L’industrie du sexe ne s’arrête pas

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Pauvreté et prostitution vont de pair


Sans revenus ni compensation financière depuis la fermeture des salons de massage et des bars de danseuses, plusieurs femmes qui œuvrent dans l’industrie du sexe optent pour le télétravail.


Si certaines continuent de travailler dans un contexte plus informel — avec des clients réguliers, par exemple —, « la vaste majorité a cessé de travailler ou travaille avec des méthodes en ligne ou par téléphone qui n’impliquent pas de contact physique en personne », constate la directrice générale de l’organisme Chez Stella, Sandra Wesley.


« Ce ne sont pas tous les clients que ça intéresse ni toutes les travailleuses du sexe qui ont les moyens technologiques pour travailler en ligne ou par téléphone, mais c’est une option que certaines personnes explorent. Et évidemment, il y a des clients qui sont pris à la maison, qui ne peuvent pas ou ne veulent pas sortir et qui cherchent de nouvelles façons d’avoir des contacts intimes. Les travailleuses du sexe s’adaptent toujours au marché et sont très créatives ! »


Selon Mme Wesley, il n’y a pas nécessairement une augmentation de la demande, mais un déplacement. « Je pense qu’il y a un certain équilibre, car pour chaque nouveau client qui cherche des services en ligne, il y a un client qui y a régulièrement accès mais qui est pris à la maison avec toute sa famille et qui ne peut pas aller voir sa camgirl préférée. »


Pauvreté


De façon générale, la fermeture des commerces et les mesures de confinement entraînent une perte de revenus « catastrophique » pour les gens de l’industrie du sexe, constate Sandra Wesley.


Bien sûr, note-t-elle, il y a une grande diversité dans le milieu et certaines peuvent être plus à l’aise financièrement. « Mais pour la majorité des travailleuses du sexe qui vivent dans la pauvreté ou très proche de la pauvreté, on voit les effets, notamment pour les femmes dans la rue, qui n’ont plus de clients et qui se retrouvent dans des situations désespérées. »


Plusieurs femmes n’ont pas de bail. Elles louent des chambres de façon informelle ou paient à la journée des chambres d’hôtel, ce qui ajoute à leur précarité, affirme Mme Wesley. « Dès qu’elles n’ont plus de revenus, ces femmes-là se retrouvent à la rue, alors le délai annoncé par Québec pour les évictions, ça n’aide pas nécessairement les travailleuses du sexe en ce moment. »



Pour chaque nouveau client qui cherche des services en ligne, il y a un client qui y a régulièrement accès mais qui est pris à la maison avec toute sa famille et qui ne peut pas aller voir sa camgirl préférée




Sandra Wesley note par ailleurs que, dans un contexte d’appauvrissement généralisé de la société, des femmes qui n’étaient pas dans cette industrie mais qui ont perdu leur travail vont davantage considérer ce travail informel. D’autres, qui avaient réussi à sortir de ce milieu, vont y revenir.


« On ne le voit pas encore de façon précise, mais quand il y a des récessions économiques ou que des femmes se retrouvent en position difficile financièrement, c’est toujours comme ça : certaines vont considérer d’échanger des services sexuels. »


Prêts à payer plus cher


Pour celles qui continuent à travailler malgré les consignes d’isolement, la situation est encore plus difficile, constate Jennie-Laure Sully, organisatrice communautaire à la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES).


« La situation actuelle vient juste exacerber les traumas que les femmes vivaient déjà dans l’industrie, affirme Jennie-Laure Sully. Des femmes nous disent qu’en pleine pandémie, il y a des proxénètes qui tentent de les forcer à continuer à avoir des contacts avec des clients qui sont prêts à payer plus cher, sans prendre conscience de la gravité de la situation. Les proxénètes disent : j’ai un client propre-propre et il est riche, il n’y a aucun risque qu’il t’infecte avec quoi que ce soit. Alors, les femmes sont tentées, parce que 500 $ en une heure, elles ne peuvent pas laisser passer ça. »


Jennie-Laure Sully soutient que cette industrie est déjà d’une grande violence pour les femmes qui prennent des risques au quotidien. « C’est déjà dangereux d’être dans l’industrie du sexe, notamment pour les infections transmissibles sexuellement, et les femmes trouvent ça déjà assez compliqué comme ça de faire porter le condom à certains hommes, mais là, c’est transmis par la proximité. Ça va être quoi, la mesure de protection ? »


Minimiser les risques


À l’organisme Chez Stella, Sandra Wesley estime que les gens de l’industrie qui continuent de travailler prennent des précautions. « On reste des expertes du “sécurisexe”. Ce sont des compétences qui sont transférables aussi à d’autres types d’infection. »


À travers le monde, on commence à développer des guides pour trouver des façons d’avoir des relations sexuelles en minimisant les risques, explique-t-elle. « On tente de voir si ça se transmet dans le sperme ou non et quelles sont les précautions à prendre si quelqu’un est obligé de travailler dans un contexte de pandémie. »



Les proxénètes disent : j’ai un client propre-propre et il est riche, il n’y a aucun risque qu’il t’infecte avec quoi que ce soit. Alors les femmes sont tentées parce que 500 $ en une heure, elles ne peuvent pas laisser passer ça.




Comme la majorité des femmes qui travaillent dans l’industrie du sexe refusent de s’identifier par crainte de représailles, un programme d’aide gouvernemental spécifique serait difficilement applicable, explique Sandra Wesley, qui demande plutôt une « aide gouvernementale universelle », pour que toutes les personnes qui sont dans des situations informelles puissent passer à travers la crise.


De son côté, Jennie-Laure Sully, de la CLES, se réjouit de la fermeture temporaire des bars de danseuses et des salons de massage. Mais, consciente que cela peut entraîner une plus grande précarité pour certaines femmes, elle demande que ces fermetures soient accompagnées de mesures sociales et d’un plus grand soutien financier pour aider les femmes à s’engager dans un processus de sortie. « Les femmes qui viennent chez nous ne se considèrent pas comme des travailleuses, mais comme des victimes. Elles ne veulent pas être indemnisées pour ensuite retourner au “travail”. Pour elles, ce n’est pas un travail, c’est une violence. »




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