Un refuge imparfait pour les réfugiés

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Le réseau scolaire débordé par la crise migratoire

Avec les nouvelles vagues de réfugiés qui arrivent au Québec, de plus en plus d’enseignants doivent intégrer dans leurs classes ordinaires des enfants traumatisés qui ne parlent pas la langue et qui n’ont pas nécessairement été à l’école dans leur pays d’origine, mais auxquels on ne peut offrir tous les services dont ils ont besoin.


« Comme enseignante, j’ai l’impression que je n’en fais pas assez, que je ne peux pas leur donner tout ce dont ils ont besoin. Par manque de temps. Par manque de ressource. Et par manque de formation. Je n’ai pas les outils de base pour leur enseigner. Je fais de mon mieux, mais je me sens impuissante », soupire Marie-Josée, qui enseigne dans une école primaire sur la Rive-Nord de Montréal.


Marie-Josée enseigne dans une classe ordinaire. Elle n’a jamais fait de francisation ou de classe d’accueil. Mais elle doit s’adapter, car depuis quelques années, elle reçoit de plus en plus d’enfants nouvellement arrivés au Québec.


Les commissions scolaires ont le choix d’ouvrir des classes d’accueil ou d’intégrer les enfants en classe ordinaire — en fonction de son âge et non de son niveau réel — avec un soutien ponctuel en francisation, à raison de quelques heures par semaine.


Selon les données du ministère de l’Éducation, le nombre d’élèves en classe d’accueil est passé d’environ 7500 à 9500 entre 2012 et 2017. Le nombre d’élèves ayant des besoins de francisation ponctuels et intégrés dans les classes ordinaires a pour sa part pratiquement triplé, passant de près de 2150 à plus de 6000 élèves.

 


 


« La durée des services est déterminée en fonction des besoins des élèves, jusqu’à ce que ces derniers soient en mesure de suivre normalement l’enseignement en français », précise le porte-parole du ministère, Bryan St-Louis.


Mais quand Marie-Josée regarde le peu de services en francisation offerts à ses élèves nouvellement arrivés au Québec, elle n’est pas convaincue. « Il y a une dame qui vient les chercher deux ou trois heures par semaine. C’est loin d’être assez. On n’a même pas assez de ressources pour assurer un suivi. Et quand de nouveaux élèves arrivent en cours d’année, on coupe sur le temps accordé aux autres… »


Manque de matériel


Les professeurs qui intègrent ces enfants n’ont pas de matériel ni de programme spécifique pour les guider. Ils ne sont pas informés de la situation afin qu’ils puissent se préparer, explique Marie-Josée.


« On l’apprend le jour même [que ce sont des enfants qui viennent d’immigrer au Québec]. On les reconnaît tout de suite : quand je commence à parler français et que j’écris au tableau, ils me regardent avec de grands yeux et me demandent : “Do you speak english ?” »


Marie-Josée a vu des surdoués des mathématiques pour lesquels doit faire du matériel sur mesure afin qu’il n’y ait pas trop de texte, mais également des enfants qui n’ont jamais été scolarisés et auxquels elle doit apprendre à tenir un crayon. Dans tous les cas, elle fait le tour de ses collègues pour trouver du matériel qu’elle peut adapter selon le profil de chaque élève et fait des programmes particuliers pour chacun d’entre eux.


« Ça implique beaucoup de travail, en plus de tout ce que je dois faire avec mes élèves habituels, ceux qui ont des difficultés d’apprentissage ou de comportement… Disons que ça vient encore alourdir le poids sur nos épaules », soupire Marie-Josée.


Mutisme


Dans les classes d’accueil, les enseignants ont l’habitude de travailler avec ces jeunes, mais ce n’est pas toujours facile non plus.


« Le premier mois d’école, avec mes élèves, mon objectif, c’est qu’ils se sentent en sécurité, de leur faire comprendre que l’école, ça fait partie de la vie d’enfant, raconte une enseignante en classe d’accueil sur la Rive-Sud de Montréal. Quand je franchis cette étape et que je les vois arriver avec un sourire le matin, c’est déjà un grand pas de fait. »


Certains enfants vont se disputer, d’autres vont se refermer sur eux-mêmes, note Sébastien (nom fictif), qui enseigne dans une classe d’accueil de Montréal. « Plusieurs enfants vont s’enfermer dans un mutisme volontaire. Ça peut durer plusieurs mois. Il n’y a aucun service spécifique à l’accueil pour ça. Et les psychologues ne sont pas très présents dans les écoles. »


Questionnée à cet effet, la présidente de la CSDM, Catherine Harel Bourdon, avoue que tout n’est pas parfait. « On fait du mieux qu’on peut, ça, c’est sur, répond-elle. Est-ce qu’on pourrait faire mieux ? Sûrement. »


Elle-même a entendu des histoires d’enfants traumatisés qui se cachent sous le bureau lorsqu’ils entendent le bruit d’un hélicoptère. « Il y a plein de choses qui se sont passées dans leur pays d’origine et dans leur parcours migratoire. On essaie de les accompagner le mieux possible. On ajoute des psychoéducateurs et des techniciens en éducation spécialisée. On a des psychologues scolaires à la CSDM pour des cas plus lourds, mais il faut également travailler avec la santé et les services sociaux. »


Ainsi, si un enseignant repère un enfant qui a de toute évidence besoin de services psychologiques, il sera confié aux services de la commission scolaire ou au réseau de santé, mais les délais seront longs, convient Mme Harel Bourdon.


Pressions


Des enseignants dénoncent également la pression qu’ils subissent pour faire passer leurs élèves de l’accueil dans les classes ordinaires même s’ils ne sont pas prêts afin de faire de la place pour ceux fraîchement débarqués. Il faut du « roulement », notent-ils, car il n’y a souvent pas de place dans les écoles qui débordent pour ouvrir de nouvelles classes d’accueil ni même d’enseignants disponibles dans un contexte de pénurie.


« Tous les moyens sont bons pour faire passer les élèves dans les classes ordinaires, déplore Sébastien. On pellette en avant le problème et ce sont les professeurs des classes ordinaires qui écopent. On tient pour acquis qu’ils vont amener ces jeunes vers la réussite et que ça va se faire par la magie de Disney. »


Dans les syndicats de l’enseignement, c’est une inquiétude grandissante. « On reçoit de plus en plus d’appels de professeurs désemparés qui disent que l’intégration se fait de façon chaotique dans leur milieu. Et ce que l’on constate souvent, c’est que la structure est là, mais qu’il n’y a pas d’argent pour la soutenir », résume Sylvie Théberge, vice-présidente à la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE).


> La suite sur Le Devoir.



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