LE SOLEIL - ANALYSE

Le Kosovo donne les clefs de la création d'un État

Le oui probable du Canada au Kosovo lui sera sûrement rappelé lorsqu'il s'agira du Québec.

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DUI - Référendum - Kosovo (17 février 2008), Soudan (janvier 2011)

Le nouveau drapeau déployé par des Kosovars de Pristina. (Photothèque Le Soleil)

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Le monde compte désormais un 194e État souverain, le Kosovo, qui est apparu le 17 février 2008. Il est important d'examiner les circonstances entourant cet événement et les leçons à retenir pour le Québec. La pratique des États existants est au coeur de l'évolution du droit international relatif à la genèse et à la reconnaissance des nouveaux États.
La séquence des événements essentiels dans ce cas précis a été la suivante :
1. une déclaration unilatérale d'indépendance émanant du Parlement du Kosovo;
2. le rejet de cette déclaration par l'État prédécesseur, la Serbie, qui l'a qualifiée d'illégale;
3. la reconnaissance du nouvel État par les principaux États occidentaux malgré l'opposition réitérée de l'État prédécesseur.
On peut présumer que les autorités de la Serbie sont les plus compétentes pour évaluer la légalité de la déclaration d'indépendance kosovare eu égard au droit serbe. Il est toutefois évident que la communauté internationale ne considère pas que le droit de l'État prédécesseur soit déterminant en la matière, pas plus que l'évaluation que peut faire l'État prédécesseur du droit international. Somme toute, le poids de l'État prédécesseur et de son système juridique paraît relatif; il doit céder devant celui de la communauté internationale, qui est représentée par différents acteurs.
Appréciation souveraine
La décision de reconnaître un nouvel État est d'ordre politique et relève de l'appréciation souveraine de chaque État. Il n'existe aucune obligation juridique de reconnaître un nouvel État. Par ailleurs, la reconnaissance ne crée pas l'État; elle lui facilite l'existence en la constatant. Un État souverain peut exister dans les faits sans être reconnu. La reconnaissance confère de plus importants effets juridiques à son existence en faisant du nouvel État un membre à part entière de la communauté internationale.
La création d'un État est d'abord un fait politique. Ce fait est tributaire du principe de l'effectivité, c'est-à-dire du contrôle effectif du territoire par les autorités du nouvel État. Dans le cas du Kosovo, le contrôle effectif a été obtenu par le soutien actif de la communauté internationale, d'abord par les bombardements de l'OTAN de 1999 qui ont conduit au retrait des troupes serbes et ensuite par l'intervention politique approfondie de l'Union européenne, qui a notamment cherché à protéger les droits de la minorité serbe.
Dans le cas du Québec, le contrôle effectif découle déjà de l'exercice par les autorités québécoises de la plupart des compétences étatiques sur l'ensemble du territoire. Par définition, le fédéralisme se traduit essentiellement par un partage de la souveraineté interne et du contrôle effectif du territoire. Le contrôle effectif n'est pas que militaire. Dans un État développé, il est d'abord de nature administrative, technique et fiscale. La construction de barrages par Hydro-Québec est une forme d'occupation effective du territoire, tout comme la perception des impôts, l'émission de permis, l'aménagement du territoire ou de manière générale la fourniture de services publics à l'ensemble de la population.
Le cas du Québec
À moins qu'il ne se substitue entièrement au gouvernement du Québec, le gouvernement du Canada ne peut prétendre au contrôle exclusif du territoire du Québec. Étant donné le partage des compétences constitutionnelles au Canada, il manque en réalité peu d'éléments pour que le gouvernement du Québec n'exerce la plénitude des compétences effectives d'un État souverain. La fédération canadienne est relativement décentralisée à l'échelle internationale. Le gouvernement du Québec exerce déjà dans les faits la majeure partie de la souveraineté interne sur le territoire du Québec.
Il devrait donc être relativement facile pour le gouvernement du Québec, le moment venu, de démontrer sa capacité et sa volonté de contrôler son territoire. Il n'a jamais été question de placer un policier derrière chaque arbre afin de démontrer cette capacité. Il s'agira de démontrer la volonté de continuer à exercer les activités étatiques actuelles en y ajoutant les compétences exercées par les autorités canadiennes. Au Kosovo, le gouvernement national part essentiellement du point zéro; des fonctionnaires internationaux joueront pendant quelques années un rôle indispensable en vue de la mise en place pratique du nouvel État. Il en serait tout autrement au Québec.
Le cas du Kosovo démontre clairement que les éléments incontournables de la création d'un État sont la volonté de la population du territoire concerné et l'attitude de la communauté internationale, comme nous l'avions soutenu devant la Cour suprême du Canada il y a dix ans dans le Renvoi sur la sécession du Québec. En définitive, la Cour suprême a convenu que, malgré l'insistance un peu lourde de certains politiciens canadiens, l'État prédécesseur ne joue pas nécessairement un rôle déterminant. La pratique internationale évolue vers une relation directe entre les autorités élues du gouvernement d'un futur État et les instances internationales lorsque la création de cet État est voulue par son peuple. Cette évolution est à l'avantage des populations concernées et de la communauté internationale, dont la responsabilité et l'intérêt communs sont d'élaborer un mode de gestion ordonné et pacifique du passage à la souveraineté dans tous les cas légitimes. Si l'État prédécesseur veut jouer un rôle positif dans ce processus, comme cela s'est produit dans certains cas, il sera le bienvenu. Sinon, la communauté internationale sera appelée à suppléer à son omission.
Le oui probable du Canada au Kosovo lui sera sûrement rappelé lorsqu'il s'agira du Québec.
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André Joli-Coeur et André Binette
Avocats
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