Dernier de deux textes
Pour éviter que le cinéma québécois ne connaisse un grave déclin en 2007 et devant le refus d'Ottawa de donner suite aux réclamations du milieu du cinéma québécois, il faut absolument donner, à court terme, des moyens supplémentaires à la SODEC pour qu'elle puisse soutenir la production des projets de longs métrages de fiction qu'elle n'a pas retenus cette année pour des raisons financières.
Comme l'ont rappelé certains cinéastes, «on ne bâtit pas une cinématographie nationale et on ne développe pas un auditoire et une habitude de fréquentation avec un volume insuffisant de films». Dès lors, la SODEC doit contribuer au maintien d'une masse critique de films québécois et permettre ainsi une fréquentation régulière de notre cinéma national.
Comme elle semble d'ailleurs en avoir elle-même exprimé le souhait, la société d'État québécoise doit disposer des sommes qui lui permettraient de donner le feu vert, pour l'année en cours, aux cinq projets que sont La Cité des ombres (Kim Nguyen), Grande Ourse - La clé des possibles (Patrice Sauvé), La Ligne dure (Louis Choquette), Rivard (Charles Binamé) et Un été sans point ni coup sûr (Francis Leclerc), ainsi que certains autres projets qui lui ont été présentés dans le cadre des concours de 2006-07.
L'appui à d'autres projets permettrait de maintenir le soutien au niveau de celui des années 2004-05 et 2005-06 et de contribuer au succès de notre cinématographie en 2007.
Le gouvernement du Québec doit par ailleurs se préparer à accroître les crédits de la SODEC pour l'année budgétaire 2007-08 de façon à ne pas répéter les erreurs passées et afin d'éviter que d'autres réalisateurs et producteurs, à la suite de Robert Lepage ou Charles Binamé, décident de fermer leurs boîtes de production ou quittent le Québec pour oeuvrer ailleurs. Il faut ainsi anticiper l'avenir et lancer aux créateurs le message selon lequel le Québec tient à accompagner notre cinéma national et à contribuer à sa réussite.
Une affaire de sélection
La crise du cinéma québécois va toutefois au-delà de la question du «volume» de films et est liée au problème de leur «sélection». L'évaluation d'un projet de film comporte une grande part de subjectivité dont il faut prendre acte.
Toutefois, en raison de cette subjectivité, la sélection ne doit pas relever d'un cercle restreint d'individus susceptibles d'imposer leurs préférences, de choisir leurs alliés et de procéder à des exclusions arbitraires. Ce processus doit devenir exemplaire sur le plan de la transparence, et les auteurs de projet doivent pouvoir connaître les motifs d'acceptation et de refus de leurs projets.
Le processus de sélection tend par ailleurs à négliger un critère fondamental, à savoir la reconnaissance de l'expérience et du mérite des cinéastes. Bien qu'il faille soutenir de nouveaux réalisateurs, il importe de valoriser les cinéastes dont les films ont connu des succès tant au Québec et dans le monde.
Le processus de sélection doit dès lors être révisé en profondeur pour mettre fin à l'arbitraire et au manque de transparence et de façon à accorder une place plus importante à l'expérience des cinéastes et au rayonnement de leurs films. Il faut envisager de créer des jurys de sélection des films, instaurer des mécanismes visant à évaluer l'expérience des cinéastes et mesurer le rayonnement de leurs oeuvres.
Financement à explorer
La ministre de la Culture et des Communications du Québec doit par ailleurs faire clairement savoir à la ministre du Patrimoine canadien que les programmes de soutien de Téléfilm Canada ne sont pas adaptés aux besoins des cinéastes du Québec et que des changements en profondeur doivent être apportés au Fonds du long métrage du Canada, notamment au volet fondé sur la performance.
L'existence de ce volet «favorise une tendance lourde en faveur d'un cinéma commercial», comme l'avaient d'ailleurs rappelé 25 cinéastes, dont Jean-Claude Laboureur, Léa Pool et Robert Lepage, dans une lettre publiée le 16 décembre 2003; ce cinéma accapare dorénavant plus de 50 % du budget de Téléfilm Canada pour les longs métrages émanant du Québec.
S'agissant du financement et en faisant fonds sur les mesures de soutien qu'offrent aujourd'hui la SODEC et Téléfilm Canada, d'autres modes de financement du cinéma québécois méritent d'être explorés.
