clown lors de conférences fédérale-provinciales. Décrocher le titre « du bouffon par excellence » de la rencontre représente assurément pour lui l'espoir de se refaire une virginité politique aux yeux des Québécois. S'il parvient à émerveiller les autres premiers ministres par ses pitreries et ainsi donner l'impression qu'il est aux commandes du groupe, il est fort probable que la perception médiatique sera positive. Reste que l'effet ne se propage pas dans la population québécoise : plus Jean Charest répète que chacune de ses réalisations est une « nouvelle page de l'Histoire du Québec » qu'il écrit -- véritable encyclopédie par les temps qui courent -- moins les Québécois le croient. Lorsque le premier ministre assure que, grâce à lui, le Québec profite de la nouvelle ère du « fédéralisme d'ouverture » qui s'amorce, la population reste de glace.
Ainsi, le résultat d'un sondage de la firme Léger Marketing publié dans le quotidien Le Devoir du vendredi 5 mai dernier confirme que le chef de l'État québécois a trop longtemps gouverné en vase clos. Trop souvent il a tenté des manigances qui ont convaincu que son passage au pouvoir n'avait comme objectif que de favoriser ses intérêts personnels ainsi que ceux de sa garde rapprochée. Bref : deux Québécois sur trois veulent qu'il quitte. Le jugement, humiliant, est sans équivoque.
Déjà affaibli par une grogne populaire digne de celle observée habituellement lors d'un second mandat, Jean Charest est assurément meurtri par cette dernière enquête de Léger Marketing. À l'image d'une bête blessée, l'homme sera prêt à tout essayer en désespoir de cause pour regagner l'estime des gens. Voilà qui est dangereux pour le peuple québécois. À l'aveugle, le premier ministre fédéraliste signera n'importe quoi en espérant renverser la vapeur à l'aube du prochain appel aux urnes. L'exemple de la non-entente de l'UNESCO est patent. Qui donc peut se gargariser d'avoir hérité d'une chaise à la délégation canadienne où il ne pourra qu'y faire entendre sa voix?
« Les paroles s'envolent, les écrits restent », c'est pourtant bien connu. Sans veto comme celui dont jouissent les partenaires de la fédération belge là-bas, le représentant québécois n'aura aucun pouvoir. C'est d'ailleurs ce que la journaliste de la CBC s'est empressée de préciser à l'émission The National du vendredi 6 mai dernier. On sentait la reporteure désireuse de rassurer rapidement l'auditoire de la chaîne publique nationale. L'entendre affirmer du même souffle qu'il s'agissait d'une des demandes traditionnelles du Québec laisse pantois! Pourquoi vouloir se battre depuis des années pour obtenir un accord semblable? L'entente ratifiée entre Stephen Harper et Jean Charest n'est que du vent car elle continue de dissimuler le Québec derrière le Canada sur la scène internationale.
Diminué, Jean Charest ne voit même pas que Stephen Harper se fout de lui. Le non-événement survenu au Salon rouge de l'Assemblée nationale ne vise qu'à séduire les Québécois en vue d'une élection fédérale qui pourrait survenir très bientôt. Que la scène vienne en aide ou pas au dirigeant libéral importe peu : en autant que la population morde à l'appât conservateur! À entendre hurler Mario Dumont qui y voit le signal de rouvrir la constitution, pas de doute que la pêche sera miraculeuse...
Les Québécois devraient pourtant se méfier sérieusement de Stephen Harper. Le passage de ce dernier la veille à Toronto n'a rien de rassurant. Venu y rencontrer Dalton MacGuinty, le chef de l'État canadien a refusé d'être photographié en sa compagnie et a rejeté l'invitation des médias locaux de faire un point de presse commun après l'entretien. Suite au tête-à-tête où l'impasse entre les deux hommes fut consommée, le dirigeant canadien a participé à un dîner-bénéfice au profit du Parti conservateur ontarien. Stephen Harper a alors demandé aux participants d'accueillir sur la tribune d'honneur le « prochain premier ministre de l'Ontario. » Il ne fait pas de doute que le chef du gouvernement à Ottawa est très belliqueux envers ceux qui ne lui plaisent pas. Les médias de la colline parlementaire en savent quelque chose. Quel sera son comportement s'il devait se retrouver à la tête d'un gouvernement majoritaire, face à un adversaire souverainiste à Québec? Oubliez tous les accords signés et les ententes en voie de l'être : Stephen Harper n'hésitera pas à punir les Québécois pour avoir exprimé un choix démocratique différent du sien.
L'annonce, le 2 mai dernier, d'une conférence fédérale-provinciale à l'automne afin de discuter du déséquilibre fiscal fut interprétée par Jean Charest comme une victoire! Avant même que ne débute la rencontre, le premier ministre du Québec a pavoisé devant les médias : l'affaire est dans le sac! Voilà une réaction qui trahit sa faiblesse, celle-là même que tous perçoivent à chaque fois que Jean Charest jure que tout va bien et qu'il « maintient le cap. » Probablement considérée comme l'ultime bouée de sauvetage pouvant le mener à un second mandat, le premier ministre Charest compte signer à cette réunion le premier document qu'on lui tendra. Les députés de l'Assemblée nationale doivent exiger de lui qu'il fasse sanctionner par le peuple le résultat de sa « négociation » en déclenchant une élection. Jean Charest n'a plus l'autorité morale pour mener à bien cette honteuse séance de quémandage.
Pour l'heure, c'est Dalton MacGuinty qui pourrait sauver les intérêts du Québec en torpillant le processus! Le premier ministre de l'Ontario s'oppose en effet à la majoration du montant qu'il verse présentement à Ottawa pour financer la péréquation. Il désire au contraire que revienne dans sa province quelque 23 milliards de dollars supplémentaires d'Ottawa! Irréconciliable est sa requête face à ce que concocte Stephen Harper pour entourlouper les Québécois. Probablement est-ce la vengeance du chef conservateur envers ses adversaires libéraux fédéraux, occupés à organiser une course au leadership toute ontarienne, qui le pousse à agir ainsi. Voilà un pari risqué : tourner le dos à la province qui incarne l'âme du Canada anglais et miser plutôt sur l'appui d'un peuple honni pour s'enraciner au pouvoir finira par soulever l'ire des élus conservateurs eux-mêmes.
Dalton MacGuinty ne paraît pas vouloir s'écraser prochainement devant Stephen Harper. L'Ontario, qui a longtemps été favorisée par les subsides d'Ottawa, subit maintenant les contre-coups d'une politique monétaire qui essaie de freiner la poussée inflationniste en Alberta à cause de son exploitation pétrolière. Préoccupé par le déficit laissé par l'ancienne administration conservatrice de Mike Harris, le gouvernement MacGuinty ne lâchera pas le morceau au moment de négocier un règlement sur le déséquilibre fiscal l'automne prochain. L'échec des pourparlers sera pour lui un délicieux soufflet asséné au visage du chef de l'État fédéral qui aura voulu le sacrifier pour mieux faire briller son étoile. De toute façon, le leader ontarien sait dans son for intérieur que la conférence ne sauvera pas Jean Charest qui agonise au Québec...
Patrice Boileau

Carignan, le 10 mai 2006




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