Le pays natal

Cet ouvrage de Roméo Bouchard pourrait susciter la réprobation des curés de l’intolérance et de la rectitude politique. L’auteur parle d’emblée du pays comme étant la terre natale. Exclurait-il ainsi tous ceux venus d’ailleurs, de l’immigration récente, ces dessouchés pour raisons économiques ou politiques ? Pourtant, lorsque Boucar Diouf parle avec passion de son Sénégal natal, je ne me sens pas exclu.

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Le Québec vu par les yeux de Roméo Bouchard

Cet ouvrage de Roméo Bouchard pourrait susciter la réprobation des curés de l’intolérance et de la rectitude politique. L’auteur parle d’emblée du pays comme étant la terre natale. Exclurait-il ainsi tous ceux venus d’ailleurs, de l’immigration récente, ces dessouchés pour raisons économiques ou politiques ? Pourtant, lorsque Boucar Diouf parle avec passion de son Sénégal natal, je ne me sens pas exclu.


Mais basta de balivernes ! Pur émerveillement que de lire Bouchard nous raconter son enfance paysanne au Lac-Saint-Jean, dans les années quarante, entre maison, grange et étable en bois. Puis sa transplantation des années plus tard, le 5 mai 1975, en pleine révolution contre-culturelle « sexe-drogue-musique et Québec libre », à Saint-Germain-de-Kamouraska, « ce pays fertile, baigné par la douceur du fleuve ».


Pendant quarante ans, il va s’implanter, se baigner dans la culture locale, connaître qui sont ces gens du pays qu’il côtoie jusqu’à les aimer et les admirer.


On apprend comment s’est constituée la paroisse de Saint-Germain-de-Kamouraska, dans le plus pur esprit de rébellion face aux pouvoirs locaux, esprit qui s’est transmis de génération en génération, et a forgé le caractère de ces « gens fiers, volontaires et indépendants, capables de se prendre en charge et d’innover ».


Il y a d’abord Isidore, celui par qui tout a commencé. Il a suffi d’une pomme provenant des pommiers de son jardin et offerte par Isidore au nouvel occupant de cette terre de trois cents arpents pour convaincre Roméo Bouchard qu’il venait de découvrir le paradis terrestre, là où vivait « une race de monde qui me faisait parfois penser au monde légendaire de la télésérie L’Héritage de Victor-Lévy Beaulieu ». Cet Isidore avait été hospitalisé après s’être gelé un pied après un accident de tracteur et il risquait l’amputation de sa jambe. Alors il s’était enfui de l’hôpital et s’était enlevé lui-même « à froid, avec un 40 onces de De Kuyper comme seul anesthésiant, quatre orteils et les chairs gangrenées » de son pied.


Cet homme libre, fort comme un bœuf, trapu de corps, dont la voix en imposait, capable de résister à tous les revers, « compréhensif envers les pauvres et sans pitié pour les tricheurs », me fait penser au sculpteur Armand Vaillancourt. C’est de cet homme simple qu’il a pris goût à la vie du sol, apprenant tout de l’agriculture, de la rotation et de la diversité des cultures, de l’autosuffisance, du cycle des céréales, du respect des animaux, développant « une production et sa conservation pour faire la boucle de l’année », sans nécessité d’engrais chimique, pratiquant l’agriculture biologique avant l’heure.


Puis il y a la famille Moreau, dont le fils est un chasseur et un trappeur invétéré. Mais aujourd’hui, les peaux ne trouvent plus preneurs. Même chose avec l’anguille que plus personne ne veut fumer ni transformer sur place, préférant l’exporter à un prix dérisoire au Japon et en Russie.


Malheureusement, ces modèles de fermes traditionnelles et familiales se transforment peu à peu au profit des gros producteurs. L’église, avec son orgue Casavant, autour de laquelle tout gravitait, est en train d’être transformée en centre d’escalade. L’auteur assiste impuissant à ce démembrement. « Les Moreau sont les derniers témoins de cette vie et de cette culture paysannes », déplore-t-il. Des soixante-cinq fermes laitières que comptait Saint-Germain en 1938, il n’en reste plus que quatre. La grande famille du village où tout le monde se connaissait et s’entraidait est disparue avec l’exode des jeunes vers les grands centres urbains.


Cet ouvrage nous présente une quinzaine de ces « personnages plus grands que nature », des hommes et des femmes « qui ne passent pas leurs nuits à se demander qui ils sont [...] qui se sont fait seuls, à force de bras et d’intelligence ». Une espèce en voie de disparition tout comme les paysages, les lieux sacrés et le souvenir des gens qui les ont transformés. Avant que tout ce décor bucolique, avec ses vieilles granges, ses maisons et bâtiments de bois, son clocher, ne soit emporté « pour faciliter le passage des grosses machines ».



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