La redevance prélevée sur le billet de cinéma en France a sans doute contribué à l'essor du cinéma français, qui demeure un des cinémas nationaux les plus attractifs. Une redevance sur le billet de cinéma, fixée à un taux analogue au taux français de 10,88 % et appliquée sur des recettes de billetterie de cinémas et de ciné-parcs en 2005, qui se sont élevées à 175 052 500 $, correspondrait à une somme de
19 045 712 $. [...] Cela devrait amener à envisager l'institution d'une redevance plus globale qui porterait également sur la vente et la location de vidéogrammes, l'abonnement à la télédistribution et à Internet ainsi que la vente de matériel audiovisuel.
Il y a lieu de débattre également d'autres propositions, comme celle visant à demander à Loto-Québec de financer le cinéma québécois, comme la National Lottery soutient le cinéma britannique.
La proposition visant à investir les profits de la Régie du cinéma dans le soutien au cinéma québécois a été mise en avant et mérite également d'être examinée à sa juste valeur.
Plusieurs ont souhaité que l'entreprise privée appuie davantage le cinéma d'ici et que des crédits d'impôt ou d'autres incitatifs fiscaux plus généreux et plus diversifiés soient disponibles non seulement pour les producteurs mais également pour les entreprises qui «commanditeront» notre cinéma. Cette avenue mérite également d'être explorée, comme doivent être examinées d'autres mesures visant à encourager et à pérenniser la fréquentation même du cinéma québécois par ses divers publics.
Sur le plan institutionnel, il y a lieu de se demander s'il ne faudrait pas créer un centre de cinématographie nationale, sur le modèle de l'institution française et de Téléfilm Canada, et de lui confier le mandat de soutenir le cinéma québécois et ses artisans.
Le budget d'un tel centre pourrait notamment provenir de la redevance et lui permettrait notamment d'investir, sur la seule base de la redevance sur les entrées au cinéma, une somme de près de 20 millions de dollars à laquelle pourraient être ajoutées les sommes obtenues de la redevance «globale». Il s'agirait là d'une augmentation du budget consacré à notre cinéma et, puisqu'il s'agirait d'«argent neuf», cette mesure n'affecterait ni le budget de la SODEC ni sa capacité à investir dans les programmes d'aide au domaine du disque et du spectacle de variétés, aux entreprises du livre et de l'édition spécialisée et aux métiers d'art et à l'exportation et au rayonnement culturel.
Plus globalement...
Ces solutions pourraient permettre d'asseoir notre cinématographie nationale sur des bases plus solides, mais une solution plus globale semble s'imposer.
Si la maîtrise d'oeuvre du Québec sur la culture, et notamment son cinéma, a déjà été réclamée par le gouvernement du Québec et qu'elle permettrait à l'État québécois de maîtriser l'ensemble des programmes d'aide à la production du cinéma québécois, je crois qu'il ne faut pas se faire d'illusions à propos de l'intention de l'actuel gouvernement Charest de réclamer une telle maîtrise d'oeuvre et la capacité du gouvernement Harper de consentir une telle maîtrise d'oeuvre au Québec. Seule l'indépendance nationale du Québec permettra de conférer aux institutions québécoises la capacité de décider de l'ensemble des mesures visant à soutenir et à consolider notre cinéma national et de rapatrier notamment les sommes que Téléfilm Canada investit aujourd'hui dans le cinéma québécois.
La réflexion du Parti québécois, qui s'inscrit par ailleurs dans le contexte de l'élaboration d'une politique nationale de la culture pour un Québec souverain, s'engage autour de solutions plus durables et de nouvelles façons de penser et de financer notre cinéma ainsi que d'obtenir pour ses artisans une juste rémunération. J'interpelle aujourd'hui le milieu du cinéma québécois et lui demande d'accompagner le Parti québécois dans une réflexion visant à déterminer comment l'État québécois s'acquittera de sa responsabilité. [...]
***
Précision
Dans le premier texte de M. Turp, publié hier, un renvoi était fait à des données du tableau 2 en ce qui concerne les différents types d'aide accordée par Téléfilm Canada. Ces données n'étaient toutefois pas présentées dans le tableau. Nous nous en excusons. Les tableaux complets peuvent toutefois être consultés sur le site de Daniel Turp , à la rubrique «Interventions».
Daniel Turp
_ Député de Mercier, vice-président de la Commission de la culture de l'Assemblée nationale du Québec et porte-parole de l'opposition officielle en matière de culture et de communications.
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