MÉDECINS AU PRIVÉ

Le ministre Barrette n’écarte pas une intervention

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La peur du gendarme sera-t-elle le commencement de la sagesse ?

Sommé d’agir pour contrer l’exode des médecins vers le privé qui atteint de nouveaux sommets depuis le début de l’année, le cabinet du ministre de la Santé évoque le recours à la Loi sur l’assurance maladie qui donne le pouvoir au ministre Gaétan Barrette de suspendre temporairement le droit des médecins de quitter le régime public.

« Le ministre assure un suivi continu dans ce dossier, répond l’attachée politique aux communications du cabinet du ministre, Marie-Ève Morneau, dans une réponse officielle qu’elle a fait parvenir au Devoir par courriel mardi. La Loi sur l’assurance maladie contient des dispositions permettant au ministre d’agir pour assurer l’accessibilité et la gratuité des services, soit dans une région ou un domaine d’activité. Le ministre peut, à toutes fins utiles, forcer les médecins non participants à agir comme des médecins désengagés. »

Le ministre n’a pas voulu accorder d’entrevue au Devoir sur le départ des médecins vers le privé. Questionnée sur les intentions du ministre d’utiliser ou non cette disposition dans la loi, Mme Morneau reste vague, sans toutefois rejeter l’option. « Cette disposition est prévue à la loi. S’il envisage de l’utiliser, il [le ministre] avisera en temps et lieu. »

En janvier dernier, l’attachée de presse du ministre, Joanne Beauvais, évoquait déjà la Loi sur l’assurance maladie qui allait donner au ministre la latitude nécessaire si la situation venait à l’exiger. Mais elle ajoutait que le ministre avait « confiance que les médecins choisir[aient] de mettre les patients au coeur de leur décision ». Cette ligne de presse avait disparu du discours officiel mardi.

C’est que la situation a évolué rapidement et les prévisions les plus sombres de plusieurs analystes et médecins se sont avérées, révélait Le Devoir mardi. Selon les dernières données de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) comptabilisées par Le Devoir, 51 médecins ont choisi de quitter le régime public depuis le 1er janvier 2015, dont 7 spécialistes et 44 médecins de famille.

Au cabinet du ministre, on précise qu’en date du 17 juillet, c’est un total de 346 médecins qui exercent hors du régime public sur un total de plus de 19 000 médecins, ce qui représente 1,8 % des médecins.

Sommé d’agir

Cette situation exige une action rapide, estime l’ancien ministre de la Santé Réjean Hébert. Celui-ci confirme qu’il avait lui-même, dans le gouvernement Marois, rédigé un décret pour « geler » le mouvement de médecins du public vers le privé. « On n’a pas eu besoin [de le mettre en application] parce qu’il n’y avait pas un mouvement significatif de médecins vers le privé, mais on s’était prémuni de la disposition au cas où », explique le Dr Hébert en entrevue.

Le départ de 44 omnipraticiens en moins de six mois, ça représente, justement, un « mouvement significatif » qui nécessite une intervention, selon lui. « Ça m’inquiéterait beaucoup [à la place du ministre], alors je pense que nous [au PQ], nous serions intervenus. »

La députée de Taillon et porte-parole officielle de l’opposition en matière de santé, Diane Lamarre, est d’accord avec lui. « Si le ministre a le pouvoir de suspendre pour une période déterminée [le mouvement du public vers le privé], je pense qu’il aurait intérêt à bien regarder les choses. Appliquons l’article de la loi et on va s’assurer qu’on n’aura pas d’hémorragie. »

Car elle craint que le départ d’un nombre record de médecins vers le privé cette année n’ait un effet d’entraînement. « Quand les médecins quittent, très souvent, pour financer leur clinique privée, il y a un besoin de créer une certaine attractivité auprès de leurs collègues pour diminuer les frais fixes de la clinique. Donc, souvent, ça va attirer d’autres médecins vers le privé. »

Comme plusieurs, Diane Lamarre associe cette vague de départs vers le privé au projet de loi 20 et à la « façon irrespectueuse » avec laquelle le ministre a traité les médecins. Ce qu’elle déplore surtout, c’est qu’au final, ce sont encore les patients qui écopent. « Si chacun de ces médecins-là avait 1000 patients, on se retrouve avec 50 000 Québécois qui ont le choix d’aller au privé ou qui se retrouvent orphelins. Ça fait beaucoup de Québécois qui n’ont pas accès à un médecin de famille. »

À défaut d’agir sur le plan législatif, le ministre pourrait à tout le moins intervenir pour « redonner confiance » aux médecins dans le système public, affirme-t-elle. « On a besoin de tous les médecins. On a rehaussé les cohortes en médecine, on a besoin de ces professionnels-là et les Québécois ont investi dans la formation de ces médecins. C’est donc une perte pour la population, c’est certain, mais une perte également pour l’accès équitable à notre système de santé. »


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