Le mutant

Charest en fin de régime - L'art de ne rien faire

Il y a dix ans, Jean Charest prenait la direction du Parti libéral du Québec. Dix années au cours desquelles il a dû composer avec un déficit de communication avec les Québécois. Depuis quelques mois, ô surprise, ce déficit s'atténue. Ce n'est pas encore l'amour fou, et ce ne le sera probablement jamais. Mais il y a désormais plus de respect à son endroit.

Le déficit de communication est ce qui a marqué le plus Jean Charest à son arrivée sur la scène politique québécoise. Orateur exceptionnel, au moins aussi bon que son adversaire péquiste, Lucien Bouchard, il a toujours souffert d'un doute persistant quant à la sincérité de son engagement. Malgré le titre de son autobiographie, J'ai choisi le Québec, tous avaient compris en 1998 que le Québec était un second choix, fait à son corps défendant, poussé par ses adversaires libéraux à Ottawa impatients de le voir partir pour aller jouer les sauveurs du pays dans l'autre capitale.
La route parcourue par Jean Charest ne fut jamais morne. Il y eut d'abord les années d'opposition qui ressemblèrent parfois à une pénible traversée du désert. À cause de ce doute, la greffe avec une très large partie de l'électorat francophone ne prenait pas, au point que les électeurs qui se détournaient du Parti québécois optaient pour l'Action démocratique plutôt que pour le Parti libéral. Féroce batailleur, il réussit néanmoins à gagner l'élection de 2003. Une victoire qu'il ne méritait pas, dut-on conclure par la suite en constatant son degré d'impréparation à assumer le pouvoir.
Ce premier mandat fut une accumulation d'erreurs et de confrontations inutiles: modification de l'article 45 du Code du travail sur la sous-traitance, subventions aux écoles juives, construction de la centrale au gaz du Suroît, rétrocession au privé d'une partie du parc du mont Orford. De reculs en reculs, cela conduisit à l'élection catastrophique de mars 2007 qui lui donna un gouvernement minoritaire.
Pour qui se souvient du Jean Charest de ce mois de mars 2007, c'est un politicien transformé à qui les habits de premier ministre vont bien que l'on voit désormais évoluer. Il dit aimer son métier, et cela se sent. Depuis quelques mois, les Québécois sont d'ailleurs davantage disposés à lui faire confiance personnellement. Dans le dernier sondage Léger Marketing-Le Devoir, il a rejoint (enfin!) Pauline Marois, comme meilleur premier ministre. Son parti distance le Parti québécois dans les intentions de vote.
Le succès actuel de Jean Charest pourrait être vu comme la résultante de la faiblesse de l'Action démocratique. Cela est vrai, mais en partie seulement. Le parcours du premier ministre est sans faute, ou presque, depuis ces derniers mois. Il ne peut faire d'erreurs parce qu'il ne prend pas de décision, ironisent ses adversaires en rappelant tous les rapports des multiples commissions d'enquête «tablettés» aussitôt reçus. C'est là une mauvaise perception. En mettant de côté les rapports Castonguay et Montmarquette, il a fait des choix. Il a décidé de ne pas accentuer davantage le virage vers le privé en santé et vers l'augmentation des tarifs que plusieurs le pressaient de faire.
Premier ministre d'un gouvernement minoritaire, Jean Charest s'est transformé en politicien de centre. Oublié le politicien de droite qu'il fut à une autre époque. Il est économe de décisions et de projets, ce qui semble apprécié des électeurs, mais il est cependant difficile de mesurer la profondeur de ses nouvelles convictions. Premier ministre d'un gouvernement majoritaire, aurait-il accordé le même traitement aux rapports Castonguay et Montmarquette? Son programme inclinerait-il alors au centre droite si la liberté lui était donnée de le faire? Probablement est-ce parce qu'ils se posent ces questions que les Québécois se gardent une petite gêne avant de lui accorder un appui sans réserves. Ils ont encore besoin d'être rassurés.
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bdescoteaux@ledevoir.com


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