Chemin Roxham : l’enfumage juridique du Canada (suite)

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Chronique de Pierre Cloutier

Introduction


1. Dans des notes sur les dossiers chauds, voici comment s’exprime le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes du Parlement canadien, le 19 mai 2022 :[1]


L’ASFC et la Gendarmerie royale du Canada (GRC) se partagent le mandat d’assurer la sécurité et l’intégrité des frontières. L’ASFC est responsable de l’exécution de la loi dans les points d’entrée désignés au Canada, et la GRC, de celle entre les points d’entrée. La GRC escorte les personnes interceptées alors qu’elles tentaient de franchir la frontière entre les points d’entrée au point d’entrée de l’ASFC le plus près. Le point d’entrée le plus près du chemin Roxham, près de Montréal, est celui.


(Je souligne)


2. Voilà exactement où se situe la manipulation du gouvernement canadien.


3. Quand les migrants arrivent par le territoire terrestre américain au chemin Roxham, tant qu’ils ne sont pas en territoire canadien, le Canada n’a aucune obligation internationale envers eux.


[1] Notes sur les dossiers chauds : Comité permanent de la sécurité publique et nationale — Budget supplémentaire des dépenses (C) 2021 à 2022 et Budget principal des dépenses 2022 à 2023 (19 mai 2022)


I — Obligation imposée aux demandeurs d’asile


4. En vertu de l’article 27 (2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS 2002-22, toute personne qui cherche à entrer au Canada par un point autre qu’un point d’entrée (officiel) doit se présenter au point d’entrée le plus proche.


Point d’entrée le plus proche


27 (2) Sauf disposition contraire du présent règlement, si la personne cherche à entrer au Canada à un point autre qu’un point d’entrée, elle doit se présenter au point d’entrée le plus proche.


(Je souligne)


5. Cette disposition est claire : toute personne qui cherche à entrer clandestinement ou ouvertement comme le chemin Roxham (qui n’est pas un point d’entrée) doit se présenter au point d’entrée le plus proche, en l’occurrence, le point d’entrée de Saint-Bernard-de-Lacolle.


6. Tel est l’état du droit au Canada et les policiers de la GRC ont le devoir de faire respecter la loi en vertu de l’article 18 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, dans leurs fonctions de maintien de la paix, de procéder à l’arrestation des criminels et des contrevenants, mais aussi de prévenir les crimes et les infractions aux lois fédérales.


7. Ce pouvoir d’arrestation n’existe que si une personne est sur le territoire canadien, mais le pouvoir de prévention des contraventions peut et doit s’exercer avant même que la personne soit entrée sur le territoire canadien.


II — La réalité des choses


8. Au chemin Roxham voici comment les choses se passent.


9 — Les migrants du chemin Roxham ne sont pas des clandestins, mais des personnes qui arrivent par un chemin qui est connu publiquement par le bouche-à-oreille, par les réseaux sociaux internationaux et par les passeurs professionnels et les organisations militantes qui les aident, depuis au moins 2016-2017.


10 — S’ils arrivent par le chemin Roxham c’est qu’ils savent ou raisonnablement devraient savoir qu’ils ne rempliront pas les conditions exigées par les 4 exceptions prévues à l’entente Canada–États-Unis sur les pays tiers sûrs (parenté au Canada, enfants mineurs non accompagnés, documents officiels du Canada et permission spéciale) et qu’ils seront retournés aux États-Unis pour y faire leur demande d’asile, car ce pays a été reconnu comme un pays tiers sûr à cet effet.


11. S’ils arrivent aussi par le chemin Roxham c’est qu’ils savent aussi ou devraient raisonnablement savoir que le Canada ne les accueillera pas durement comme d’autres pays le font.


12. À l’entrée du chemin Roxham, le ministre de la Sécurité publique a fait installer un panneau sur lequel il est indiqué clairement qu’il est ILLÉGAL de passer la frontière ici ou ailleurs qu’à un point d’entrée et qu’ils seront arrêtés et placés en détention s’ils franchissent la frontière.



13 — Donc, on peut conclure raisonnablement que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile considère qu’il est illégal et non pas simplement « irrégulier » de traverser la frontière et il a tout à fait raison puisqu’une personne qui traverse la frontière commet une infraction à l’article 124 1) a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, punissable par une peine maximale de 2 ans d’emprisonnement.


14 — À côté de ce panneau, le ministre d’Immigration. Réfugiés et Citoyenneté a fait installer un autre panneau qui est un avis concernant les demandes d’asile.


15 — Cependant, ce panneau ne contient aucune information essentielle concernant l’obligation des demandeurs d’asile de se présenter au point d’entrée de Lacolle, conformément à l’article 27 (20 du RIPR. Voici ce panneau.



15. Il serait beaucoup respectueux de la loi et pour les demandeurs d’asile si le panneau disait :


Ce chemin est fermé. Pour faire une demande d’asile, vous devez vous présenter au poste d’entrée de Saint-Bernard de -Lacolle, conformément à l’article 27 [2] du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.


III — Immunité des demandeurs d’asile


16. En vertu de l’article 133 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiésL.C. 2001, ch. 27, les demandeurs d’asile bénéficient d’une amnistie partielle tant que leur demande d’asile n’a pas été réglée et permanente si leur statut a été accepté :


133 L’auteur d’une demande d’asile ne peut, tant qu’il n’est statué sur sa demande, ni une fois que l’asile lui est conféré, être accusé d’une infraction visée à l’article 122, à l’alinéa 124 [1] a) ou à l’article 127 de la présente loi et à l’article 57, à l’alinéa 340c) ou aux articles 354, 366, 368, 374 ou 403 du Code criminel, dès lors qu’il est arrivé directement ou indirectement au Canada du pays duquel il cherche à être protégé et à la condition que l’infraction ait été commise à l’égard de son arrivée au Canada.


(Je souligne)


17. Les demandeurs d’asile qui arrivent par le chemin Roxham bénéficient d’une amnistie partielle, généralement, d’au moins 2 ou 3 ans avant que la Section des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés (la CIPR) se penche sur leur dossier et même plus si on tient compte des délais d’appel et en révisions judiciaires possibles devant les cours fédérales (1re instance) et (appel) et à la Cour suprême du Canada, en plus des demandes pour des raisons humanitaires, un processus qui peut prendre en tout de nombreuses années.


18. On peut conclure raisonnablement que l’arrestation des demandeurs d’asile qui cherchent à entrer au Canada devant leurs yeux n’est ni nécessaire ni utile ni dans l’intérêt public dans un contexte où les policiers de la GRC peuvent utiliser leur pouvoir de prévention des infractions à la loi en les empêchant de les faire entrer par ce point illégal d’entrée et en les avisant formellement de se présenter obligatoirement au poste d’entrée de Lacolle, comme l’exige la loi canadienne.


20. Enfin, comment peut-on justifier la vérification de sécurité voire la détention de demandeurs d’asile si on peut les empêcher d’entrer au Canada de manière illégale ?


19. D’autre part, comment justifier l’arrestation de personnes qui bénéficient d’une amnistie temporaire et permanente et qu’on ne peut pas accuser d’entrée illégale dans un délai raisonnable ? Et si leur demande est irrecevable quel est l’intérêt public de les accuser et de les envoyer en prison au lieu de les renvoyer aux États-Unis, un tiers pays sûr, en vertu de l’entente Canada–États-Unis ?


20. Enfin, comment peut-on justifier la vérification de sécurité voire la détention de demandeurs d’asile si on peut les empêcher d’entrer au Canada de manière illégale ? En effet, tant que certaines de ces personnes ne sont pas en territoire canadien, comment peuvent-ils menacer la sécurité des Canadiens ?


21. Il n’est pas déraisonnable d’affirmer dans un tel contexte que l’arrestation n’a comme utilité pratique que de permettre à des demandeurs d’asile qui ne pourraient se qualifier légalement en se présentant au point d’entrée de Lacolle, d’entrer sur le territoire canadien et de leur faire profiter ainsi la protection du Canada en vertu des conventions internationales et de la largesse des lois fédérales et québécoises.


22. En adoptant cette stratégie, on demande aux policiers de la GRC de se transformer en « chauffeurs d’autobus » pour amener sur le territoire canadien des demandeurs d’asile entrés illégalement à un agent de l’Agence de surveillance des frontières du Canada (ASFC) pour vérifier si leur demande d’asile est recevable en vertu de l’article 100.1 de la LIPR.


23. On peut ainsi conclure raisonnablement que les policiers de la GRC sont instrumentalisés par le pouvoir politique pour les empêcher d’exercer leur pouvoir de prévention des infractions tout en faisant respecter les dispositions de l’article 27 (2) du RIPR.


IV — Inégalité de traitement et article 15 de la Charte canadienne


24. Cette stratégie improductive et coûteuse de la part du gouvernement canadien a aussi pour conséquence de créer une inégalité de traitement qui a des effets préjudiciables sur les demandeurs d’asile « légaux » qui se présentent au point d’entrée de Saint-Bernard-de-Lacolle. Voici pourquoi.


25. L’entente Canada–États-Unis sur les tiers pays sûrs, incorporée dans le droit canadien en vertu des articles 159.1 à 159.7 et des articles 159.8. 159.9 et 159.91 du RIPR, exige des demandeurs d’asile « légaux » qu’ils satisfassent à des critères de recevabilité plus exigeants que ceux qui entrent illégalement par le chemin Roxham.


26. La règle générale prévue à l’article 159 du RIPR prévoit que les demandeurs d’asile qui entrent par la frontière terrestre américaine doivent être retournés aux États-Unis pour y faire leur demande d’asile à moins qu’ils satisfassent à 4 exceptions (parenté au Canada, mineur non accompagné, documents officiels et permission spéciale).


Plus de 100,000 demandeurs d’asile illégaux sont entrés au Québec entre 2017 et 2022.


27. Si ces personnes remplissent ces conditions (article 159.5 du RIPR), ils devront subit un 2e test pour vérifier s’ils remplissent les conditions prévues à l’article 101 de la LIPR, grosso modo s’ils n’ont pas fait une demande d’asile ailleurs ou s’ils représentent un risque de sécurité pour le Canada.


28. Si leur demande d’asile est transmise à la Section des réfugiés de la Commission de l’immigration et des réfugiés et qu’ils sont refusés, ils n’ont pas le droit d’appel à la section d’appel.


29. Les demandeurs d’asile illégaux eux n’ont pas cette double contrainte : ils n’ont qu’un test à passer et ils ont un droit d’appel.


30. Conclusion : le Canada viole sa propre loi, encourage le vice et punit la vertu. Plus de 100,000 demandeurs d’asile illégaux sont entrés au Québec entre 2017 et 2022. Et ça continue. Il y une fuite d’eau dans le sous-marin (dans le compartiment québécois) et le commandant canadien refuse de fermer la brèche sous prétexte que l’eau va s’infiltrer ailleurs.

 




Première partie de l’article